13.10.2014 • Services publics

Eau et électricité : les villes marocaines refusent les arrangements de Veolia

Dans le cadre de son « plan de désendettement », Veolia souhaitait revendre ses concessions d’eau et d’électricité dans plusieurs villes marocaines, dont Tanger et Rabat, au fonds d’investissement britannique Actis. Une opération purement financière, bouclée sans même consulter les collectivités concernées. Mais les élus marocains ont refusé d’approuver la transaction, et prépareraient désormais une remunicipalisation de ces services. Certaines voix s’élèvent même pour que Veolia soit congédiée sans indemnités, alléguant de multiples violations de ses obligations contractuelles de la part de la multinationale française.

Publié le 13 octobre 2014

Les services publics des principales villes marocaines ont été concédés aux multinationales françaises Veolia et Suez environnement dans les années 1990 et au début des années 2000. Veolia fut chargée de gérer les services d’eau, d’assainissement et d’électricité de deux des principales agglomérations urbaines du Maroc, celles de Rabat-Salé et de Tanger-Tétouan, pour 15 et 10 ans respectivement, via deux filiales distinctes : Redal pour Rabat-Salé et Amendis pour Tanger-Tétouan. Dans l’autre grande métropole du Maroc, Casablanca, c’est Suez qui gère le service d’eau et d’électricité, dans des conditions tout aussi controversées (lire Eau et électricité : la Cour des comptes de Casablanca dénonce les manipulations financières de Suez environnement).

Passage de témoin programmé

Depuis quelques années, Veolia ne cachait pas son souhait de se retirer de ces marchés, qu’elle jugeait apparemment pas assez profitables (bien que Redal et Amendis aient réalisaient toutes deux des bénéfices).

Eb 2013, Veolia a annoncé avoir trouvé un acquéreur : un fonds d’investissement britannique appelé Actis. Actis est issu d’une institution financière publique britannique d’aide au développement, la Colonial Development Corporation, privatisée depuis. Il se présente comme spécialiste des services et infrastructures collectifs dans les marchés « émergents ». Ses actifs (principalement dans le secteur de l’électricité en Afrique) représenteraient environ 5 milliards de dollars US.

Actis est représentative d’une nouvelle génération d’acteurs financiers impliqués dans la privatisation des services publics en Afrique - Eranove (ex Finagestion), implantée en Côte d’Ivoire et au Sénégal, en constitue un autre exemple [1]. L’objectif avoué d’Actis en acquérant Redal et Amendis était de construire des « champions africains » qui pourraient ensuite s’étendre dans tout le continent pour y reprendre des services d’eau. Le projet concret - lui aussi explicitement avoué - était surtout de restructurer les deux firmes pour les rendre plus profitables, et de les revendre à profit au bout de 6 ou 7 ans.

Les villes refusent l’accord

L’accord entre Veolia et Actis, cependant, restait sujet à l’approbation des autorités municipales. Au cours des mois de mai et juin 2014, les municipalités de Témarra, Salé, Rabat, Tanger et Tétouan refusèrent l’une après l’autre de valider l’accord. Elles décidèrent aussi dans la foulée de racheter les parts de Veolia dans le service de l’eau et de l’électricité. (Sept municipalités rurales plus petites avaient auparavant validé l’accord.) Les élus justifièrent leur décision en invoquant les précédents internationaux de villes reprenant leur service d’eau des mains d’entreprises multinationales et la tendance actuelle à la remunicipalisation en Europe et ailleurs.

Plus généralement, ce choix semble avoir été fondé sur trois ordres de raisons. Tout d’abord, les élus en voulaient à Veolia d’avoir scellé un accord avec Actis basé sur des considérations purement financières, et sans jamais les consulter. Ils étaient tout aussi insatisfaits des projets explicites d’Actis de ne garder Redal et Amendis que pour quelques années avant de les revendre moyennant un copieux bénéfice.

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Ensuite, la manière dont Veolia avait géré le service de l’eau et de l’électricité dans les deux aires urbaines suscitait des critiques. Les autorités locales affirment que Veolia n’a pas rempli toutes ses obligations contractuelles, et en particulier qu’elle n’a pas réalisé tous les investissements auxquels elle s’était engagée. À Tanger-Tétouan et à Rabat-Salé (tout comme à Casablanca pour Suez), les cours régionales des comptes ont identifié des irrégularités dans la gestion financière de Redal et Amendis, parmi lesquelles des salaires très élevés pour les expatriés français, des frais de gestion importants et des travaux surfacturés à d’autres filiales de Veolia ou à des prestataires extérieurs. Les élus locaux et le Ministère de l’Intérieur ont aussi accusé Veolia de ne leur fournir qu’une information parcellaire sur la gestion du service, ce qui rendait extrêmement difficile de contrôler celle-ci. Les habitants des villes concernées dénonçaient le prix élevé de l’eau.

Enfin, la situation politique marocaine a elle aussi joué un rôle déterminant. En février 2011, en plein Printemps arabe, d’immenses manifestations populaires eurent lieu dans les villes du Maroc, et Veolia avait été l’une des cibles privilégiées des manifestants. Avec des élections locales en ligne de mire pour 2015, les partis politiques semblent aussi avoir voulu montrer qu’ils étaient à l’écoute de leurs électeurs. Il y a eu par ailleurs de nombreuses rumeurs (parfois contradictoires) sur le rôle exact du très puissant Ministère de l’Intérieur marocain dans cette affaire.

Et maintenant, quel statut ?

La décision prise par les élus locaux donna lieu à des débats sur la forme que devait prendre la remunicipalisation. Les conseils municipaux ont approuvé le principe d’un rachat des parts de Veolia dans Amendis et Redal. Néanmoins, les partis d’opposition et la société civile ont fait valoir que l’accord Veolia-Actis aurait dû être refusé sur la base d’autres clauses du contrat de privatisation, qui auraient pu justifier une annulation pure et simple, évitant aux villes de devoir débourser des sommes conséquentes au profit de Veolia. Mais cela a été jugé trop risqué, en raison de la probabilité d’un recours de Veolia devant un tribunal arbitral international.

Après plusieurs jours de silence, Veolia a fini par réagir à ces développements en déclarant que la remunicipalisation était en phase avec ses propres objectifs de désengagement du Maroc, dans l’optique de son plan de désendettement (une excuse déjà utilisée après la remunicipalisation de Berlin). Actis, pour sa part, prétend que ses projets n’ont pas été compris, et se déclare toujours intéressée par Amendis et Redal.

On ne sait pas encore sous quelle forme les services de l’eau seront gérés désormais, soit directement sous la forme d’une régie, soit sous une forme plus commerciale, la société de développement local, avec un actionnariat entièrement ou majoritairement public. Le Ministre de l’Intérieur jouera un rôle clé dans cette décision.

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Photo : via Agence Ecofin

Boîte Noire

La version originale anglaise de cet article a été publiée sur le site remunicipalisation.org (lire remunicipalisation.org : partout dans le monde, des villes reprennent le contrôle de leur eau). Elle fait partie de la dernière série de cas de remunicipalisation, qui vient d’être mise en ligne sur le site, et qui inclut des villes françaises comme Nice et Rennes.

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