08.06.2016 • Grands projets

Entre risque nucléaire et gaz de schiste, l’inquiétant projet de gazoduc d’Engie dans la vallée du Rhône

Eridan : c’est le nom d’un projet de gazoduc porté par GRTgaz, filiale d’Engie, qui doit s’étendre sur 220 kilomètres dans la vallée du Rhône, pour un coût estimé à 620 millions d’euros. Un projet « aberrant », selon ses critiques, qui passe à proximité de plusieurs sites nucléaires, et dont l’utilité est sujette à caution en raison de la baisse de demande de gaz et des impératifs de la transition énergétique. En arrière-plan se profile la stratégie des géants de l’énergie, comme Total et Engie, pour maintenir leurs positions, et la perspective d’importation massive de gaz de schiste américain ... voire d’exploitation future du gaz de schiste français. Enquête de Mediapart.

Publié le 8 juin 2016

Le projet de gazoduc Eridan doit relier Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône), à proximité des terminaux méthaniers de Fos-sur-Mer au nord de la Drôme, sur 220 kilomètres. Sur son tracé, les sites nucléaires de Marcoule et du Tricastin, ainsi, non loin, que ceux de Cruas et Romans-sur-Isère, mais aussi la plaine de la Crau et d’autres zones agricoles et viticoles.

Pourquoi un tel projet, alors que la demande de gaz tend à diminuer en France et que les objectifs de la loi sur la transition énergétique devraient réduire les besoins futurs d’importation de gaz ?

Initié sous Sarkozy, validé sous Hollande : pourquoi l’État s’entête-t-il à vouloir faire entrer au chausse-pied Eridan dans la vallée du Rhône ? « C’est la continuité des lobbys », lance Michèle Rivasi. Les multinationales du secteur se précipitent en effet sur le gaz. Leur stratégie : le faire accepter comme un élément central de la transition énergétique. « Il émet deux fois moins de CO2 que le charbon et 30 % de moins que le pétrole », vante Jérôme Ferrier. Cet ancien cadre de Total préside l’Association française du gaz (AFG), le lobby du méthane. Malgré son discours, son énergie n’en reste pas moins fossile et autrement plus polluante que l’éolien ou le solaire. « On ne pourra pas tout miser sur le renouvelable », coupe-t-il. Depuis les bureaux de l’AFG à Neuilly-sur-Seine, il justifie Eridan avec la méthode Coué : « Anticipons les besoins futurs. » Pas sûr que les consommateurs l’entendent de cette oreille. Au bout du compte, ce sont eux qui paieront en majeure partie cet investissement estimé à 620 millions d’euros.

Dans leur croisade, les gaziers peuvent compter sur Bruxelles. L’Union européenne encourage tous azimuts le développement du réseau de gazoducs, avec à la manœuvre l’Espagnol Miguel Arias Cañete, commissaire à l’énergie. Coïncidence ? Son pays ambitionne de devenir la porte d’entrée du gaz (en provenance d’Afrique et d’Amérique) consommé en Europe. Mais faute de connexion de taille, les nombreux terminaux méthaniers espagnols tournent au ralenti. À moins que… Depuis des mois, Cañete tente d’imposer à la France un gazoduc géant, baptisé MidCat. Il traverserait les Pyrénées près de Perpignan. Or de ce projet dépend l’avenir d’Eridan, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La CRE est déterminante pour les habitants de la vallée du Rhône : elle autorise ou non les investissements prévus pour les grandes infrastructures énergétiques. « Si on fait MidCat, il faut faire Eridan pour permettre au gaz de transiter vers le reste de l’Europe. Seulement, d’après nos simulations, rien ne justifie cette très coûteuse [trois milliards d’euros] liaison avec l’Espagne », déclare à Mediapart son président, Philippe de Ladoucette. Pour autant et contre toute logique, la CRE refuse d’abandonner Eridan. Au contraire ! Elle a encouragé GRTgaz à décrocher toutes les autorisations nécessaires à sa construction. « On ne sait jamais. Eridan est un projet en couveuse. On le garde sous le coude en fonction des évolutions futures », assume Philippe de Ladoucette.

En attendant, sous l’épée de Damoclès, des opposants s’interrogent sur le lien entre Eridan et l’exploitation des gaz de schiste. Le gazoduc longera le permis d’exploration de Montélimar. Sur ce vaste périmètre qui s’étend du sud de Valence au nord de Montpellier, Total a théoriquement le droit de fouiller le sous-sol à condition de ne pas procéder par fracturation hydraulique, technique interdite en France. Pour le moment, les industriels n’ont pas élaboré d’alternative. Le gazoduc rhodanien aurait-il néanmoins un objectif officieux ? « Eridan a été pensé en 2007 alors que personne ne parlait des gaz de schiste », balaie Georges Seimandi, agacé. « Au début des années 2010, les plans décennaux de GRTgaz mentionnaient clairement l’exploitation des gaz des schiste comme un but à terme. Et, c’est un fait, le tracé d’Eridan passe à proximité de zones où on en trouve », soulève à l’inverse Jean-Pierre Gautry, chargé de mission pour le collectif Alternative gazoduc Fos-Dunkerque. Rien de farfelu à rapprocher les deux sujets, estime Michèle Rivasi. « Il suffit qu’on change de gouvernement pour que l’exploration soit relancée, prédit l’écologiste. Or, l’une des problématiques des gaz de schiste concerne leur évacuation. En construisant Eridan, GRTgaz libère son actuelle canalisation [d’une capacité quatre fois inférieure], plus commode à alimenter. »

Lire l’intégralité de l’enquête sur le site de Mediapart (abonnement)

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Photo : NPCA CC

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