13.12.2016 • Extractivisme

Entre déchets électroniques et rêve de « renouveau minier », le syndrome de la fuite en avant

On peut appeler ça de la schizophrénie. Cela ressemble en tout cas fort à une fuite en avant. D’un côté, les déchets électroniques s’accumulent en raison de notre consommation effrénée de gadgets, et les efforts pour réutiliser ou recycler les métaux qu’ils contiennent restent plus que modestes. De l’autre, nos dirigeants politiques rêvent d’un renouveau minier en France, malgré les conséquences prévisibles pour l’environnement, en vue d’assurer notre approvisionnement en minerais « stratégiques »… Cherchez l’erreur.

Publié le 13 décembre 2016 , par Olivier Petitjean

Les Amis de la terre publient coup sur coup deux rapports qui soulignent l’absurdité de cette trajectoire, et notre incapacité apparente à l’infléchir. Le premier, sous le titre Creuser et forer, pour quoi faire ? Réalités et fausses vérités du renouveau extractif en France révèle une France « quadrillée » par les permis miniers, gaziers et pétroliers, du fait de la volonté du gouvernement et des industriels de relancer l’extraction de minerais (et, bientôt peut-être, à nouveau de gaz de schiste) dans notre pays. Le second, Les dessous du recyclage, fait le bilan de la filière de recyclage des déchets électriques et électroniques – dits DEEE – mise en place il y a dix ans, en 2006. Le tableau n’est pas très réjouissant. Tous les ans, un Français moyen produit entre 17 et 23 kg de ces déchets. Seulement 43% sont collectés dans la filière officielle, dont un cinquième n’est pas recyclé au final. L’essor de la vente en ligne contribue à cette contre-performance dans la mesure où des sites comme Amazon et autres évitent soigneusement leurs obligations légales de reprise du matériel usagé.

En ce qui concerne les solutions qui devraient théoriquement être prioritaires par rapport au recyclage – la réutilisation des matériels, la prévention des déchets à travers l’éco-conception -, la situation est encore pire. Le taux de réemploi n’est que de 2%. Les structures dédiées à donner une seconde vie à nos équipements électroniques, souvent liées au secteur de l’économie sociale et solidaire, auraient même souffert de la politique mise en place depuis 2006, avec son accent sur le recyclage. Pour couronner le tout, plusieurs scandales dans le secteur du traitement des DEEE ont démontré que certaines entreprises ne respectaient pas les standards de dépollution qui leur sont théoriquement imposés, voire trompaient leurs clients sur la destination finale des matériels collectés (lire notre enquête).

Les consommateurs occidentaux délocalisent leurs impacts

Pendant ce temps, la production continue d’équipements et de gadgets toujours nouveaux fait peser un lourd fardeau sur l’environnement et les populations qui habitent à proximité des exploitations minières. Car l’essor des industries électroniques – loin des clichés répandus sur l’avènement de « l’immatériel » - s’est accompagné d’un essor parallèle des industries extractives, avec l’ouverture de nouvelles mines un peu partout dans le monde. Un smartphone contient au minimum une quarantaine de métaux ; seuls neuf d’entre eux ont un taux de recyclage supérieur à 50%. Tout le reste provient de l’exploitation minière, principalement en Asie, Afrique, Océanie ou Amérique latine, alors que les pays occidentaux continuent à consommer la majorité des ressources naturelles de la planète. À l’autre extrémité de la chaine, on retrouve la même logique : entre 550 000 et 1,3 million de tonnes de déchets sont exportées vers l’Afrique et l’Asie (Ghana, Nigeria, Chine et Inde principalement), où le coût de leur traitement est jusqu’à dix fois moindre.

Pourrait-il en être autrement ? Dans les conditions économiques et réglementaires actuelles, aller extraire des métaux ou déverser des déchets dans des pays du Sud de la planète dans des conditions douteuses sur le plan social et environnemental reste largement plus rentable pour nos multinationales que de mettre en place des filières de recyclage. Les Amis de la terre donnent l’exemple du lithium, un métal hautement stratégique pour les industries électroniques. Très présent dans nos gadgets depuis les années 1990, son recylage reste « quasi inexistant », pour des raisons techniques, mais aussi par manque de moyens et de volonté politique. Même situation pour les terres rares : le seul programme de recyclage en France a été récemment abandonné par le groupe Solvay pour des raisons de rentabilité. De sorte que les grands groupes industriels – comme récemment Bolloré et Eramet en Bolivie pour le lithium – continuent à planifier des nouvelles mines pour extraire la précieuse ressource.

Illusions de « renouveau minier »

En France même, d’Arnaud Montebourg à Emmanuel Macron, nos dirigeants se prennent désormais à rêver d’un « renouveau minier ». À mesure que les filons les plus faciles s’épuisent, les industriels se tournent en effet désormais vers des gisements à teneur en minerai beaucoup plus modeste. Ce qui pourrait remettre en jeu le territoire français, largement abandonné par les firmes minières ces dernières années. Huit permis d’exploration ont été délivrées en France métropolitaine entre 2010 et 2015, et une dizaines d’autres demandes ont été déposées [1]. Or, constatent les Amis de la terre, « les métaux recherchés (or, argent, antimoine, étain etc.) sont ceux présents dans les équipements électriques et électroniques ».

Quoiqu’en disent le gouvernement et les opérateurs miniers, d’éventuelles nouvelles mines en France ne seront pas sans impacts environnementaux sévères, surtout qu’elles sont généralement situées dans des régions qui souffrent encore de l’héritage toxique d’exploitations minières passées. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Selon les calculs des Amis de la terre, la réouverture de mines en France ne créerait qu’environ 500 emplois directs, alors qu’un doublement de la collecte de déchets électriques et électroniques, associée à un meilleur accès pour les structures de l’économie sociale et solidaire, pourrait créer près de 10 000 emplois. Si l’on parcourt les programmes des divers candidats à l’élection présidentielle, c’est pourtant la première option qui a toutes les chances d’être privilégiée. Une perspective d’autant plus inquiétante que derrière le prétendu « renouveau minier » se profile le retour du gaz de schiste. « En décembre 2015, on compte ainsi encore 55 permis d’exploration en cours de validité et 132 demandes en attente, la plupart concernent des gaz et pétrole de schiste et de couche », observent ainsi les Amis de la terre. Bref, les opérateurs miniers et pétroliers sont en embuscade, attendant un contexte politique plus favorable qui pourrait arriver plus rapidement qu’on ne le pense.

Olivier Petitjean

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Photo : Basel Action Network CC

Notes

[1S’y ajoutent les industries minières beaucoup plus présentes en Nouvelle-Calédonie (nickel) et en Guyane (or). Le groupe russo-norvégien Nordgold projette d’ouvrir une première mine d’or à l’échelle industrielle sur ce dernier territoire.

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