01.06.2018 • Le véritable bilan des grandes entreprises françaises

Le CAC40 en a-t-il vraiment fini avec le charbon ?

« Désengagement », « sortie », « abandon »... De nombreuses multinationales du CAC40 y sont allées ces derniers temps de leur annonce en matière de lutte contre le changement climatique en ciblant prioritairement le charbon, première source d’émissions directes de gaz à effet de serre au niveau mondial. Mais derrière les effets d’annonce, où en sont vraiment les firmes énergétiques, les grandes banques et assurances et les autres industriels tricolores ? Nouvel avant-goût de notre « véritable bilan annuel » des grandes entreprises françaises.

Publié le 1er juin 2018 , par Mathieu Paris

Les énergies dites « fossiles » - charbon, pétrole et gaz - sont la première cause du réchauffement global des températures. Et parmi elles, le charbon est de loin la plus « sale », au sens où sa combustion émet le plus de gaz à effet de serre, en plus d’autres polluants locaux nuisibles à la santé. Dans son dernier bilan annuel de l’action mondiale sur le changement climatique l’ONU est claire : pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris il faut arrêter les projets de nouvelles centrales à charbon et fermer les unités existantes. Même son de cloche à l’Agence internationale de l’énergie, qui estime qu’il faut éliminer 99% de la production mondiale de charbon d’ici 2050 pour rester sous la barre fatidique des 2 degrés de réchauffement des températures.

Tout ceci explique que le charbon soit vite apparu comme une cible prioritaire pour les défenseurs du climat. De nombreuses entreprises leur ont emboîté le pas, et y ont été de leur engagement de « sortie » ou de « désinvestissement » de cette source fossile. De fait, le remplacement du charbon comme source d’énergie (souvent par le gaz) semble aujourd’hui le principal moteur des réductions d’émissions de gaz à effet de serre qu’affichent de nombreuses grandes entreprises (mais pas toutes, loin de là). Ce qui pose d’ailleurs des questions sur la manière dont elles continueront à réduire leurs émissions dans les années à venir...

Les grandes entreprises françaises ont été au premier rang pour renoncer solennellement au charbon, notamment à l’occasion de l’organisation de la COP21 à Paris, fin 2015. Mais où en sont-elles vraiment en pratique ? Telle est la question que nous nous sommes posée en préparant notre « véritable bilan annuel » des grandes entreprises françaises, qui paraîtra dans quelques semaines (pour en savoir plus sur cette publication, voir ici).

Les banques confrontées à leurs engagements

Ciblées par des campagnes citoyennes pour leur contribution au financement de mines ou de centrales au charbon, les grandes banques françaises ont été les premières à prendre des engagements solennels de désinvestissement. Le 11 décembre dernier, les Amis de la Terre ont publié un rapport montrant néanmoins que les quatre grandes banques françaises avaient encore investi 10 milliards d’euros ces trois dernières années dans des entreprises impliquées dans le charbon. Malgré les annonces faites depuis 2015, il semble que les critères d’exclusion effectivement appliqués restent pleins de trous.

Natixis (groupe BPCE) avait été la première à s’engager à « ne plus financer de centrales électriques au charbon et de mines de charbon dans le monde entier, en l’état actuel des technologie » et à écarter les sociétés dont l’activité repose à plus de 50 % sur l’exploitation de centrales électriques au charbon et/ou de mines de charbon. Selon ses propres termes, à la fin de l’année 2017, les financements de mines de charbon thermique sont nuls et d’un montant résiduel pour les financements de centrales au charbon. À l’opposé, BNP Paribas, la dernière à avoir annoncé un désengagement du charbon, est encore aujourd’hui la mauvaise élève du secteur. Quatre milliards de dollars, c’est selon les Amis de la Terre la somme total fléchée par la banque vers une quinzaine d’entreprises développant de nouvelles centrales charbon entre 2014 et septembre 2017. L’association écologiste dénonce aussi le soutien de BNP à l’entreprise allemande RWE, plus grande productrice de lignite (la forme la plus polluante du charbon) de l’Union européenne, qui poursuit l’expansion de sa mine de Garzweiler en Allemagne. En 2015, la banque n’avait pris qu’un engagement frileux, avec un arrêt des financements seulement dans les pays développés. Elle a annoncé un an plus tard l’extension de cet engagement à l’échelle mondiale.

