23.06.2015 • Débat public

Crédit impôt recherche : le Sénat organise l’omertà sur une niche fiscale controversée

Le dispositif fiscal du Crédit impôt recherche (CIR) fait débat en France, particulièrement depuis qu’il s’est trouvé considérablement étendu en 2008. Les critiques dénoncent son coût extrêmement élevé pour les finances de l’État, et les nombreux abus et détournements dont il fait l’objet de la part des entreprises. Une commission d’enquête parlementaire avait été mise en place pour faire le bilan du CIR, mais une majorité de Sénateurs vient de décider de ne pas publier son rapport, sous la pression des industriels et notamment de Renault. Le débat public n’aura pas lieu.

Publié le 23 juin 2015

Sylvestre Huet résume l’affaire dans son blog pour Libération :

Le Crédit d’impôt recherche est-il si sulfureux ? Au point qu’il faille organiser l’omerta sur un rapport d’enquête parlementaire à son sujet ? C’est ce que laisse penser la décision des sénateurs de droite (LR et UDI) ainsi que du Parti Socialiste d’empêcher la publication du rapport de la sénatrice communiste Brigitte Gauthier-Maurin rédigé dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire diligentée sur ce sujet. (...) Il semble que des pressions politiques, et d’autres venues de l’industrie et notamment du patron de Renault Carlos Ghosn en direction du Président du Sénat Gérard Larcher, se soient transformées en consignes de vote, condamnant le rapport à la destruction. (...)

Le débat public, ainsi que les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, auraient pourtant été éclairés par ces informations. Qui ne pourrait être curieux de savoir quelles sont les entreprises du CAC 40 qui, grâce au CIR échappent totalement à l’impôt sur les bénéfices des sociétés ? De savoir comment la Société Générale, une banque, ou le grand distributeur Carrefour, ont pu bénéficier à plein de ce dispositif fiscal si avantageux ? Ou par quel système Renault peut justifier de toucher du CIR pour l’activité de recherche d’une filiale sans effectifs ? Mais, le citoyen comme l’élu sera privé de ces informations car la sénatrice communiste est désormais soumise au "secret fiscal", sous peine de poursuites pénales, pour ces informations récupérées dans le cadre de cette commission d’enquête. Dommage.

Les questions qui se posent sont pourtant nombreuses, et auraient mérité un débat public informé et approfondi.

Parmi les informations du rapport, il aurait été intéressant de détailler comment les cabinets de conseil, qui ne font qu’aider les entreprises à rédiger les demandes de CIR, pourraient capter 500 millions sur les six milliards déversés. Ou de se demander si la possibilité d’un chevauchement entre le CIR et le CICE ne serait pas à l’origine d’un double financement, à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros. On comprend en tout cas pourquoi la principale recommandation du rapport était l’exigence d’une étude économétrique pluraliste, ouverte et sincère du CIR.

Une exigence d’autant plus évidente que le CIR, par définition, est un dispositif "aveugle" souligne la sénatrice. Il ne se fonde sur aucune analyse de l’intérêt social ou économique de l’activité de R&D que l’entreprise demande aux contribuables de financer. Il ne vient en appui d’aucune stratégie industrielle, mais repose sur l’idée, vague, selon laquelle tout ce qui est considéré par une direction d’entreprise comme de la recherche est si bon pour la société toute entière qu’il faut l’exonérer d’impôt à ce titre. On attend toujours une démonstration économique de la justesse de cette vague idée. Or, le prix à payer pour les six milliards de CIR, c’est que ces milliards manquent à une politique de la recherche publique ambitieuse ou à un soutien plus fort aux recherches d’entreprises ciblant les objectifs d’une stratégie industrielle concertée avec les pouvoirs publics.

Lire l’intégralité de l’article sur le site de Libération.

Mise à jour, 18h.
Mediapart publie ce jour un article sur cette affaire, qui inclut certains extraits du rapport parlementaire (Recommandations), ainsi qu’une entretien avec la sénatrice communiste Brigitte Gauthier-Maurin, qui évoque en particulier le cas de Sanofi : « Le PDG par intérim, Serge Weinberg, a ainsi expliqué devant la commission d’enquête, lors d’une audition ouverte à la presse, comment le groupe français avait décidé de “changer assez profondément [son] modèle de recherche afin d’équilibrer la recherche interne et la recherche externe”. Sanofi touche en moyenne environ 130 millions d’euros de CIR. Dans les faits, cette réorientation s’est traduite en France par la vente par Sanofi d’unités de recherche comme à Toulouse avec des effets très concrets sur les effectifs : toujours selon le PDG auditionné par la commission d’enquête “sur les 650 emplois présents à Toulouse, 80 ont été transférés à Lyon, un plan de départ de 200 emplois et le transfert de 215 emplois à la société allemande Evotect” ; la vente du site de fabrication de médicament de Quetigny à la société française Delpharm ; la suppression de 300 emplois sur le site de Montpellier depuis 2009. Ainsi entre 2011 et 2014, les effectifs de Sanofi en France ont diminué de 11 %, 14 % pour l’ensemble du groupe. Rappelons aussi qu’en 2004, Sanofi avait obtenu pour son OPA sur Aventis la somme de seize milliards d’euros de crédit à taux faible de la part d’un pool bancaire. À l’époque, Sanofi promettait de se servir de cet argent pour développer la recherche ! Si l’on prend l’exemple du constructeur français Renault, les effectifs R&D du groupe sont en diminution constante depuis 2010 (17 854 en 2010 contre 16 308 en 2014). » Lire ici l’intégralité de l’article.

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Photo:Pierre Metivier cc by-nc

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