27.06.2017 • France

En coulisses, les lobbys des grandes entreprises veulent reculer sur le climat et la transparence

Les lobbys patronaux, Medef et Afep, manoeuvrent en coulisses pour revenir sur les obligations de transparence des entreprises sur leurs émissions de gaz à effet de serre, prévues par la loi de transition énergétique. Une démarche qui témoigne du désir des multinationales de pouvoir communiquer à outrance sur leurs engagements climatiques, sans jamais avoir à rendre de comptes.

Publié le 27 juin 2017 , par Olivier Petitjean

La France et ses grandes entreprises communiquent beaucoup, ces derniers temps, sur leur engagement en faveur du climat. À les en croire, nos « champions nationaux » ne ménageraient pas leurs efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. La Conférence de Paris sur le climat, en décembre 2015, avait été un véritable festival de promesses et de beaux discours (lire nos enquêtes ici et ). Souvent, cependant, il suffisait de gratter un peu la surface - comme l’Observatoire des multinationales l’avait fait en partenariat avec le Basic à propos de dix entreprises sponsors de la COP21 - pour constater que les initiatives en question étaient de peu de portée, et que les informations fournies par les firmes sur leur véritable impact climatique restaient parcellaires.

Dix-huit mois plus tard, beaucoup de monde, y compris au sein de l’État, voudrait que les entreprises commencent à donner à voir des résultats concrets. Mais c’était sans compter sur l’obstruction des lobbys patronaux, Medef et Afep (Association française des entreprises privées, qui représente les grands groupes hexagonaux et dicte la position du Medef sur les questions climatiques), qui viennent de s’opposer frontalement à toute obligation de transparence dans ce domaine.

Surtout pas de chiffres ?

Le sujet est technique, mais il est révélateur : l’article 173-IV de la loi de transition énergétique d’août 2015 prévoit des obligations étendues de transparence pour les entreprises sur « les conséquences sur le changement climatique de [leur] activité et de l’usage des biens et services qu’elle[s] produi[sen]t ». Autrement dit, sur l’ensemble de leurs émissions réelles de gaz à effet de serre, depuis l’approvisionnement en matières premières jusqu’à la fin de vie des produits. De quoi mesurer concrètement l’impact de ces entreprises sur le climat et vérifier si cet impact se réduit effectivement, comme elles ne se privent jamais de le suggérer auprès des consommateurs et des décideurs.

Ces nouvelles obligations de transparence doivent être finalisées par une commission du Commissariat général au développement durable. Or, selon nos informations, les représentants du Medef et de l’Afep ont surpris tout le monde en exigeant que, finalement, les firmes n’aient pas nécessairement à fournir d’informations quantifiées. Autrement dit : pas de chiffres sur leurs émissions. Pour les lobbys patronaux, un travail interministériel (entendre : avec Bercy et non seulement le ministère de l’Écologie) serait en effet nécessaire pour mesurer les conséquences de la publication d’informations quantifiées.

Informations parcellaires et biaisées

Difficile de ne pas voir dans cette revendication patronale un moyen d’empêcher toute possibilité réelle de contrôle par les autorités publiques ou la société civile. La plupart des grandes entreprises françaises publient déjà des chiffres sur leurs émissions de gaz à effet de serre, mais comme l’avait révélé l’étude réalisé par le Basic et l’Observatoire des multinationales, ces chiffres sont généralement incomplets et difficiles à lire, et leur présentation est souvent biaisée. La multinationale de l’audit EY vient de le confirmer à travers une étude récente : la qualité des informations fournies par les grandes firmes françaises n’est pas toujours au rendez-vous, et seule une minorité publie des objectifs chiffrés en phase avec ceux de l’Accord de Paris

La Fondation Nicolas Hulot et le Réseau Action Climat ont réagi à travers une lettre commune, dont nous avons pu prendre connaissance. Les deux organisations écologistes soulignent que la demande du Medef et de l’Afep les « inquiète au plus haut degré sur la prise de conscience réelle par ces organisations des enjeux climatiques pour l’humanité, mais aussi pour l’économie, et sur la volonté des entreprises d’y apporter leur contribution, malgré toutes leurs déclarations solennelles et leurs engagements internationaux ».

Les multinationales françaises n’aiment-elles pas la transparence ?

C’est un classique du lobbying : pour préserver leur image, les grandes entreprises communiquent, en leur nom propre, sur implication dans la lutte contre le dérèglement climatique, tout en cherchant à saper, via leurs lobbys moins connus du grand public, les normes et régulations qui pourraient donner de la substance aux objectifs de l’Accord de Paris.

Ce n’est pas d’ailleurs la première fois que le Medef et l’Alep s’allient pour combattre les obligations de transparence faites aux entreprises. Les deux lobbys patronaux s’étaient déjà opposés avec succès devant le Conseil constitutionnel à l’obligation de reporting financier pays par pays, visant à lutter contre l’optimisation fiscale. Publier ces informations aurait selon eux porté atteinte à la « compétitivité » des entreprises françaises... L’argument a à nouveau été utilisé, avec moins de succès cette fois, pour s’opposer à la loi sur le devoir de vigilance des multinationales et l’obligation de publier un plan de prévention des atteintes aux droits de l’homme. (Sur ces deux précédents, lire notre enquête.)

Faut-il y voir le résultat de cette stratégie d’obstruction systématique ? Une nouvelle directive européenne sur le « reporting extra-financier » - autrement dit les obligations faites aux entreprises de publier certaines informations sur leurs impacts sociaux et environnementaux - aurait dû être transcrite dans le droit français depuis plusieurs mois. Malgré les promesses répétées du gouvernement et de l’administration, ce n’est toujours pas le cas, et la Commission européenne vient d’engager une procédure en infraction. Décidément, les multinationales françaises préfèrent la comm’ à la transparence.

Olivier Petitjean

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