06.12.2016 • Remunicipalisation

Bastion de Suez, Barcelone veut reprendre la main sur son eau

Barcelone sera-t-elle la prochaine grande ville à rejoindre le mouvement de la remunicipalisation de l’eau ? Le conseil municipal vient en tout cas de voter une motion en ce sens, en promettant que cela permettrait à la fois de baisser le prix de l’eau et d’augmenter les investissements. Ce serait un coup dur pour Agbar, qui contrôle l’eau de la capitale catalane depuis 1867, et pour sa maison-mère Suez, qui a en a fait une pièce maîtresse de sa stratégie mondiale.

Publié le 6 décembre 2016 , par Olivier Petitjean

Le conseil municipal de Barcelone vient de voter une motion visant à mettre fin à la gestion privée de l’eau dans la capitale catalane. La remunicipalisation de l’eau était l’une des mesures phares proposées par la coalition citoyenne « Barcelona En Comú », emmenée par Ada Colau, arrivée aux manettes de la ville en 2015. C’est une filiale de Suez, Agbar (Aguas de Barcelona), qui a la mainmise sur la gestion de l’eau de Barcelone depuis 1867. À partir de ce bastion historique, Agbar a réussi à étendre ses activités dans le reste de l’Espagne et en Amérique latine. Près de 84% de la population catalane est aujourd’hui desservie en eau par une firme privée - Agbar dans l’immense majorité des cas.

Invoquant les précédents de Paris et d’autres villes espagnoles et européennes (lire notre rapport sur la remunicipalisation de l’eau dans le monde), les élus de Barcelona En Comú (« Barcelone en commun »), rejoints par une majorité absolue du conseil municipal, estiment que la remunicipalisation permettra de réduire le prix de l’eau, d’accroître les investissements et de lutter plus efficacement contre les fuites. Le processus de remunicipalisation ne fait toutefois que commencer, et tout le monde s’attend à ce qu’ils soit long et complexe.

Il y a quelques mois, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne avait invalidé le contrat de privatisation signé par la municipalité de Barcelone avec Agbar en 2012. Ce contrat reconduisait la concession historique d’Agbar tout en créant une nouvelle société d’économie mixte ; il avait été passé sans appel d’offres. La filiale de Suez a fait appel de cette décision, et la décision de la Cour suprême ne devrait pas intervenir avant 2018. Selon qu’elle confirme ou non l’annulation du contrat de 2012, la remunicipalisation sera plus ou moins facile pour les élus de Barcelone.

Vers une double remunicipalisation ?

Un autre contrat presque aussi important pour Agbar se trouve simultanément en ligne de mire : celui issu de la privatisation, encore en 2012, de l’entreprise publique catalane ATLL chargée de la production et du traitement de l’eau pour toute la province (Agbar lui achetait l’eau qu’elle distribuait à Barcelone même et dans les villes environnantes). Ce contrat fait l’objet d’un autre feuilleton judiciaire, puisqu’il avait été accordé initialement à un consortium concurrent emmené par Acciona, avant d’être annulé par la justice suite au constat de conflits d’intérêts, voire de fraudes dans l’appel d’offres. Le Parlement catalan a adopté une résolution appelant au retour d’ATLL sous gestion publique, et les autorités de la province ont récemment réaffirmé leur volonté de revenir en gestion publique au cas où l’annulation du contrat serait effectivement confirmée par la justice.

Ce serait donc une double mauvaise nouvelle pour Suez, dont les dirigeants ont voulu faire d’Agbar, acquis en 2010, un nouveau pilier du groupe, allant jusqu’à laisser entendre que Suez était désormais une entreprise franco-espagnole. C’est principalement à travers Agbar que Suez est présente sur le continent latino-américain. Outre les réseaux urbains d’approvisionnement en eau et d’assainissement, la filiale catalane du groupe française est également spécialisée dans la gestion privée de l’eau d’irrigation. Un marché sur lequel lorgne particulièrement Suez, qui vient de racheter un gigantesque réseau d’irrigation au Pérou.

Première rencontre des villes pour l’eau publique

À l’image de Barcelone et de Madrid, un grand nombre de villes espagnoles ont été conquises en 2015 par des coalitions associant partis de gauche comme Podemos, associations citoyennes et mouvements sociaux. Ces coalitions avaient souvent à leur programme la remunicipalisation du service de l’eau. L’Espagne est avec la France et le Royaume-Uni le seul pays européen où la gestion privée de l’eau est majoritaire, avec 57% de la population. Valladolid a été la première des villes nouvellement conquises à franchir le pas l’été dernier en décidant de ne pas renouveler le contrat qui la liait à un prestataire privé, là encore une filiale de Suez-Agbar.

Les maires de plusieurs grandes villes espagnoles, dont Madrid, Barcelone, Valence, Saragosse, Cordoue, Valladolid, La Corogne et Saint-Jacques de Compostelle, ont participé début novembre à la première rencontre des villes pour l’eau publique, à l’issue de laquelle ils ont signé une déclaration commune contre la privatisation de l’eau. Célia Blauel, adjointe à la maire de Paris et présidente du service public de l’eau parisien, était présente, et a promis que la capitale française apporterait son assistance à une remunicipalisation à Barcelone.

Le gouvernement central espagnol, lui, finalement resté aux mains du Parti Populaire (droite) après des mois de manœuvres politiques, pousse plutôt en faveur de la gestion privée. Pas étonnant lorsque l’on connaît les liens étroits qui se sont noués au fil du temps entre Agbar et les élus du PP et des partis traditionnels. La filiale de Suez est impliquée dans des affaires de corruption ou de donations politiques notamment en Galicie et en Catalogne.

Olivier Petitjean

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Photo : Maciek Lulko CC

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