26.01.2016 • Transparence

Accord fiscal en Grande-Bretagne : Google s’en tire à bon compte

Google et le fisc britannique ont annoncé avoir conclu un accord, selon les termes duquel le géant de l’internet versera 172 millions d’euros d’arriérés d’impôts au Royaume-Uni. Une annonce saluée comme une nouvelle avancée de la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales. Mais les critiques dénoncent la modestie de la somme acquittée par Google et la perpétuation d’une situation d’opacité juridique et fiscale, à contre-courant des objectifs de transparence affichés par l’Europe et la communauté internationale.

Publié le 26 janvier 2016 , par Olivier Petitjean

Il y a quelques jours, Google a annoncé avoir passé un accord à l’amiable avec le fisc britannique, qui avait lancé une enquête sur ses pratiques d’optimisation fiscale. L’entreprise américaine s’est engagée à verser 172 millions d’euros (130 millions de livres) d’arriérés d’impôts. L’accord stipule aussi que Google s’acquittera à l’avenir d’impôts calculés sur la base des achats de publicités par des annonceurs britanniques, ce qui, selon Google, reflétera plus adéquatement « la taille et l’étendue de [son] activité » réelle en Grande-Bretagne.

Entre 2005 et 2013 (la période visée par le redressement), Google a réalisé un chiffre d’affaires de 22 milliards d’euros au Royaume-Uni, mais sa contribution fiscale est restée minimale, en raison notamment de transferts financiers au profit du siège européen de l’entreprise, en Irlande, après un passage par les Pays-Bas. Ces profits sont ensuite transférés dans une filiale de Google aux Bermudes, un autre paradis fiscal notoire : comme nombre de ses consœurs américaines, l’entreprise semble attendre une éventuelle amnistie fiscale pour les rapatrier aux États-Unis et les distribuer à ses actionnaires.

Victoire à la Pyrrhus

L’annonce de l’accord entre Google et le fisc britannique a été largement saluée comme une nouvelle avancée dans la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales. Il fait suite à un accord similaire conclu il y a quelques semaines entre Apple et le fisc italien, ainsi qu’à une série de sanctions prononcées par la Commission européenne. Mais l’opposition travailliste britannique (et même une partie des conservateurs) et les spécialistes de la justice fiscale, dénoncent une victoire à la Pyrrhus : le montant finalement acquitté par Google paraît extrêmement faible au regard des sommes en jeu. Selon les calculs de Richard Murphy du Tax Justice Network, l’ONG de référence sur la question, Google aurait en réalité dû payer 200 millions de livres (263 millions d’euros) chaque année sur la période concernée (2005-2013), en appliquant le taux normal de l’impôt sur les sociétés britannique, qui est de 20%.

Au-delà du montant des arriérés, c’est aussi l’absence de transparence de l’accord qui suscite les critiques. « Cet accord n’est pas transparent et il n’y a pas moyen de savoir s’il est bon ou mauvais », a ainsi commenté John Christensen, du Tax Justice Network, au Financial Times. Le futur système de calcul des impôts de Google en Grande-Bretagne reste lui aussi opaque et impossible à contrôler par la société civile ; il ne remet pas non plus en cause l’organisation des opérations européennes de Google à partir de l’Irlande. Suite à la polémique, le Parlement britannique a annoncé la création d’un Commission d’enquête.

Contre-feu

Sous le feu des critiques pour la faiblesse de sa contribution fiscale dans les pays européens où elle opère, l’entreprise américaine semble avoir opté pour une stratégie de contre-feu, consistant à lâcher du lest sur le versement de ses impôts pays par pays, tout en préservant la structuration juridique qui lui permet d’optimiser ses impôts et de maintenir l’opacité sur ses flux financiers internes. Ce que l’entreprise caractérise significativement comme une « nouvelle approche pour le paiement de [ses] impôts ». La Grande-Bretagne a récemment introduit une taxe de 25% sur les profits illégitimement transférés hors du pays à des fins d’optimisation fiscale, qui doit entrer en vigueur le 1er avril prochain. C’est cette menace qui semble avoir conduit Google à rechercher une accommodement, qui pourrait rapidement faire des émules.

Les spécialistes de la justice fiscale comme Richard Murphy craignent en effet que d’autres multinationales du web, comme Amazon ou Facebook, ne profitent des mêmes conditions avantageuses que celles accordées à Google par la Grande-Bretagne, ce qui aurait pour effet de court-circuiter les efforts actuels de la communauté internationale pour s’attaquer de manière plus structurelle à l’évasion fiscale des multinationales.

Quand les États minent les efforts européens

Malgré leurs limites, le plan dit BEPS mis en place par l’OCDE (lire notre article) et les mesures prises par la Commission européenne impliquent au moins en effet une remise en cause partielle de la situation d’opacité juridique et fiscale qui a fait la fortune des multinationales et de leurs actionnaires. La Commission européenne doit précisément annoncer de nouvelles mesures de lutte contre l’évasion fiscale dans quelques jours, qui pourraient limiter drastiquement le recours aux sociétés-écrans et aux filiales fantômes et metre fin à plusieurs failles juridiques dont profitent actuellement les firmes. Pour Richard Murphy, en passant accord avec Google, le gouvernement britannique chercherait délibérément à saper le « nouveau consensus fiscal international » en train de se dessiner.

Le fisc français a lancé une procédure similaire de redressement à l’encontre de Google. À Davos, le ministre français des Finances Emmanuel Macron a confirmé que Google était en négociation avec plusieurs pays européens, dont la France, pour clore ses litiges fiscaux et « normaliser » ses relations avec eux. Avec les mêmes limites que le règlement britannique ?

Olivier Petitjean

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Photo : Robert Scoble CC

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