13.09.2017 • Intérêts économiques vs climat

Fin des hydrocarbures en France : la loi Hulot encore affaiblie par le Conseil d’État

Le gouvernement a déposé à l’Assemblée un projet de loi promettant la fin de la production d’hydrocarbures en France à l’horizon 2040. Une réforme ambitieuse en ce qui concerne les objectifs affichés, mais qui présente de nombreuses failles au niveau de la mise en oeuvre. Sans compter que le ministère de l’Écologie a accepté, sans les remettre en cause, des modifications demandées par le Conseil d’État, lesquelles reviennent à sanctuariser les intérêts économiques établis face aux exigences du climat.

Publié le 13 septembre 2017 , par Sophie Chapelle

Après le Costa Rica, c’est au tour de la France de vouloir officiellement mettre fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire. Nicolas Hulot a présenté le 6 septembre en Conseil des ministres un projet de loi qui « amorce la sortie progressive et irréversible de la production de pétrole et de gaz sur le territoire français à l’horizon 2040 » [1]. Ce projet de loi peut apparaitre symbolique, les énergies fossiles extraites du sol français ne représentant que 1 % de la consommation énergétique nationale [2]. Mais ce type de mesures est essentiel, à l’aune des défis du changement climatique. « Zéro, c’est le nombre de nouveaux projets fossiles que l’on peut se permettre de développer si l’on veut rester en-deça d’un réchauffement de 2°C », affirme Nicolas Haeringer de l’ONG 350.org.

Pourtant, les questions restent nombreuses, et la future loi Hulot présente de nombreuses failles qui en réduisent significativement la portée [3]. Surtout, associations écologistes et journalistes ont découvert avec stupeur que la version du projet de loi déposée au bureau de l’Assemblée nationale différait, sur des points importants, de celle qui leur avait été présentée par le ministre Nicolas Hulot. Le Conseil d’État, saisi pour avis consultatif et suivi docilement par le gouvernement, avait entre-temps affaibli le texte, en relativisant l’importance des objectifs climatiques par rapport à la préservation des « droits » acquis par les opérateurs miniers et pétroliers.

Préservation du « droit de suite » des pétroliers

« Dès la publication de la loi, aucun nouveau permis de recherche d’hydrocarbures ne sera attribué, ce qui mettra un terme à la recherche de nouveaux gisements », assure Nicolas Hulot. La quarantaine de demandes de permis déposées avant le projet de loi devraient donc être refusées. Mais qu’en est-il des 31 permis d’exploration en cours de validité ? Ces permis de recherche sont attribués aux industriels pour une période de cinq ans, renouvelable deux fois. Or, le titulaire du permis peut, s’il en fait la demande, se voir octroyer une concession s’il découvre un gisement exploitable.

« C’est ce qu’on appelle le droit de suite, note Juliette Renaud de l’association Les Amis de la Terre [4]. Le projet de loi ne veut pas y toucher par crainte d’être attaquée en justice par les compagnies pétrolières. Or, un permis d’exploitation peut être attribué sur une période de 50 ans. On dépasserait donc très largement le cap de 2040. » Nicolas Hulot s’est précisément engagé à ce que les concessions d’exploitation existantes ne soient pas renouvelées au-delà de 2040. « Juridiquement, il serait tout à fait possible de restreindre ce “droit de suite” afin de redonner à l’État la possibilité de refuser des concessions au vu des risques environnementaux et de l’urgence climatique », précise Juliette Renaud.

Vers une exploitation du gaz de houille ?

Le ministère de la transition écologique et solidaire l’assurait : « Aucune exploitation de gaz de schiste ne sera possible en France, quelle que soit la technique d’exploitation » [5]. Pourtant, la définition des hydrocarbures non conventionnels proposée dans la première version du texte de loi ne concernait pas le gaz de mine ou « grisou » pour des raisons de sécurité [6]. Or, ces couches charbonneuses contiennent aussi du gaz de houille, également appelé « gaz de couche ».

Voisine de l’exploration des gaz de couche en Lorraine, Anaëlle Lantonnois, représentante de l’association pour la préservation de l’environnement local en Moselle (Apel57), connaît bien ses impacts. Depuis 2004, La Française de l’énergie, une société australienne, explore du gaz de couche dans des zones jusque-là vierges d’activité minière. « Il y a eu cinq puits : tous ont été des échecs, détaille Anaëlle. Cela s’est accompagné de dégradations du cadre de vie dans des zones où il n’y a jamais eu de mine. Le dernier forage a nécessité 7 millions de litres d’eau potable ! Les forages traversent parfois des nappes phréatiques qui alimentent des milliers de familles ». Avec le projet de loi tel qu’il existe, si la Française de l’énergie trouve un gisement intéressant de gaz de couche en Lorraine, elle pourra demander à l’exploiter jusqu’en 2040...