Pour la Société générale, le discours a le mérite d’être plus clair, et les chiffres précis. En 2017, le charbon représentait toujours 22,4% de la production d’électricité financée par la banque, avec un objectif de ramener cette part à 19% d’ici 2020, en plus de son arrêt des financements des activités liées au charbon. Une diminution qui paraît bien faible alors que la banque indique « réduire ses activités liées au charbon pour s’inscrire, d’ici 2020, sur la trajectoire du scénario 2° de l’AIE ». Ce qui pourrait s’expliquer par le fait qu’elle n’a pas clairement coupé ses relations avec les entreprises du charbon mais seulement définis des « critères spécifiques d’entrée en relation ».

En octobre 2016, un jour avant la Société Générale, le Crédit Agricole s’était engagé à ne plus financer de nouvelles centrales ou d’extension de centrales électriques au charbon. Mais dès janvier 2017, les Amis de la Terre ont dénoncé le soutien de la banque au projet d’extension de 660 à 1660 MW de la centrale à charbon de Cirebon en Indonésie. Sous pression, la banque a renoncé à ce projet. Mais alors qu’on peut lire dans son dernier rapport annuel que les engagements de la banque sont de plus de 5% dans le pétrole et le gaz, rien n’est dit sur la place du charbon.

Les assureurs également pointés du doigt

Côté assureurs, dont le rôle est pourtant de reconnaître les dangers qui menacent la société, le chemin est encore long. Axa a été la première compagnie d’assurance mondiale à s’engager à réduire ses investissements dans le secteur du charbon, dès 2015. En décembre dernier, le groupe annonce de nouvelles mesures fortes incluant des critères d’exclusion inédits dans le secteur du charbon et des sables bitumineux. Pourtant, avec 126 millions d’euros investis dans les entreprises du charbon polonais, Axa reste, par l’intermédiaire d’un fonds de pension, un des premiers financeurs du secteur en Pologne. Elle explique respecter la loi polonaise obligeant à investir plus de 70% de ces actifs dans les entreprises cotées à la bourse du pays. Mais rien ne l’oblige à choisir des entreprises du secteur du charbon. Les Amis de La Terre ont appelé le groupe à « appliquer la politique adoptée en décembre à l’ensemble des actifs dont il est responsable et au-delà de ses actifs pour compte propre » afin d’exclure véritablement toute possibilité de financement aux entreprises du secteur du charbon.

Le réassureur SCOR (qui assure les assureurs) a annoncé quant à lui, ne plus vouloir fournir « d’assurance ou de réassurance facultative » pour des projets d’exploitation « de nouvelles mines de charbon thermique ou de mines et d’usines d’exploitation de lignite ». Une mesure limitée selon les Amis de la Terre, dans la mesure où cet engagement ne concerne ni les nouvelles centrales prévues qui auront besoin d’un réassureur pour ouvrir, ni celles déjà existantes. SCOR reste l’un des réassureurs de PZU, l’assureur en charge de 80% des mines du pays.

Les géants français de l’énergie sont-ils vraiment devenus plus verts ?

À l’instar des banques, les géants français de l’énergie ont sauté sur l’occasion de la COP21 pour annoncer leur sortie du charbon. Y compris Total, qui ne détenait pourtant que des actifs marginaux dans le secteur, dont elle cherchait à se défaire depuis un an, mais qui en a profité pour s’acheter à bon prix une image verte.

Du côté d’Engie, qui elle possédait de véritables actifs dans le charbon, le bilan des engagements est mitigé. Depuis son annonce, ses capacités de génération d’électricité issue du charbon sont passées de 13% à 7%. Mais alors que le groupe se veut désormais un leader de la transition énergétique, il n’a fermé que quatre centrales, et en a revendues neuf autres. Des cessions d’actifs qui ne contribuent en rien à lutter contre le changement climatique — au contraire peut-être, puisque les nouveaux exploitants peuvent être tentés d’accélérer la production pour rentabiliser leur investissement.

De plus, Engie possède toujours 16 autres centrales à charbon et s’apprête à en mettre trois nouvelles en service au Maroc, au Chili et au Brésil (où elle sera immédiatement revendue), revendiquant honorer des contrats signés avant 2015. Engie gère aussi, avec la ville de Paris, la CPCU (Compagnie parisienne de chauffage urbain), une société d’économie mixte qui alimente en chauffage un tiers des Parisiens. Si le fioul y est progressivement remplacé par le gaz, 14,1% de son mix énergétique était encore composé de charbon en 2017 sur son site de Saint-Ouen.

