18.03.2015 • Nucléaire

Bouygues jugé pour travail illégal sur le chantier de l’EPR

Bouygues a joué « un rôle central » dans le recours au travail dissimulé de centaines d’étrangers sur le chantier de l’EPR de Flamanville entre 2008 et 2012 : ce sont les conclusions du Parquet de Cherbourg qui a requis 150 000 euros contre le géant du BTP ce vendredi 13 mars. Une amende qui paraît bien faible au regard des faits mis à jour par le procès et des bénéfices réalisés par le groupe de BTP grâce au système de contournement du droit du travail qu’il a mis en place.

Publié le 18 mars 2015 , par Nolwenn Weiler

Les sous-traitants auxquels Bouygues avait recours ont également été mis en cause : 80 000 euros ont été requis contre l’entreprise roumaine Elco. Une agence d’intérim ayant son siège en Irlande et des bureaux fictifs à Chypre, Atlanco Limited, a écopé de 225 000 euros d’amende. Absente pendant toute la durée du procès, cette entreprise « n’a qu’un objectif, contourner le paiement des cotisations sociales en France (...) au mépris des droits des travailleurs », a estimé le procureur, qui a demandé à ce que la société off-shore soit interdite d’exercer en France. Autres entreprises incriminées : la filiale de Bouygues, Quille Construction, et la société nantaise Welbond.

Les entorses au droit du travail sur le chantier de la centrale nucléaire sont dénoncées depuis longtemps. Jacques Tord, chargé de mission CGT sur le site, a ainsi souligné dès 2008 des manquements graves en terme de sécurité, et les conditions de vie indignes des travailleurs étrangers. L’autorité de sureté nucléaire (ASN), compétente en matière d’inspection du travail sur les chantiers nucléaires, a pointé diverses « irrégularités » dès 2009, dont la sous-déclaration des accidents du travail. Cette même année, Jacques Paget, responsable de la sécurité de Bouygues, a exercé son droit d’alerte et de retrait, suite à la découverte d’un taux d’accidents très élevé. Il a connu le sort réservé à ceux qui privilégient l’éthique : il a été licencié.

La Justice s’est penchée sur le dossier à partir de 2011. Suite au premier accident mortel survenu sur le chantier, le procureur de Cherbourg Eric Bouillard ouvre une enquête pour homicide involontaire. Puis, il lance d’autres enquêtes, notamment pour travail dissimulé. Les auditions, perquisitions et saisies durent deux ans, jusqu’au renvoi en correctionnelle du géant du BTP, la semaine dernière. Absentes du procès, les principales victimes, à savoir les salariés « fantômes » ont souffert de divers « manquements » : pas de congés payés, ni de couverture santé et chômage, des salaires plus bas que ceux de la convention collective, des horaires ultra flexibles, des durées hebdomadaires de travail irraisonnables. Autres victimes collatérales : l’Urssaf et les impôts, qui ont perdu plus de 22 millions d’euros. Ils pourront, en fonction du jugement, demander un recouvrement.

Montages juridiques complexes

Lire à ce propos les compte-rendus détaillés du procès par Pascale Pascariello pour Mediapart, ici et ici (abonnement), qui reviennent notamment sur le détail des montages juridiques complexes mis en place par Bouygues pour déroger au droit du travail :

Bouygues, en charge du ferraillage et du bétonnage sur l’EPR, a organisé le chantier en créant un groupement de trois sociétés : Bouygues, sa filiale Quille et Welbond, PME nantaise d’environ 65 salariés. Dans ce montage juridique, étonnamment le responsable est Welbond. Dans les faits, c’est bien Bouygues qui dirige.

Les ouvriers roumains sont embauchés par Elco et les polonais sont recrutés par Atlanco, boîte d’intérim au siège irlandais qui passe par des bureaux fictifs à Chypre. Cette nouvelle forme de commerce triangulaire vise à profiter des meilleurs taux d’imposition européens. Comme le notent les enquêteurs, les paiements des prestations d’Atlanco par Bouygues passent par Chypre mais sont encaissés dans une banque irlandaise à Northampton. Rappelons également que l’un des responsables d’Atlanco en France n’est autre qu’un ancien cadre Bouygues…

L’audience a montré combien cette question des travailleurs détachés est un sujet mal encadré par une législation européenne complexe qui profite aux multinationales conscientes de la difficulté qu’ont les États d’en contrôler l’application. Ainsi, les discussions entre avocats de la défense et le procureur de la République sont à la fois techniques et désordonnées. Technique, au point d’en oublier les salariés étrangers, principales victimes de ce système. Désordonnées du fait de la multiplicité des montages juridiques visant à contourner le droit du travail mis en place par Bouygues pour diluer sa responsabilité.

Au final, et de l’aveu même du procureur, les amendes encourues paraissent bien faibles au regard des économies réalisées par Bouygues en recourant à ce système de contournement du droit social. Et Pascale Pascariello de commenter : « Quant aux peines complémentaires, le procureur a tenu à préciser du bout des lèvres et sans aucune explication qu’il ne demandait pas une exclusion du groupe, même temporaire, des marchés publics. Au vu de l’ampleur de la fraude et de la mise en cause de la responsabilité du groupe, cette exclusion serait la seule peine de nature à rappeler à l’ordre Bouygues et l’ensemble des multinationales du BTP. »

Nolwenn Weiler (et Olivier Petitjean)

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Photo : Wikimedia Commons cc

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