15.12.2016 • Droits des travailleurs

Dans une mine au milieu du désert australien, Sodexo met les travailleurs sous surveillance totale

Il y a quelques mois, Sodexo annonçait avoir signé avec Rio Tinto, le géant minier, un contrat de 2,5 milliards de dollars australiens (1,8 milliards d’euros) pour gérer pendant dix ans ses installations minières dans l’Ouest de l’Australie. Selon le quotidien britannique The Guardian, ce contrat inclut la mise en place d’une dispositif totalement inédit de surveillance des moindres mouvements des travailleurs employés sur le site, qui pourrait impliquer l’utilisation de drones. De quoi inquiéter aussi bien les défenseurs des libertés individuelles que les syndicats.

Publié le 15 décembre 2016 , par Olivier Petitjean

Dans un coin perdu de l’Ouest de l’Australie, Rio Tinto possède un immense exploitation de fer : la mine de Pilbara. Celle-ci fonctionne sur le modèle du fly in fly out, c’est-à-dire que les mineurs viennent y travailler par avion pour une certaine période de temps, avant de repartir chez eux se reposer, et ainsi de suite. Selon le Guardian, le complexe comprend « trois ports, six villages, trois aéroports, 15 sites opérationnels, 42 sites d’hébergement, 134 équipements, 336 bâtiments commerciaux et 3259 bâtiments résidentiels ». La gestion de l’ensemble est confiée, depuis cette année, à l’entreprise française Sodexo, qui y a mis en œuvre des « innovations » qui suscitent beaucoup d’inquiétudes.

Voici ce qu’en dit le Guardian :

Dans le cadre de ce contrat, Sodexo est en train d’accroître considérablement la surveillance des installations de Rio Tinto à Pilbara à travers une plateforme qui transmet en direct un flux d’informations vers une station de supervision à Perth employant 50 personnes.

« Cela nous donne des aperçus et des données chiffrées utilisables en temps réel sur nos équipements et le mouvement des individus, la satisfaction de nos clients, et même les dépenses effectuées sur le site », nous a écrit Weston [un cadre local de Sodexo, NdE]. « Notre but est d’en arriver au point où nous pouvons avoir une information individualisée sur où et comment les employés passent leur temps et dépensent leur argent, afin d’améliorer leur qualité de vie. »

« À terme, Sodexo projette d’ajouter des capteurs aux réverbères et aux poubelles, et nous avons déjà des expérimentations prévues avec des drones. »

Sont d’ores et déjà mis en oeuvre le traçage par GPS des mouvements des véhicules, ainsi que des réseaux d’eau intelligents qui alertent les opérateurs sur le déclin des ressources ou sur la dégradation des canalisations à un point où elles requièrent une réparation.

Lire l’intégralité de l’article sur le site du Guardian (en anglais).

Inquiétudes

Ces révélations ont suscité l’inquiétude aussi bien des défenseurs de la vie privée et des libertés individuelles que des syndicats et des médecins du travail. Les premiers soulignent les multiples utilisations problématiques qui pourraient être faites de ces données : surveillance et répression des activités syndicales, identification des éventuels lanceurs d’alerte, collaboration avec des enquêtes policières et judiciaires, etc. Les seconds craignent les conséquences pour l’emploi et les conditions de travail. À un moment où l’industrie minière australienne a connu de nombreuses restructurations et suppressions d’emploi, l’installation de ces dispositifs de surveillance pourrait avoir pour effet d’augmenter encore la pression sur les salariés, voire fournir à Rio Tinto les données nécessaires pour mettre en œuvre des mécanismes d’automation supplémentaire de ses opérations.

Sodexo est surtout connue en France pour ses prestations dans le domaine de la restauration collective, mais la firme française a depuis longtemps étendu ses activités à la gestion intégrale d’équipements collectifs comme des prisons ou des centres de détention pour migrants. Elle a également développé des services dans la « motivation » et la « qualité de vie » des salariés.

Le Guardian précise avoir tout d’abord été approché par Sodexo pour publier un article promotionnel sur les nouvelles expérimentations que la firme mettait en œuvre dans la zone de Pilbara. Lorsque les journalistes ont commencé à s’intéresser de plus près aux dispositifs effectivement mis en place et à leurs implications, Sodexo et Rio Tinto ont cherché à entraver leurs efforts. Suite à la publication de l’article du quotidien britannique, Sodexo a précisé que l’utilisation de drones n’était qu’un projet, et que les données collectées l’étaient conformément à la législation australienne.

Reste que l’entreprise française a clairement conçu son contrat australien comme un projet pilote qu’elle pourrait vendre ensuite à d’autres entreprises ou à des collectivités locales. Bienvenue dans le meilleur des mondes.

Olivier Petitjean

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Photo : Wikimedia Commons CC

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