28.03.2019 • Lobbying

France : vers la sous-traitance des services publics au secteur privé ?

Alors que les fonctionnaires se retrouvent à nouveau dans le viseur, le gouvernement s’est vu remettre un rapport proposant de généraliser « l’externalisation » des services publics à des entreprises privées spécialisées comme Atos, Sodexo et quelques autres. Un rapport rédigé par un cabinet de lobbying et le PDG d’une entreprise appelée à profiter du marché. Ce type d’externalisation des services publics a été généralisé ces dernières années en Grande-Bretagne, avec des résultats inquiétants.

Publié le 28 mars 2019 , par Olivier Petitjean

Il y a quelques jours, un rapport « choc » - et contesté - de l’Inspection générale des finances sur le temps de travail des fonctionnaires fuitait dans la presse. Le moment était particulièrement opportun, puisque le gouvernement présentait cette semaine son projet de loi sur l’avenir de la fonction publique, situé dans la droite ligne des ordonnances de 2017 sur le code du travail. Mais un autre rapport, rendu au même moment au ministre de l’Action et des Comptes publics Gérard Darmanin, soulève peut-être tout autant de questions sur l’avenir de la fonction publique. Il y est proposé une « externalisation » généralisée des services publics. Autrement dit, la sous-traitance à des entreprises privées de missions jusqu’ici accomplies dans les ministères.

Il ne s’agit plus seulement de la privatisation de la fourniture de services publics locaux comme l’eau ou les déchets, telle qu’on la connaît depuis des décennies en France. Le projet est désormais de confier au secteur privé des tâches administratives de base jusqu’ici réservées aux agents publics, notamment tout ce qui concerne le lien aux usagers, ainsi que certaines activités jugées annexes comme la restauration ou le gardiennage. La France ne manque pas de « champions » dans le secteur des services informatiques et de la sous-traitance qui pourraient profiter à plein de ces nouveaux marchés : des groupes issus du secteur des cantines scolaires qui se sont ensuite diversifiées comme Sodexo ou Elior, des firmes de services informatiques comme Atos ou Sopra Steria, ou encore des spécialistes des centres d’appel comme Teleperformance.

À qui profite la sous-traitance ?

Dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes et du Grand débat national, la proposition pourrait séduire : des services publics moins coûteux, mais au moins aussi efficaces, que demander de plus ? Les auteurs du rapport promettent des économies mirobolantes, pas moins de 25 milliards d’euros peut-être, grâce aux vertus de la « concurrence ». En réalité, ce type de marché est fortement oligopolistique, c’est-à-dire dominé par un petit nombre de firmes en position de force dans leurs négociations avec l’État. Les économies annoncées n’ont qu’une seule origine : la réduction drastique du nombre d’emplois concernés, et des salaires plus bas que ceux des fonctionnaires. Pas sûr que cela contribue à améliorer la qualité du service rendu.

Cette politique d’externalisation des services publics a déjà été appliquée à grande échelle dans un pays : la Grande-Bretagne. de nombreuses firmes françaises comme Atos ou Sodexo en ont largement profité, qu’il s’agisse de gestion des aides sociales, de prison et de services de probation, ou d’autres tâches administratives. Mais cette politique de sous-traitance tous azimuts au secteur privé s’est accompagnée de nombreux scandales (lire nos articles ici et sur Atos, ici et sur Sodexo, ici sur G4S, et pour un tableau général, l’analyse du politologue Colin Crouch ici). Dans de nombreux cas, les contrats de sous-traitance se sont révélés plus coûteux à l’usage pour les finances publiques.

Quand le gouvernement se fait dicter sa politique par les lobbys

Le rapport remis cette semaine à Gérard Darmanin a été rédigé par Olivier Duha, le PDG de l’entreprise Webhelp, spécialisée dans « l’externalisation de la relation clients » - c’est-à-dire en langage plus prosaïque dans les centres d’appel. Autrement dit une entreprise appelée à profiter directement de la politique préconisée. Pour rédiger son rapport, Olivier Duha s’est assuré le soutien du cabinet de lobbying Altermind, fondé par l’homme d’affaires et publiciste libéral Mathieu Laine, réputé proche d’Emmanuel Macron. Selon le Canard enchaîné, il s’était vanté en 2017 d’avoir convaincu ce dernier de mettre en oeuvre rapidement la suppression de l’ISF.

On verra dans quelle mesure il sera donné suite aux propositions du rapport, mais il y a de quoi être troublé : le gouvernement ne prend même plus la peine de se cacher. Il demande directement aux entreprses et à leurs lobbys de lui dicter sa politique sur les dossiers mêmes dont elles cherchent à profiter. Une démarche dans la droite ligne du comité « Action publique 2022 » mis en place par le gouvernement actuel pour réfléchir à la transformation de l’État, et qui accorde une large place à des consultants, entrepreneurs et avocats d’affaires susceptibles de profiter de son démantèlement (lire les analyses de Mediapart ici et ).

Il y a quelques semaines, le Défenseur des droits Jacques Toubon mettait en garde dans son rapport d’activité 2018 sur les conséquences humaines des politiques de privatisation. Il déplorait ainsi « l’évanescence croissante des services publics », entre dématérialisation et privatisation, et ses effets « sur les personnes pour lesquelles ils constituent souvent le principal recours ». Sur ce point comme sur d’autres, on peut craindre qu’il ne soit pas entendu.

Olivier Petitjean

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Photo : Thomas Duvrai CC via flickr

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