03.10.2011 • Politique énergétique

Éoliennes en mer : chasse gardée des grands groupes ?

Le gouvernement a lancé mi-juillet son appel d’offres pour la construction des parcs éoliens offshore au large des côtes françaises. Présentée comme une véritable aubaine économique pour le pays, avec des milliers d’emplois à la clef, cette nouvelle filière est de fait réservée aux poids lourds du secteur de l’énergie et du nucléaire : EDF, GDF-Suez ou Areva. Au risque de freiner une nouvelle fois l’émergence de filières industrielles régionales qui pourraient profiter aux PME et à la conversion écologique de l’économie.

Publié le 3 octobre 2011 , par Nolwenn Weiler

Faire de la France « une base industrielle forte pour l’éolien offshore ». Telle est la promesse du gouvernement Fillon, qui a lancé à la mi-juillet 2011 un appel d’offres visant l’installation de 600 éoliennes au large des côtes françaises d’ici à 2015. Réparties sur cinq parcs, principalement situés dans la Manche et au large de la Bretagne, elles devraient représenter une puissance totale de 3 000 MW, de quoi se passer de deux réacteurs nucléaires EPR. Un second appel à projets sera lancé en avril 2012, pour une puissance similaire. L’objectif final est de porter à 20 % la part des énergies renouvelables en France, comme prévu par le Grenelle de l’environnement et promis dans les engagements des États membres de l’Union européenne dans le cadre du protocole de Kyoto. De plus, l’éolien off-shore joue un rôle non négligeable si l’on veut assurer dans de bonnes conditions la transition énergétique de la France à l’horizon 2050. Dans le scénario que vient de publier l’association négaWatt, les éoliennes installées en mer représenteront la moitié de la production éolienne future (soit 20 % de la production d’énergie globale, contre 0,4 % aujourd’hui).

« L’engagement que nous prenons, c’est celui d’un soutien résolu et sans ambiguïté à cette filière porteuse », déclare même Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Environnement, début 2011. Pas question, semble-t-il, de détruire dans l’œuf une filière industrielle d’avenir, comme cela s’est passé avec les éoliennes classiques (sur terre). Le dernier outil législatif de la chasse aux pales terrestres date du 26 août dernier, avec la publication d’un décret obligeant le classement en « Installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE) des parcs éoliens. Ce décret va encore allonger les délais de mise en place, déjà remarquablement longs en France : jusqu’à 8 ans, contre 4 ans dans les autres pays européens. Mais, en mer, tout sera différent. Promis. Juré.

Vers une conversion écologique du tissu industriel ?

Les professionnels du secteur veulent y croire. « Nous avons raté le train de l’éolien terrestre. Voici l’occasion de nous rattraper », estime Philippe Gouverneur, de France énergie éolienne (FEE), la branche éolienne du Syndicat des énergies renouvelables (SER). « Le secteur éolien français compte plusieurs centaines d’entreprises. Certaines sont des leaders mondiaux dans leur domaine. Il y a, en plus, énormément de compétences françaises pouvant servir à l’éolien offshore. Les savoir-faire développés autour des plates-formes pétrolières et des chantiers navals peuvent être réinvestis. L’appel d’offres doit allumer la mèche d’un nouveau dynamisme, les entreprises françaises pourront valoriser leurs connaissances, et elles seront au rendez-vous », positive-t-il.

Quatre pôles régionaux, incluant des centaines d’entreprises, sont en cours de constitution en Bretagne, dans les Pays-de-Loire ou en Haute-Normandie.
« Le Port du Havre a, par exemple, mis à disposition cinquante hectares qui pourraient servir à l’assemblage des éoliennes destinées à l’offshore. Idem à Saint-Nazaire, avec qui nous travaillons de concert. Deux sites sont aussi prêts pour assurer la maintenance, détaille Claude Taleb, vice-président Europe Écologie-Les Verts de la Région Haute-Normandie. L’appel d’offres du gouvernement était très attendu. Nous avons en Haute-Normandie, mais aussi ailleurs en France, un besoin urgent de conversion écologique de l’appareil industriel. » Bref, tout le monde est prêt.

50 000 emplois créés ?

L’obligation de faire travailler des entreprises locales figure dans l’appel d’offres : « La qualité du projet industriel et social sera, avec le prix d’achat de l’électricité proposé, un critère déterminant pour la sélection des candidats », peut-on lire sur le document. « Chaque candidat devra faire part de ses intentions et engagements en termes de constitution d’une ligne d’approvisionnement et d’assemblage, de mobilisation des infrastructures portuaires, de partenariats industriels sur l’ensemble de la chaîne (composants, génie civil, ingénierie, transport, maintenance…), de mobilisation du tissu de PME, d’emplois générés par le projet, ou encore d’effort de R&D [recherche et développement, ndlr] et d’innovation. » Avec des milliers d’emplois à la clef : 11 000 aujourd’hui, entre 17 000 et 60 000 en 2020. L’éolien en mer, assure le gouvernement « présente l’avantage de créer une forte proportion d’emplois difficilement délocalisables », comme l’exploitation et la maintenance des installations.

