28.11.2016 • Égalité ?

Dans les entreprises françaises, trois femmes sur quatre sont victimes de sexisme au travail

Une nouvelle enquête du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle vient montrer l’omniprésence des comportements et attitudes sexistes dans les grandes entreprises françaises. Des pratiques qui se répercutent sur la dignité, la carrière et les conditions de travail des salariées.

Publié le 28 novembre 2016 , par Nolwenn Weiler

« Je me demande comment elle est arrivée à ce niveau de poste ; elle a dû coucher », «  Elle n’aura pas d’augmentation ; elle a un conjoint. Ce qu’on lui donne est bien suffisant », « Elle ne sait pas faire grand-chose à part se vernir les ongles »... Ces remarques ont toutes été entendues en 2016 dans des grandes entreprises françaises. Elles sont extraites d’une enquête menée par le Conseil supérieur à l’égalité professionnelle auprès de 10 000 salariés (52% de femmes et 48% d’hommes) non cadres au sein de plusieurs grands groupes : Air France, BNP Paribas, Casino, Orange, Solvay, Suez Environnement, Total et Veolia [1].

Résultat ? 74% des salariées interrogées sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes dans le cadre de leur travail. En 2013, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle avait mené une enquête similaire auprès de 15 000 cadres cette fois, au sein de neuf grandes entreprises françaises (Radio France, France télévisions, RATP, SNCF, GDF Suez, La Poste, Orange, Air France et LVMH). 80% des femmes interrogées déclaraient être régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes dans le cadre de leur travail.

Sexisme à tous les étages

« Vous devriez faire plus de sport pour perdre du poids, vous seriez beaucoup plus jolie et agréable à regarder. » « Et ben dis-donc, il a l’air content le client ! On se demande si tu y es allée pour bosser ! » : autant d’exemples de propos dégradants entendus. Sans oublier le sexisme quotidien malheureusement si banal : lors de réunions collectives, les hommes demandent aux femmes de faire le café ou de prendre des notes ; ils leur coupent la parole ou « oublient » de leur demander leur avis. Le sexisme se manifeste aussi sous un vernis « bienveillant » : « C’est bien d’avoir des femmes aux commandes, elles sont plus à l’écoute. » [2]

La plupart des femmes victimes du sexisme de leurs collègues se sentent en colère. Pourtant, près des deux tiers d’entre-elles ne souhaitent pas dénoncer ces comportements, soit parce qu’elles les ont intégrés comme « normaux », soit parce qu’elles craignent des représailles. 43% des victimes ont même peur de perdre leur emploi si elles parlent ! La façon dont sont reçues celles qui osent s’exprimer n’est pas très encourageante : 56% d’entre elles sont confrontées au scepticisme de leurs supérieurs ou des représentants du personnel, qui mettent en cause la bonne foi de leurs témoignages.

Stress au travail et carrières ralenties

Cette sympathique ambiance « a des répercussions négatives sur le travail et les conditions dans lequel il s’exerce » souligne le Conseil supérieur à l’égalité professionnelle. 81% des femmes victimes de sexisme ont déjà adopté une conduite d’évitement : ne pas porter certaines tenues vestimentaires, ne pas croiser certains collègues, ne pas prendre la parole en public, ni demander certains postes. Ces attitudes provoquent beaucoup de stress et pèsent sur les évolutions de carrière des femmes.

Les remarques et comportements sexistes peuvent aussi avoir des effets sur la santé, comme se sentir moins bien dans sa peau, être irritable, mal dormir... jusqu’au risque de dépression. « Le sexisme est un continuum, rappelle Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes. Chaque stéréotype, chaque remarque, chaque geste qui contribue à inférioriser les femmes et à les délégitimer constitue le terreau des violences dont elles sont massivement victimes. » Au moins 20% des femmes sont victimes de harcèlement sexuel au travail. Chaque année, elles sont au moins 3000 à être violées sur leur lieu de travail, soit huit femmes chaque jour !

Le Conseil supérieur de l’égalité professionnel livre quelques pistes aux employeurs, comme « préciser dans les chartes d’éthique ou notes de service de l’entreprise les comportements prohibés relevant du sexisme » ou « sanctionner les agissements sexistes aux moyens du pouvoir disciplinaire de l’employeur ». Mais ces propositions ne font pas l’unanimité. Les hommes interrogés préfèrent la sensibilisation à la sanction. Certaines organisations syndicales émettent également des réserves. Pourtant, plus les entreprises combattent le sexisme et adoptent une politique en faveur de l’égalité professionnelle, plus ce type de comportements se raréfie, rendant l’ambiance de travail agréable. Autre suggestion, pour améliorer la vie des femmes salariées françaises, arrêter de démanteler la médecine du travail et l’inspection du travail, deux corps d’État qui peuvent apporter un vrai soutien aux femmes.

Nolwenn Weiler

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Photo : CC Keoni Cabral

Notes

[1Un sondage national réalisé auprès d’un échantillon de 1500 salarié.e.s non-cadres travaillant au sein d’entreprises des secteurs publics et privés est venu compléter les données de l’enquête du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle.

[2Ces citations sont extraites du rapport du CSEP et du tumblr Paye ton taf, qui recense des témoignages.

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