L’autre grand énergéticien français, EDF, a annoncé un désengagement du charbon, rajoutant le 15 mai dernier que le groupe visait une réduction de 40% de ses émissions en 2030, notamment « en fermant ou en adaptant des centrales au charbon et au fioul ». L’État a réaffirmé dans son plan climat de décembre 2017 sa volonté de fermer les centrales thermiques et à charbon d’ici 2022. Avec la fermeture récente de celle de Porcheville, il reste encore quatre centrales à charbon en activité en France. Comme celle du Havre, mise en lumière l’été dernier par des révélations du Canard Enchaîné. Le journal accuse Édouard Philippe, ancien maire du Havre, d’avoir favorisé le passage de la gestion d’un réseau de chauffage à Dalkia-Cram, filiales d’EDF, pour justifier la poursuite du fonctionnement de la centrale. Quelques jours plus tôt, le contrat avait été cassé par le tribunal administratif avant d’être attribué temporairement, en délégation de service public, à Résocéane, une autre filiale d’EDF. Selon une enquête de Reporterre, l’actuel Premier ministre ferait tout pour que « sa centrale » fonctionne jusqu’en 2035, bien quelle soit toujours très polluante malgré sa rénovation et l’installation de nouveaux filtres.

En 2017, le charbon représentait 4% de la capacité installée et la production d’électricité d’EDF dans le monde. En France, le groupe passe par l’expérimentation d’un mix de charbon et de « biomasse » issue des déchets de taille et d’élagages pour remplacer ses unités fonctionnant au seul charbon. À Cordemais, en Loire-Atlantique, le groupe a démarré des essais dans le cadre du projet « Ecocombust » et espère pouvoir vendre cette technologie à l’international par la suite. En attendant, le parc charbon de la France n’a que très peu évolué entre 2015 et 2017, alors qu’il avait connu une forte baisse depuis 2012, selon les chiffres du bilan électrique annuel de RTE. En 2017 la production d’électricité en France a même nécessité une hausse de 33,1% de la filière charbon, ce qui explique en partie que pour la troisième année consécutive les émissions de CO2 liées à la production d’électricité soient à la hausse en France. Ces émissions ont atteint près de 28 millions de tonnes, soit une augmentation de 20,5% par rapport à 2016 alors que la consommation restait stable.

LafargeHolcim et ArcelorMittal, des industriels bien discrets

Deux autres entreprises du CAC 40 sont gourmandes en charbon malgré leur silence discret sur cette question. Il s’agit de Lafarge et d’ArcelorMittal. Pour la première, très peu d’informations récentes sont disponibles, si ce n’est que le charbon et le coke, un composé minéral dérivé du charbon, représentent 67% du mélange d’énergie thermique dans la production de clinker, un constituant du ciment. La seconde est un peu moins avare de détails. À la lecture de ses documents officiels, on apprend que 74% de ses consommations énergétiques en France proviennent du charbon et du coke. Ou encore qu’en 2016, plus de 6,5 millions de tonnes de charbon ont été nécessaires pour produire 9,7 millions de tonnes d’acier en France. C’est au niveau mondial, l’équivalent de ce que le groupe extrait annuellement lui-même grâce à ses nombreuses mines au Kazakhstan et à celle de Princeton, aux États-Unis.

Le soutien assumé de Veolia au secteur du charbon

Veolia est le groupe qui semble assumer le plus clairement son soutien au charbon. Dans la communication du groupe il est peu fait mention de ses propres consommations de charbon, notamment pour les réseaux de chauffage urbain. Dans son rapport annuel 2017, le groupe indique être en train de réfléchir à son positionnement sur la production d’énergie à partir de charbon. Cependant, au-delà de sa consommation directe, Veolia se revendique comme un partenaire majeur de l’industrie du charbon, à laquelle elle vend ses services pour recycler les eaux usées produites par l’industrie et les mines, mais aussi alimenter les mines en eau et en air comprimé.

Veolia est par exemple présente sur ce créneau en Europe de l’Est et particulièrement en République tchèque où elle travaille avec OKD, le plus grand groupe d’extraction de charbon du pays. Dans un article publié sur le site du groupe en juin 2017 et intitulé « Créer de la valeur pour l’industrie minière », le groupe explique permettre à son client de « de tirer le meilleur parti de ses actifs énergétiques ».

Mathieu Paris

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Photo : Bert Kaufman CC via flickr

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