Certains spécialistes de l’éolien tempèrent cet enthousiasme. « Techniquement, c’est beaucoup plus difficile de développer l’éolien en mer que sur terre. Il serait plus logique de commencer par remplir l’on-shore, et en profiter pour développer de véritables compétences », estime Patrick Saultier, exploitant de parc éolien. C’est le chemin qu’a choisi l’Allemagne, souvent citée en exemple par nos ministres. Outre-Rhin, mais aussi ailleurs en Europe du Nord, cela fait dix ans que le secteur offshore travaille à son organisation. Et d’importantes difficultés demeurent. Les personnes formées ne sont pas assez nombreuses, et les bateaux manquent, entre autres. « À Bremerhaven, haut lieu offshore de l’Allemagne, les campus ont des piscines prévues pour l’entraînement à la maintenance, reprend Patrick Saultier. Ils ont aussi d’énormes hangars avec souffleries géantes pour tester leurs éoliennes. A-t-on cela chez nous ? Il ne faut pas croire que l’on va, en deux ou cinq ans, créer une filière. » Les Allemands ont aussi mis en place un site pilote pour tester différentes technologies. En France, cela ne semble pas au programme.

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Le gâteau pour les consortiums, les miettes pour les PME

Les éoliennes marines, une aubaine pour les PME ? « Les PME et TPE risquent fort d’être cantonnées à l’activité de sous-traitance, pour construire de petits équipements comme des mâts, des pales ou des roulements, ou réaliser des installations dans les métiers des génies civil et électrique », prédit Philippe Gattet, économiste et auteur d’une étude sur le marché français de l’éolien à l’horizon 2020. Dans l’éolien, les trois quarts du coût est capté par les turbines, dont la technologie n’est pas présente en France. Le tissu industriel local ne bénéficiera donc pas de cette activité à forte valeur ajoutée. Résultat : « Ce sont surtout les groupes industriels étrangers qui vont profiter de l’appel d’offres », estime Philippe Gattet. On peut y ajouter les géants français de l’énergie : EDF et GDF-Suez, alliés pour l’occasion à d’autres grands noms tels Alstom, Areva ou Vinci. Plus connus, pour le moment, pour leurs compétences dans le domaine nucléaire, même si Areva s’est positionné sur la fabrication de turbines en Allemagne. Le groupe nucléaire vient d’ailleurs d’annoncer l’implantation d’une première usine éolienne au Havre.

Car le cahier des charges arrêté par Éric Besson, ministre de l’Énergie, est, de fait, réservé aux très gros énergéticiens français. Les puissances minimales et maximales des futurs parcs s’échelonnent entrent 420 MW et 750 MW. « Ce sont des gros morceaux, avec un ou deux milliards d’euros d’investissement à chaque fois. Difficile à financer pour des petits, remarque Patrick Saultier. Idem pour l’exploitation puisque, pour chaque zone, il ne peut y avoir qu’un interlocuteur, ayant de grosses capacités techniques pour créer la filière. En Allemagne, les politiques ont au contraire décidé de favoriser les petits développeurs, en créant notamment un fonds d’aide pour apporter des garanties bancaires. » Fidèle à son histoire, l’État français préfère des filières organisées par le haut, structurées autour de grands groupes pyramidaux. Et non un maillage de PME, capables de s’organiser en réseaux horizontaux. La décentralisation de la production d’énergie, notamment renouvelable, est pourtant l’une des clefs de la transition écologique.

Pillage de compétences

La compagnie du vent a fait les frais de cette préférence pour les grands groupes. Créée en 1991 à Montpellier, la Compagnie du vent travaille d’arrache-pied sur la mise en place du parc offshore au large du Tréport et du Hourdel. En 2007, pour avoir accès à des capitaux permettant de finaliser le projet, elle cède 56 % de son capital à GDF-Suez. Au printemps 2011, le directeur historique est démis de ses fonctions. GDF-Suez fait le choix de ne garder que les savoir-faire et compétences. L’avenir des salariés est pour le moment incertain. « J’ai été sidéré par cette quasi-OPA, s’insurge Claude Taleb. Une entreprise dont les énergies renouvelables sont le cœur de métier depuis toujours se fait dégommée par une grosse entreprise qui est sur le mixte industriel. Au-delà des faits, lamentables d’un point de vue éthique, on peut craindre une perte de compétences. La qualité du travail effectué pourrait être diminuée. » Rappelons que l’État est actionnaire à 35 % de GDF.

Autre appréhension des personnes convaincues de l’intérêt de l’offshore : le manque de visibilité et de constance réglementaire, auxquelles le secteur éolien français n’est que trop habitué. « On change de loi sans arrêt. Les règles du jeu ne cessent d’être modifiées », déplore Patrick Saultier. À ces tergiversations législatives, s’ajoute le risque d’ensevelissement des projets sous les recours, domaine dans lequel les anti-éoliens français excellent. Sur l’offshore, ils ont dégainé dès le 5 septembre, demandant carrément le retrait de l’appel d’offres, estimant qu’il « ne satisfait pas aux exigences de la concurrence, et certaines dispositions seraient illégales car fondées sur un décret dont la légalité est contestable ». Si l’on se fie à l’expérience de l’éolien terrien, les recours seront sans doute perdus. Mais les retards induits vont de trois à six ans ! À tel point que beaucoup s’accordent à dire que les 6 GW prévus ne seront jamais atteints en 2020.

Nolwenn Weiler

 
Photo : Hans Hillewaert cc by-nc-nd

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Cet article a été publié initialement par Basta ! le 3 octobre 2011.

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