15.06.2015 • Textile

Drame du Rana Plaza : toujours en quête de justice

Le débat ouvert par le drame du Rana Plaza n’est pas sur le point de se refermer. Une nouvelle plainte vient d’être déposée contre le groupe Auchan du fait de ses relations d’affaires avec l’un des ateliers textiles implantés dans l’immeuble qui s’est effondré en avril 2013, faisant plus de 1130 victimes. Au même moment, une controverse éclatait en France après la révélation que les deux principaux partis politiques du pays faisaient fabriquer leurs T-Shirts au Bangladesh, par une entreprise impliquée dans deux catastrophes industrielles. Du côté des bonnes nouvelles, la pression ininterrompue de la société civile a fini par porter ses fruits : le financement du fonds de compensation des victimes du Rana Plaza vient enfin d’être bouclé.

Publié le 15 juin 2015 , par Olivier Petitjean

Une première plainte avait été déposée l’année dernière en France contre Auchan par trois associations - Sherpa, Peuples solidaires et le collectif Éthique sur l’étiquette - pour « pratiques commerciales trompeuses ». En cause, la communication « éthique » d’Auchan, visant à se positionner comme enseigne responsable, alors que des étiquettes de sa marque In Extenso avaient été retrouvées dans les décombres de l’immeuble du Rana Plaza. Auchan s’est toujours défendue en alléguant qu’il s’agissait un cas de sous-traitance « sauvage » (l’un de ses sous-traitants officiels ayant fait appel à un autre sous-traitant pour honorer sa commande), dont elle n’était ni informée ni responsable. Le parquet avait ouvert une enquête préliminaire, puis classé la plainte sans suite au début de l’année 2015, estimant que la tromperie n’était pas suffisamment caractérisée.

Les associations ont décidé de déposer une nouvelle plainte le 10 juin, comme le droit français leur en donne la possibilité, cette fois avec constitution de partie civile. En effet, elles ont mené entre-temps à des enquêtes supplémentaires, concluant que « les violations des droits humains au travail persistent dans les usines d’Auchan, et sont loin d’être le fait unique d’une sous-traitance qui aurait été dissimulée par l’un de ses fournisseurs » (lire leur communiqué de presse). Elles dénoncent également le caractère superficiel de l’enquête interne menée par Auchan.

Au Bangladesh aussi, les procédures judiciaires se poursuivent, puisque le propriétaire de l’immeuble Rana Plaza, Sohel Rana, vient d’être officiellement mis en examen pour meurtre. « Cela a été un assassinat de masse. (...) Ils [Rana et les autres propriétaires] ont discuté et décidé de garder l’atelier ouvert. Ils ont envoyé les ouvriers à la mort de sang-froid », a déclaré à la presse le chef des enquêteurs. Sept autres propriétaires d’ateliers et trois ingénieurs gouvernementaux sont aussi inculpés.

’What would Jaurès do ?’

Dans le même temps, l’actualité politique française est venue montrer que les logiques économiques sous-jacentes aux mauvaises conditions de travail et à l’insécurité dans les usines textiles du Bangladesh sont malheureusement encore bien en place.

Marianne a signalé que les T-Shirts vendus par les Républicains (ex-UMP) dans leur toute nouvelle boutique en ligne étaient fabriqués au Bangladesh pour le compte d’une firme française, Solo Invest, impliquée selon l’hebdomadaire dans deux catastrophes industrielles, celle de Smart Fashion (incendie survenu en janvier 2013, et qui a fait 7 victimes) et celle de Spectrum (un effondrement d’usine en 2005 qui a fait 64 victimes). « Nous étions pressés par les délais et nous avions des impératifs économiques », s’est justifié le parti.

En réponse à ces allégations, la société Solo Invest a fait savoir qu’elle n’est pas impliquée dans le drame du Rana Plaza (comme l’avaient suggéré par erreur certains titres de presse) ni dans celui de Smart Fashion (il s’agirait d’un cas de sous-traitance sauvage). La firme déclare œuvrer « depuis plus de 15 ans pour que ses salariés puissent travailler dans la dignité, avec un salaire et des conditions décentes » et indique qu’elle « ne laissera pas sa réputation être impunément salie ».

Dans le cadre du Congrès national du Parti socialiste qui vient de se tenir à Poitiers, des journalistes de Canal+ ont identifié des T-shirts portant l’inscription « What would Jaurès do ? », eux aussi fabriqués au Bangladesh par Solo Invest. « En tout cas, Jaurès n’aurait pas fait fabriquer ses T-Shirts au Bangladesh », a commenté le journaliste.

Fonds d’indemnisation

Au même moment, en revanche, l’Organisation internationale du travail, en charge de mettre en place le Fonds officiel de compensation des victimes du Rana Plaza, annonçait avoir enfin collecté les sommes nécessaires auprès des multinationales du secteur textile. Beaucoup traînaient les pieds, notamment par peur qu’un tel geste soit considéré comme une reconnaissance de responsabilité dans la catastrophe. La somme totale requise pour indemniser les familles des 1134 victimes et les blessés n’était pourtant que de 30 millions de dollars US.

Commentaires du Monde : « Il a fallu plus de deux ans pour rassembler une somme pourtant infime au regard des milliards d’euros que représentent les bénéfices cumulés de l’industrie du textile. »

Olivier Petitjean

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Photos : décombres du Rana Plaza, décembre 2014, NYU Stern BHR CC

Boîte Noire

Article modifié le 17 juin à 18 heures pour intégrer les déclarations de la société Solo Invest.

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