29.05.2017 • Finance

Comment, malgré lois et régulations, BNP Paribas et Société générale continuent à spéculer pour leur propre compte

Quatre ans après la loi française de séparation bancaire, les deux filiales mises en place par BNP Paribas et la Société générale pour abriter leur trading en compte propre se portent bien, du moins d’après les maigres informations disponibles. Les faiblesses de la loi française semblent avoir permis aux deux banques de poursuivre ces activités spéculatives en toute liberté, alors que leurs homologues européennes ou américaines en étaient empêchées par des règles plus strictes.

Publié le 29 mai 2017 , par Olivier Petitjean

C’était il y a quatre ans : la loi française de « séparation bancaire » obligeait les grandes banques hexagonales à créer des filiales séparées pour abriter leurs activités les plus spéculatives. L’objectif était de s’assurer que les risques financiers pris par les banques ne seraient plus supportés ou garantis en dernière instance par les clients de leurs activités de banque de détail, ni par les contribuables, comme cela avait été le cas suite à la crise financière globale déclenchée. Très critiquée pour sa timidité et ses lacunes, cette loi s’inscrivait ainsi dans la vague de nouvelles législations et régulations mises en place pour encadrer les pratiques du secteur financier à partir de 2008.

L’International Financing Review (IFR), l’un des principaux médias du secteur financier international, se penche aujourd’hui sur les deux filiales créées par BNP Paribas et la Société générale pour abriter et isoler leurs activités de trading pour compte propre. Du côté de BNP Paribas, la filiale Opera Trading Capital disposait en 2015 de fonds propres de l’ordre de 600 millions d’euros, pour des actifs d’une valeur de 2,6 milliards, avec des traders basés à Londres et Hong Kong. Côté Société générale, la filiale Descartes Trading disposait la même année de fonds propres de 400 millions d’euros. Soit un milliard d’euros injecté au total par les deux banques françaises dans leurs filiales. Toutes deux sont dirigées par des cadres dirigeants de leurs maison mères respectives. La source de ces informations sont les comptes que ces filiales sont obligées de publier à Londres, en raison de leur implantation dans la capitale britannique. Les derniers disponibles sont ceux de 2015. Le journaliste de l’IFR souligne à quel point « les deux banques sont réticentes à parler de ces filiales », de sorte que l’« on sait peu de chose de ces entreprises ».

Opera et Descartes Trading semblent principalement dédiées à la spéculation sur les variations de taux de change, à des des opérations d’« arbitrage » consistant à tirer profit d’écarts temporaires de prix ou de cours pour certaines valeurs, ou encore à des « stratégies de volatilité quantitatives », comme indiqué dans les comptes de la seconde. Avant la crise financière, les activités de trading pour compte propre représentaient environ 20% des revenus des activités de marché des banques françaises, contre 10% en moyenne pour les autres grandes banques internationales. Ces pourcentages se sont depuis considérablement réduits, pour atteindre un niveau quasi nul. Sauf apparemment dans le cas des deux françaises.

Une promesse vidée de sa substance

Le fait que seules BNP Paribas et la Société générale - et aucune des autres banques potentiellement concernées comme le Crédit agricole ou Natixis - aient eu à créer une filiale spécifique pour abriter leurs activités spéculatives pour compte propre est une parfaite illustration des lacunes de la loi adoptée par la France en juillet 2013. Le candidat François Hollande avait promis - notamment à l’occasion de son discours du Bourget - une grande loi de séparation des activités de banque de détail et des opérations spéculatives. Mais cette ambition avait rapidement été revue à la baisse, sous la pression du lobby bancaire, qui a réussi à faire confier l’élaboration de la loi à un petit comité au sein de Bercy accordant une large place à des personnalités proches de BNP Paribas, sous la présidence de Ramon Fernandez, directeur du Trésor hérité de l’ère Sarkozy (aujourd’hui chez Orange). La montagne a finalement accouché d’une souris. Autre faiblesse structurelle de cette législation : sous le terme très vague de « tenue de marché », elle autorise de fait les banques à poursuivre directement certaines opérations spéculatives, sans avoir à les isoler dans une filiale.

Avec ces lacunes, la loi française aura donc d’une certaine manière permis à BNP Paribas et Société générale de poursuivre tranquillement certaines activités de spéculation pour compte propre, alors que leurs concurrentes européennes étaient soumises à des règles plus strictes. Selon l’International Financial Review, la « règle Volcker » adoptée aux États-Unis pour interdire purement et simplement certaines activités spéculatives, ainsi que l’augmentation des exigences de fonds propres, ont entraîné une quasi disparition des activités spéculatives pour compte propre des grandes banques ... sauf les deux poids lourds français. La Deutsche Bank s’est même déjà vue infliger une amende de 20 millions de dollars par les autorités financières américaines pour n’avoir pas mis en place des mesures suffisantes pour s’assurer qu’elle respectait la règle Volcker.

En France, c’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR), une entité hébergée par la Banque de France, qui est chargée de veiller à l’application de la loi de 2013 par les banques hexagonales, qu’elles aient créé une filiale dédiée ou non. Elle ne s’est pas fait remarquer par son activisme en la matière. Au sein de son collège de supervision, qui mêle hauts fonctionnaires et représentants du secteur financier sous la présidence du gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau (ex BNP Paribas), on retrouve notamment Ariane Obolensky, laquelle avait mené, en tant que dirigeante de la Fédération bancaire française, la bataille de lobbying victorieuse contre la loi de séparation en 2012-2013.

Olivier Petitjean

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Photo : Ars Electronica CC via flickr

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