Le Conseil d’État fait primer les « espérances légitimes » des multinationales sur le climat

Entre-temps, la référence aux gaz non conventionnels a disparu du projet de loi, à l’initiative du Conseil d’État qui l’a jugée « étrangère à l’objectif poursuivi » et « pas consensuelle sur un plan technique et scientifique ». En dépit des demandes de clarifications formulées depuis longtemps par les écologistes, le texte en reste donc aux dispositions de la loi Jacob de 2011 : seule la fracturation hydraulique, non définie, est effectivement interdite. La possibilité reste ouverte pour les industriels de jouer sur les mots ou de faire valoir une hypothétique autre technologie pour exploiter les gisements qu’ils convoitent. Le texte final renforce aussi significativement les droits des entreprises minières et pétrolières sur les concessions dont elles disposent déjà, même s’il ne s’agit que d’un simple permis de prospection.

Comment expliquer la docilité du ministère de l’Écologie face au Conseil d’État ? « Le but de cette loi n’est pas de se faire plaisir, elle ne peut pas prendre le risque d’être retoquée pour non-constitutionnalité », s’est justifié le député (LREM) Matthieu Orphelin, ancien porte-parole de la fondation Nicolas Hulot, cité par Mediapart. Le Conseil constitutionnel a joué, ces dernières années, un rôle aussi crucial que contesté pour faire avorter plusieurs tentatives de réformes, notamment en matière fiscale, au nom de la liberté d’entreprendre (lire notre enquête : Quand le Conseil constitutionnel se fait le gardien des intérêts des grandes entreprises). Or ce sont exactement le même type d’arguments que l’on retrouve sous la plume du Conseil d’État, qui s’interroge si le projet de loi n’entraîne pas une « atteinte disproportionnée » à la liberté d’entreprendre, et si ses objectifs sont suffisamment importants pour limiter les droits des entreprises minières et pétrolières, y compris leurs « espérances légitimes », lesquelles seraient, à en croire les juges administratifs, protégées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 !

Le Conseil d’État « a jugé que l’intérêt général du projet de loi, la lutte contre les changements climatiques, était en l’espèce ’insuffisant’ pour justifier les restrictions apportées aux droits des exploitants », ont regretté dans un communiqué le Réseau action climat, la Fondation pour la nature et l’homme (ex Fondation Hulot) et Surfrider. Le Conseil constitutionnel s’est beaucoup vu reprocher, récemment, sa complaisance envers le lobbying exercé via les « portes étroites », des avis confidentiels transmis aux Sages par les représentants d’intérêts. Or une pratique très similaire, et peut-être encore plus opaque, existe également pour les avis rendus par le Conseil d’État sur les textes législatifs. Impossible de savoir quel rôle ce lobbying a pu jouer en ce qui concerne le projet de loi Hulot. Pour les militants du climat, en tout cas, rien dans la Constitution française ne s’oppose à des mesures climatiques véritablement ambitieuses - si ce n’est une interprétation très conservatrice du droit en faveur des intérêts économiques.

Réduire la consommation d’énergies fossiles

D’autres questions restent par ailleurs en suspens. « Quelles sont les sanctions ?, interroge Isabelle Lévy du collectif “Non au pétrole de schiste 77”. Quels sont les moyens de contrôle ? Il n’y a rien à ce sujet dans le projet de loi. S’il doit rester simplement une jolie déclaration d’intention, il y a matière à se questionner. Les objectifs industriels et les méthodes employées doivent entièrement être rendus publiques. » Selon Nicolas Haeringer de 350.org, « iI faut que le texte aille plus loin et bloque l’octroi de tout permis d’exploitation et non uniquement de tout nouveau permis de recherche ».

Lors de la présentation de son projet de loi, Nicolas Hulot a rappelé que la priorité était de non seulement maintenir les hydrocarbures dans le sous-sol, mais aussi de réduire notre consommation d’énergies fossiles de 30 % d’ici 2030, « en vue d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ». Plusieurs mesures sont prévues dans le cadre du Plan climat : fin de la vente des voitures essence ou diesel en 2040, faire converger la fiscalité entre le diesel et l’essence avant 2022, arrêt de l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, objectif de 32 % d’énergies renouvelables en 2030, disparition en dix ans des « passoires thermiques » c’est à dire des logements mal isolés. Si le plan Climat doit encore se traduire par une série de lois, l’examen parlementaire du projet législatif relatif à la fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures devrait, lui, commencer fin septembre en procédure accélérée.

Sophie Chapelle (et Olivier Petitjean)

NB. Cet article a été complété par rapport à une version initiale parue sur Basta ! le 7 septembre 2017. Les ajouts portent sur le rôle du Conseil d’État dans la version finale du texte.

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Photo : Une exploitation de gaz de schiste aux Etats-Unis / CC Nicholas_T Rig

Notes

[1Conformément à l’engagement pris le 6 juillet dernier lors de la présentation du Plan climat : voir ici

[20,8 million de tonnes de pétrole et 0,16 milliard de m3 de gaz ont été produits en France en 2015. À titre de comparaison, 56,7 millions de tonnes de pétrole brut ont été importées en France en 2015. Source (page 7)

[3Lire la note de décryptage réalisée par les Amis de la terre, Attac France. 350 et le collectif du Pays Fertois Non au pétrole de schiste.

[4Voir l’article 132-6 du Code minier

[5Source

[6Ce gaz, contenu dans les veines de charbon préalablement exploitées, s’échappe peu à peu dans les tunnels des mines creusées par l’Homme. Pour des raisons de sécurité, le gaz de mine est aujourd’hui aspiré.

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