24.03.2017 • France

Le Conseil constitutionnel censure partiellement la loi sur le devoir de vigilance des multinationales

Le Conseil constitutionnel a décidé de censurer la loi sur le devoir de vigilance des multinationales sur un point central : la possibilité d’infliger une amende aux firmes qui ne respecteraient pas leur obligation de « prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales ». Une nouvelle demi-victoire (ou demi-défaite) pour cette législation au parcours laborieux.

Publié le 24 mars 2017 , par Olivier Petitjean

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : il censure partiellement la loi sur le « devoir de vigilance » des multinationales, finalement adoptée par le Parlement il y a un mois. Cette loi vise - pour la première fois - à rendre les sociétés mères basées en France juridiquement responsables des atteintes graves aux droits humains occasionnées directement ou indirectement par leurs activités (lire notre article). Aujourd’hui, il est quasi impossible de poursuivre une marque de textile ou de grande distribution pour les mauvaises conditions de sécurité chez leurs fournisseurs au Bangladesh (malgré la catastrophe du Rana Plaza en 2013 qui a fait plus de 1100 victimes), ou encore une firme pétrolière pour les pollutions qu’elle occasionne au Nigeria ou ailleurs.

Les craintes étaient vives que le Conseil constitutionnel ne donne le coup de grâce à une loi dont l’adoption aura été longue et laborieuse. Au cours des dernières années, il a en effet censuré plusieurs mesures législatives ciblant les multinationales, notamment en matière fiscale, en invoquant des atteintes à la liberté d’entreprendre ou au secret des affaires (sur ce point, lire notre enquête Quand le Conseil constitutionnel se fait le gardien des intérêts des grandes entreprises). Il y a quelques jours encore, les Sages ont censuré - une nouvelle fois en invoquant la liberté d’entreprendre - une loi visant à lutter contre l’accaparement des terres agricoles en France, portée par le député Dominique Potier (PS), également fer de lance de la loi sur le devoir de vigilance.

En l’occurrence, les Sages n’ont censuré qu’une seule disposition de la loi : la possibilité d’imposer une amende à l’entreprise au cas où elle manquerait à ses obligations de publier un plan de vigilance et de le mettre en œuvre effectivement. La loi prévoyait jusqu’à 10 millions d’euros d’amende, celle-ci pouvant être triplée si ce manquement avait occasionné des préjudices réels. Le Conseil constitutionnel a estimé que la formulation de la loi - « prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales » - était trop vague pour justifier une amende.

Décision ambivalente

La décision des Sages, très ambivalente, crée une grande incertitude quant à l’application effective de loi. D’un côté, le Conseil constitutionnel supprime toute sanction effective à l’encontre des entreprises, de sorte que la loi apparaît encore plus inoffensive qu’elle ne l’était. D’un autre côté, pourtant, il valide le principe selon lequel une entreprise pourrait voir sa responsabilité mise en cause pour des atteintes graves humains occasionnées par ses activités. Ce qui reste une première sur le plan juridique. Le Conseil a également souligné l’objectif d’intérêt général porté par la loi, ce qui revient à admettre implicitement qu’elle ne comporte pas d’atteinte excessive à la liberté d’entreprendre.

Au final, les dispositions concernant directement les entreprises en interne - l’établissement d’un plan de vigilance pour prévenir les atteintes aux droits humains - sont clairement validées. En revanche, en ce qui concerne l’accès à la justice des victimes, sans parler de la réparation des préjudices, la question ne semble pas encore vraiment résolue.

L’AFEP (Association française des entreprises privées), qui représente le CAC40 et a mené une bataille farouche contre la loi, n’a pas caché une certaine déception vis-à-vis de la décision des Sages dans son communiqué de presse. Le lobby des multinationales tricolores déplore que « la France fasse le choix d’imposer par la loi aux entreprises des contraintes fortes à caractère large et indéterminé pouvant engager leur responsabilité civile ».

Tout en regrettant la censure de l’amende civile, qu’il ne juge « pas irréductible », Dominique Potier préfère saluer l’entrée en vigueur de la loi : « C’est un nouveau pas pour la dignité de tous les « invisibles » dont les droits sont trop souvent méprisés au bout du monde. » Du côté des ONG, on considère aussi que le Conseil constitutionnel a validé « l’essentiel de la loi ». Les regards se tournent désormais vers le niveau européen et international (notamment le projet de traité de l’ONU sur la responsabilité juridique des multinationales.)

Olivier Petitjean

Post-scriptum : De plus en plus critiqué ces derniers mois pour sa complaisance à l’égard du lobbying dont il fait l’objet, le Conseil constitutionnel a décidé de publier pour la toute première fois la liste des « contributions extérieures » qu’il a reçues dans le cadre de l’examen de la loi sur le devoir de vigilance. Certaines émanent des syndicats et ONG qui ont défendu la loi ; les autres de l’AFEP, du Medef et de plusieurs autres associations patronales comme la Fédération du commerce et de la distribution [1] ou le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales. La teneur de ces contributions, par contre, reste secrète. Seule la contribution des ONG a été faite de manière transparente.

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Photo : © Benoît Teillet /Conseil constitutionnel

Notes

[1Elle représente notamment les enseignes Carrefour et Auchan, mises en cause dans le drame du Rana Plaza. Lire notre enquête.

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