18.02.2016 • Agences européennes

Glyphosate : le « secret des affaires » au secours de Monsanto

L’Agence européenne de sécurité des aliments a récemment conclu à l’innocuité du glyphosate, la substance active du Roundup de Monsanto, en contradiction avec l’opinion émise auparavant par l’OMS. Elle justifie cet avis en invoquant trois études scientifiques non publiées, réalisées par des industriels. Études que l’Agence refuse de rendre publiques au nom du « secret des affaires ». Une illustration des abus auxquels peut donner lieu cette notion, alors que le Parlement européen doit se prononcer dans quelques semaines sur un projet de directive controversé.

Publié le 18 février 2016 , par Olivier Petitjean

En novembre 2015, l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA ou EFSA en anglais) rendait un avis favorable à la prolongation de l’autorisation de commercialisation du glyphosate, la substance active du Roundup, le désherbant phare de Monsanto. Pourtant, quelques mois auparavant à peine, l’Organisation mondiale de la santé avait inscrit le glyphosate dans sa liste des « cancérogènes probables ». « Improbable », avait répondu l’Agence européenne, qui proposait également, à la grande joie de la firme agrochimique américaine, que le seuil d’exposition maximal au glyphosate soit relevé de 66% [1].

Les critiques, à commencer par l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory et la journaliste Stéphane Horel, avaient immédiatement dénoncé l’influence des industriels sur cette décision de l’Agence européenne. Selon eux, une majorité des experts mis à contribution par l’AESA est en situation de conflits d’intérêts, car liés à des groupes agrochimiques. L’agence allemande qui a élaboré l’avis sur le glyphosate recourt même à des experts salariés par l’industrie : son panel chargé d’évaluer les pesticides intègre ainsi des employés de Bayer et BASF (lire notre article). En l’occurrence, 84% des experts consultés par l’Agence sur le glyphosate ont tout bonnement refusé que leur nom soit révélé au public.

Études fantômes

Pour motiver son opinion controversée, l’Agence européenne de sécurité des aliments déclare s’être appuyée en particulier sur trois études réalisées par des firmes agrochimiques [2], dont les experts de l’OMS n’avaient pas pris connaissance – et pour cause : elles n’ont jamais été publiées. Les noms de leurs auteurs n’ont pas non plus été révélés, ce que Monsanto a justifié en expliquant que ses « employés » risquaient de se retrouver « harcelés » (alors que ces études sont censées émaner d’autres firmes).

Cherchant à en savoir plus, le Corporate Europe Observatory a demandé à l’Agence de révéler la teneur de ces études, en invoquant les réglementations européennes sur l’accès à l’information. Mais l’Agence a refusé, argumentant que ces études incluaient des « secrets commerciaux » et que leur publication porterait donc atteinte à la compétitivité des firmes qui les ont produites vis-à-vis de leurs concurrentes. Argument qui paraît d’autant plus étrange à l’ONG que le brevet sur le glyphosate a expiré depuis 15 ans et que toutes les firmes qui le commercialisent coordonnent étroitement leur lobbying au sein de la « Glyphosate Task Force », sous l’égide de Monsanto. Le Corporate Europe Observatory a donc fait appel de ce refus, qui lui paraît une illustration éclatante des abus liés à l’invocation du « secret des affaires ».

La directive sur le secret des affaires soumise au vote en avril

Les velléités de législation française sur le secret des affaires, éventé au début de l’année 2015, ont avorté du fait de la levée de boucliers qu’ils ont suscité. Délibérément vague et laissant la porte ouverte à tous les abus, le projet mettait en danger aussi bien les lanceurs d’alerte et les journalistes que les employés même des firmes et leurs représentants. Mais un projet de directive européenne sur le même sujet – et comportant peu ou prou les mêmes risques – continue à avancer (lire nos articles ici et ). Adopté par la Commission des lois du Parlement européen après quelques modifications destinées à accommoder les critiques, il doit faire l’objet d’un vote en plénière en avril prochain. Le Corporate Europe Observatory et plusieurs ONG européennes ont unis leurs forces pour appeler les eurodéputés à rejeter le texte.

Les ONG revendiquent depuis des années la publication systématique des données scientifiques qui sous-tendent les avis rendus par l’AESA. Une procédure est d’ailleurs en cours au niveau de la Cour européenne de justice, suite à une plainte déposée en 2011 par Greenpeace, qui cherchait à obliger la Commission européenne à dévoiler les données scientifiques justifiant l’avis précédent de l’AESA sur le glyphosate. Les ONG ont gagné en première instance, mais la Commission - soutenue par toute l’industrie chimique - a fait appel.

L’autorisation du glyphosate a un caractère éminemment stratégique pour Monsanto car la substance est étroitement liée au développement et à la promotion de ses OGM. La majorité des plantes génétiquement modifiées actuellement cultivées dans le monde sont « Roundup ready », c’est-à-dire résistantes au glyphosate. Ce qui permet d’épandre du glyphosate sur un champ et d’y tuer toutes les plantes sauf les OGM. Les autorités européennes décideront d’ici juin si elles prolongent ou non son autorisation de commercialisation.

Olivier Petitjean

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Photo : CEO

Notes

[1Il y a quelques jours, l’ANSES - agence chargée en France de ces questions - a rendu un avis mitigé, concluant que les liens entre glyphosate et cancer n’étaient pas prouvés, mais que des recherches supplémentaires étaient nécessaires, et que la substance devaient être classée comme « cancérogène suspecté ».

[2Respectivement la firme israélienne ADAMA Agan Ltd, la firme australienne Nufarm et la firme japonaise Arysta LifeSciences Corporation.

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