06.06.2013 • Réacteurs EPR en Inde

Lettre ouverte aux banquiers français qui veulent financer la centrale de Jaitapur

Les représentants des banques françaises, d’Areva, du gouvernement français et des autorités nucléaires indiennes étaient réunies à Paris en grand secret les 5 et 6 juin pour discuter des termes d’un emprunt pout financer le projet de centrale nucléaire EPR de Jaitapur en Inde. Les opposants au projet ont adressé une lettre ouverte aux PDG de ces banques [1], dont nous publions la traduction ci-dessous.

Publié le 6 juin 2013

Cette centrale est conçue pour devenir à terme la plus grande centrale nucléaire au monde avec 6 réacteurs EPR et 9900 MW de capacité de production. (La première partie du projet, actuellement en discussion, porte pour l’instant sur deux réacteurs EPR.) Cette centrale serait située en plein sur une faille sismique, dans une région côtière du Mahārāshtra connue pour la beauté de son environnement et la richesse de sa biodiversité [2].

De manière moins médiatisée que la vente – sans cesse reportée – d’avions Rafale par Dassault à l’armée indienne, industriels et gouvernement français sont lancés depuis plusieurs années dans une offensive de charme pour obtenir la validation de cette centrale « française » [3]. Celle-ci est également soutenue ardemment par le lobby nucléaire indien – représenté par l’entreprise publique Nuclear Power Corporation of India, ou NPCIL – et par l’État du Mahārāshtra. Les saisies de terres ont déjà commencé. Un protocole d’accord entre gouvernements français et indien a été signé par Nicolas Sarkozy en 2010, tandis qu’Areva et la NPCIL signaient simultanément un accord cadre.

Le projet est contesté par une bonne partie de la gauche indienne et par les communautés de la zone, qui ont organisé plusieurs actions de désobéissance civile et manifestations massives, dont l’une a occasionné un décès lors d’affrontements avec la police en avril 2011.

Au-delà des conditions de financement, les négociations achoppent sur plusieurs points, notamment le coût final du projet pour le contribuable indien (au vu des expériences désastreuses des EPR de Flamanville et de Finlande). Aucun chiffre n’a été rendu public sur le coût total du projet (estimé initialement à 7 milliards d’euros, mais qui aurait été multiplié par trois depuis) ni sur le montant de l’emprunt que l’Inde devrait contracter auprès des banques françaises et européennes (avec garantie souveraine de l’État français). Autant de sujets au cœur des discussions qui se tiennent à Paris.

Un autre sujet de différend est la loi sur la responsabilité civile en matière nucléaire récemment adoptée par le Parlement indien. Cette loi prévoit des obligations d’indemnisation très élevées en cas d’accident nucléaire, ce qui n’est pas du goût d’Areva.

« Nous espérons que vous vous refuserez à faire des profits sur nos morts. »

Aux Présidents et directeurs généraux des banques françaises et européennes

Objet : Financement du projet de centrale nucléaire de Jaitapur

Cher Monsieur/Madame,

Nous – citoyens de Jaitapur, Madban, Sakhari Nate, Mithgavane, Niveli, Karel, et tous les villages environnant le site propose pour le projet nucléaire de Jaitapur – vous écrivons avec un profond sentiment d’angoisse et de dégoût à propos de la réunion prévue à Paris les 5 et 6 juin 2013 entre la Nuclear Power Corporation of India (NPCIL), agissant à travers le gouvernement indien, l’entreprise française Areva et diverses banques françaises et européennes.

Nous, les milliers de pêcheurs, paysans et simples habitants de Jaitapur et de ses environs, avons été informés que la NPCIL et les hauts fonctionnaires du gouvernement indien sont venu négocier avec les banques françaises et européennes les termes d’un emprunt pour financer le projet nucléaire de Jaitapur.

Il paraît en outre qu’afin de dissiper et apaiser les inquiétudes des banques ainsi que de l’entreprise française Areva à propos de notre opposition féroce et jamais démentie au projet nucléaire de Jaitapur, la NPCIL et les hauts fonctionnaires indiens propagent de fausses représentations, passent sous silence ce qui se passe réellement sur le terrain, déforment les faits, et s’efforcent autant que possible de vous tromper, afin de vous amadouer et de s’assurer un prêt pour ce méga-désastre de projet.

Afin de vous donner une véritable perspective quant à la réalité du terrain et des faits, nous, pêcheurs et paysans de Jaitapur et des environs, souhaitons qu’il soit très très clair que notre opposition forcenée au projet nucléaire de Jaitapur est totale, féroce, et qu’il n’y a aucune chance qu’elle soit jamais apaisée. De fait, elle ne cesse de gagner en force chaque jour qui passe, et de s’étendre toujours plus loin dans les zones côtières du Mahārāshtra.

Au vu de tout ce qui précède, nous vous demandons de ne pas vous soumettre aux tactiques douteuses de la NPCIL et du gouvernement indien en accordant un prêt pour ce projet nucléaire funeste dont il est certain qu’il finira tôt ou tard par être abandonné, vous exposant à perdre non seulement votre argent, mais aussi la face.

Nous ne permettrons jamais à personne et à aucun prix de contaminer nos terres ancestrales, nos mers, l’environnement marin et terrestre de ces côtes avec l’énergie nucléaire et ses conséquences dangereuses de radioactivité ionisante. Pour atteindre cet objectif, nous sommes prêts à affronter même la mort si la situation le préconise.

Nous espérons que la décence l’emportera au moment de prendre votre décision et que vous vous refuserez à faire des profits sur nos morts.

Bien à vous,

Les pêcheurs, paysans et habitants de Jaitapur et des environs [4]

— 
Photo : Joe Athialy, cc

Notes

[1Apparemment, il s’agit des "suspects habituels" : BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole.

[2Lire notamment Praful Bidwai, « Atome contre biodiversité à Jaitapur », Le Monde diplomatique, avril 2011., et aussi ici

[3Le gouvernement de François Hollande a notamment financé la visite de journalistes indiens à Flamanville

[4Traduit de l’anglais : source

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