27.04.2016 • Télécommunications

Le jeu trouble d’Orange au Sénégal

Pour se développer en Afrique, Orange chercherait-elle à démanteler et à faire de l’ombre à l’une de ses propres filiales ? Les salariés de la Sonatel, opérateur public de télécommunications du Sénégal, sont en conflit ouvert depuis plusieurs mois avec le groupe français, leur actionnaire principal. En cause, un projet d’externalisation qui pourrait fragiliser la Sonatel et affecter l’emploi. Orange fait de plus en plus directement concurrence à sa propre filiale en Afrique de l’ouest, au lieu de l’aider à s’étendre dans les pays voisins comme elle s’y était engagée. Explications de Mediapart.

Publié le 27 avril 2016

[Les salariés de la Sonatel] ont observé une grève de 48 heures en février et menacent d’en lancer une deuxième, plus longue. La cause : un vaste plan de transformation que veut imposer le groupe Orange à la Sonatel, dont il est actionnaire à 42,3 %. Le projet, baptisé ANO (pour « AMEA Network Optimisation »), vise à externaliser une grande partie des activités de l’opérateur sénégalais. Il prévoit notamment la création d’un « centre d’exploitation de réseau » commun à cinq filiales d’Orange (Cameroun, Côte d’Ivoire, Niger, RCA, RDC), mais aussi aux quatre entités du groupe Sonatel (Mali, Sénégal, Guinée, Guinée-Bissau). Selon ses promoteurs, cette stratégie sera bénéfique pour Orange et la Sonatel, notamment pour leur compétitivité. Ce n’est pas l’avis des salariés : ils sont même outrés qu’un tel projet ait pu voir le jour. L’externalisation va forcément entraîner une baisse des activités de la Sonatel et donc des emplois (il y a aujourd’hui 1 890 salariés directs et 40 000 indirects), disent-ils. Elle va aussi aboutir à une « perte irréversible » de l’expertise sénégalaise en matière de télécoms. (...)

Derrière l’objectif de mutualisation affiché par Orange, l’Intersyndicale en voit un autre, plus vicieux : le démantèlement de la Sonatel. « Normalement, une opération d’externalisation consiste pour une entreprise à externaliser certaines de ses activités afin de lui permettre de réduire les coûts et de se recentrer sur son cœur de métier. Là, on est en train de vivre exactement le contraire », dit Babacar Sarr [syndicaliste à la Sonatel]. Les syndicats soupçonnent Orange de vouloir externaliser la chaîne de métier de la Sonatel pour fragiliser cette dernière avant 2017, date de fin de la convention de concession signée entre la Sonatel et l’État. Tout se passe comme si Orange « s’empressait de transformer le réseau de la Sonatel et voulait se rendre incontournable avant la révision de la convention », observe Ibrahima Konté, ancien représentant syndical aujourd’hui retraité.

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Selon les syndicats, Orange bloque désormais le développement à l’international de la Sonatel (déjà présente en Guinée et au Mali), alors qu’elle s’était engagée à le favoriser. Le continent africain apparaît en effet comme de plus en plus stratégique pour le groupe français, qui cherche maintenant à s’y implanter directement, sans passer par le Sénégal.

S’y ajoutent des contentieux fiscaux dont l’Observatoire des multinationales faisait état il y a quelques semaines.

Autre illustration du « colonialisme » dénoncé par les syndicats et d’autres Sénégalais : les grandes décisions ne sont pas prises par la direction sénégalaise de la Sonatel, mais par le conseil d’administration, dominé par des Français. Y siège notamment Thierry Breton, ancien ministre des Finances, ancien PDG de France Télécom et actuel dirigeant de la firme de services informatiques Atos. « À propos de ce dernier, les ingénieurs du service informatique de la Sonatel s’interrogent : "Ils ne comprennent pas : tous les projets de développement informatique sont confiés à Atos !", rapporte un syndicaliste. »

Au fond, Orange semble chercher à faire de la Sonatel un élément parmi d’autres de sa présence en Afrique, étroitement intégré au reste du groupe et dirigé depuis la France, alors que pour les Sénégalais, la Sonatel est encore avant tout leur opérateur public de télécommunications et un potentiel « champion national ».

OP

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