12.02.2019 • Marchands d’influence

De Paris à Bruxelles et à Washington, Publicis orchestre le lobbying de l’Arabie saoudite

De Bruxelles à Washington en passant par Paris, le régime saoudien fait appel aux services d’armées de lobbyistes et de communicants pour faire taire les critiques sur la guerre au Yémen et les droits humains. Plusieurs filiales du groupe français Publicis jouent un rôle clé au coeur de cette stratégie d’influence.

Publié le 12 février 2019 , par Olivier Petitjean

Le principal lobbyiste de l’Arabie saoudite et de ses dirigeants sur la scène internationale s’appelle... Publicis. Le groupe français dirigé par Maurice Lévy et dont Elisabeth Badinter est la première actionnaire apparaît comme l’un des principaux chefs d’orchestre, via sa filiale MSL (à Bruxelles et à Paris) et Qorvis (à Washington), de la stratégie d’influence du royaume saoudien et de son prince dirigeant Mohammed Ben Salman (‘MBS’). Et ce au moment même où le régime était accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le cadre de la guerre au Yémen, et se retrouvait sous le feu des critiques pour sa complaisance envers l’extrémisme islamiste et pour ses violations des droits humains, et notamment des femmes. Sans parler de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi (lire notre article : Affaire Khashoggi : les multinationales se désolidarisent du régime saoudien (mais pas toutes)).

C’est l’ONG bruxelloise Corporate Europe Observatory qui a mis en lumière le rôle central de Publicis/MSL dans l’offensive de charme de l’Arabie saoudite à Bruxelles (lire leur enquête, en anglais). On pourrait croire que les pays comme l’Arabie saoudite disposent déjà d’une représentation diplomatique à Bruxelles et qu’ils n’ont pas besoin de recourir en plus aux services de cabinets de lobbying, comme le feraient de simples entreprises. En réalité, c’est une pratique courante, en particulier pour les régimes dictatoriaux (lire cet article de Basta !, rendant compte d’une précédente enquête de Corporate Europe Observatory).

Parmi les services rendus par MSL au régime saoudien, la gestion de leur site web et de leurs réseaux sociaux dans la capitale de l’UE, l’organisation de rencontres avec des parlementaires européens et autres décideurs bruxellois, la propagation d« ’éléments de langage » décrivant l’Arabie saoudite comme un rempart contre le terrorisme et sa guerre au Yémen comme une opération humanitaire, ou encore le placement dans les médias d’articles peignant le régime sous un jour favorable.

Les lobbyistes préférés des princes saoudiens sont français

Parmi les parlementaires européens les plus sensibles à ces arguments, on retrouve des personnalités bien connues comme Michèle Alliot-Marie et Rachida Dati. Toutes deux sont des membres éminentes du groupe parlementaire dédié aux relations avec la péninsule arabique, et se sont opposées avec vigueur à toutes les résolutions du Parlement européen visant à cesser les ventes d’armes au royaume saoudien. Toute cette activité d’influence s’exerce dans la plus grande opacité puisque, comme le relève Corporate Europe Observatory, MSL n’a pas respecté ses obligations de transparence dans ce domaine.

De l’autre côté de l’Atlantique, Qorvis MSL est l’une des principales firmes de lobbying employées par l’Arabie saoudite à Washington, avec un budget de presque 300 000 dollars par mois. Contrairement au contrat bruxellois de MSL qui semble avoir cessé au grand dam de Publicis, ce contrat est toujours en cours. Alors même que d’autres firmes de lobbying de Washington ont rompu leurs liens avec l’Arabie saoudite au moment de l’affaire Khashoggi. Qorvis est réputé pour offrir ses services à plusieurs régimes douteux, comme ceux du Bahrein ou de la Guinée équatoriale.

En France également, comme le révélait récemment un article de Challenges, le groupe Publicis a été rémunéré à hauteur de 35000 euros par mois pour soigner l’image de l’Arabie saoudite, mise à mal par la guerre au Yémen et l’affaire Khashoggi, à grand coups de rencontres avec des journalistes dans des palaces parisiens et d’événements de prestige. Des largesses dont ont également bénéficié son concurrent Havas (groupe Vivendi) ou encore Steele & Holt, cofondée par Sylvain Fort, conseiller en communication d’Emmanuel Macron jusqu’en janvier 2019. Des activités qui, là encore, ne sont mentionnées ni par Publicis ni par Havas sur le registre du transparence du lobbying mis en place en 2017.

Le royaume saoudien ne lésine visiblement pas sur la dépense pour soigner ses relations publiques, et les communicants français n’hésitent pas à répondre à l’appel.

Olivier Petitjean

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Photo : US Secretary of State CC via flickr

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