30.06.2017 • Logement

Incendie de la tour Grenfell à Londres : dérégulation, sous-traitance multiple et dilution des responsabilités

Survenu dans la nuit du 13 au 14 juin dernier, l’incendie de la tour Grenfell à Londres a fait au moins 79 victimes. Enquêteurs et journalistes ont rapidement mis en cause la mauvaise qualité des travaux de rénovation effectués récemment sur la tour, et l’inadaptation des matériaux utilisés. Plus largement, la recherche du moindre coût et la multiplication des prestataires et des sous-traitants ont rendu possible la catastrophe. Deux firmes françaises sont impliquées : Saint-Gobain qui a fourni un des matériaux d’isolation, et Artelia, embauchée précisément pour « gérer les coûts ».

Publié le 30 juin 2017 , par Olivier Petitjean

Très rapidement après le drame de la tour Grenfell à Londres, les experts ont mis en lumière le rôle joué par les matériaux d’isolation thermique, installés lors d’une rénovation en 2015-2016, dans la propagation de l’incendie, lequel aurait été provoqué initialement par un réfrigérateur.

Plusieurs dizaines de tours d’habitation testées en Grande-Bretagne immédiatement après la catastrophe se sont révélés elles aussi vulnérables aux risques d’incendie, et certaines ont été évacuées. Pour beaucoup, c’est le résultat de la dérégulation progressive du secteur immobilier britannique et de la suppression de nombreuses règles de sécurité au motif qu’elles constituaient des « fardeaux administratifs ».

Selon le quotidien britannique The Guardian, la tour Grenfell illustre également le problème de la multiplication des sous-traitants et des équipes, de l’absence de supervision des autorités et de la privatisation :

Au moins huit autres prestataires et sous-traitants [en plus de Rydon, le prestataire principal de la rénovation] ont été impliqués dans différents aspects du travail de rénovation et la fourniture des matériaux nécessaires. Certains experts estiment que cela soulève la question de la supervision de dispositifs de ce type, les autorités locales n’ayant plus les mêmes possibilités de contrôle que par le passé.

Pour Thomas Lane, éditeur du magazine ’Building Design’, « il fut une époque où les autorités locales avaient leur propre département d’architecture, certains d’entre eux très réputés. Aujourd’hui, tout est fait en externe. Vous avez des gens disparates, des équipes de conception, des inspecteurs, des gestionnaires de projets... toute une armée. »

Ben Bradford, expert en sécurité incendie et directeur du cabinet de consultants BB7, estime que les chaînes de sous-traitance multiple posent des problèmes de sûreté. « En l’occurrence, on est probablement face à des défaillances multiples. Le travail de résistance aux incendies revient souvent à un sous-traitant, qui ne se rend pas toujours compte du caractère critique des composants qu’il installe dans le système dans son ensemble. » Selon lui, la privatisation partielle du système d’inspection des bâtiments à entraîné une « course au moins-disant » pour réduire les honoraires et limiter le nombre d’inspections de terrain.

Lire l’intégralité de l’article sur le site du Guardian (en anglais).

L’un des firmes impliquées n’est autre que la firme française d’ingénierie et de conseil Artelia, engagée par la Kensington and Chelsea Tenant Management Organisation (KCTMO), qui gère la tour et d’autres immeubles pour le conseil municipal, pour « gérer les coûts » de la rénovation. « La tour Grenfell figurait parmi les études de cas listées sur le site web d’Artelia dans sa section ’cost management’, mais elle a disparu depuis », note The Guardian. En attendant les résultats de la commission d’enquête mise en place suite à la catastrophe, entreprises prestataires et autorités municipales se renvoient la balle. Une enquête du quotidien britannique The Times montre en effet que la KCTMO a elle aussi activement poussé à la recherche du moindre coût.

L’isolation en question

L’un des matériaux utilisés pour l’isolation a été fourni par Celotex, une filiale de Saint-Gobain depuis 2012. Selon la firme, cette substance, le polyisocyanurate ou PIR, satisfait les normes anti-incendie les plus strictes si elle est utilisée de manière adéquate. Un avis nuancé par un expert du lobby français du BTP interrogé par Le Monde : « Le PIR est un matériau très performant pour l’isolation thermique, deux fois plus que la laine de roche ou de verre, explique, mais il est inflammable et, lorsqu’il brûle, très toxique, puisqu’il dégage du cyanure d’hydrogène. » La vente du produit a été suspendue en attendant les résultats de l’enquête. L’autre composant du dispositif d’isolation a été fourni quant à lui par une firme américaine, Arconic, et semble avoir été utilisé de manière inappropriée dans la tour Grenfell.

La catastrophe survenue à Londres pourrait d’ailleurs, comme le rapporte Bloomberg, avoir des conséquences néfastes pour les efforts de rénovation et d’isolation des bâtiments entrepris actuellement pour économiser l’énergie et lutter contre le réchauffement climatique. Les tests effectués après le drame de la tour Grenfell ont révélé que la plupart des matériaux utilisés en Grande-Bretagne, choisis parce qu’ils étaient moins chers, n’étaient pas au niveau en termes de sûreté. Déjà, les milieux climato-sceptiques britanniques et certains conservateurs cherchent à utiliser l’incendie de la tour Grenfell comme une preuve des effets pervers de la lutte contre le changement climatique.

Ce qui permet au passage de détourner l’attention de la responsabilité des autorités et de la première ministre Theresa May, violemment mise en cause par les survivants.

Olivier Petitjean

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Photo : ChiralJon CC via flickr

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