19.05.2021 • Allô Bercy ?

Lobbying et aides publiques : petits arrangements entre amis en temps de pandémie

Comment les grandes entreprises ont-elles réussi à capter l’essentiel des aides publiques liées à la pandémie, en échappant à toute forme de condition environnementale, sociale ou fiscale ? Essentiellement en profitant de leur proximité avec les décideurs, qui a été encore renforcée par la crise. Nouvelle publication dans le cadre de notre campagne Allô Bercy ? Pas d’aides publiques aux grandes entreprises sans conditions.

Publié le 19 mai 2021

Le CAC40 a déclaré globalement près de 20 millions d’euros de dépense de lobbying à Paris pour l’année 2020. À quoi s’ajoutent les plus de 3 millions d’euros déclarés par les principaux lobbys patronaux, le Medef, l’Association française des entreprises privées (Afep) et France industrie. Une grande partie de cette activité de lobbying a été directement consacrée à obtenir des aides financières ou des assouplissements législatifs sous prétexte de crise sanitaire. Selon notre recensement, sur les 287 activités de lobbying déclarées par les groupes du CAC40 en 2020, plus du tiers (96) porte spécifiquement sur l’obtention d’aides ou de dérégulations du fait de la pandémie [1]. Et encore, du fait des insuffisances du registre de lobbying de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, bon nombre d’activités sont formulées en des termes si vagues qu’il est impossible de comprendre leur objectif.

Certains groupes apparaissent comme des champions de la sollicitation d’aides publiques, à laquelle ils ont consacré toutes leurs activités de lobbying déclarées : Air Liquide (« Soutien à un mécanisme de financement pour la filière hydrogène en France »), Airbus (« Faire connaître les impacts de la Crise COVID19 dans la perspective de la définition par l’Etat de mesures de relance »), ArcelorMittal (« Demander le soutien du gouvernement français en matière d’aides : financières, chômage partiel,… suite aux impacts de la pandémie du Covid-19 sur la sidérurgie »), Sanofi (« Demander les modalités de soutien des pouvoirs publics pour localiser un investissement stratégique en France ») ou encore Thales (« Plan de soutien aéronautique : Sensibiliser sur l’importance du soutien à l’industrie aéronautique civile et de défense dans le cadre de la crise de la Covid-19 »). Les autres ont été soit moins actifs, soit moins transparents.

Le constat se retrouve du côté des grands lobbys sectoriels et patronaux. Qu’il s’agisse de France Industrie, de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), de l’Afep ou du Medef, une grande partie de leurs activités déclarées pour 2020 porte sur les conditions de gestion de la crise et notamment sur les aides directes et indirectes aux entreprises. Le Medef et France Industrie ne cachent pas qu’une partie de leur lobbying a visé à éviter la mise en place de conditions contraignantes aux aides publiques.

L’Union européenne étant également une grande pourvoyeuse d’aides publiques aux entreprises, notamment dans le cadre de la préparation du plan de relance communautaire, les groupes français ont également été actifs à Bruxelles, mais dans la plupart des cas on ne connaît pas encore le montant de leurs dépenses de lobbying. Leur proximité avec les décideurs européens se mesure aussi au nombre de leurs rendez-vous avec les dirigeants de la Commission à Bruxelles : on en dénombre pas moins de 142 entre janvier 2020 et avril 2021, soit un tous les trois jours et demi. Là encore, plus d’un tiers de ces rendez-vous (50) portait explicitement sur l’élaboration des plans de sauvegarde et de relance [2].

Vase clos

Ces activités de lobbying les plus visibles ne représentent cependant que la partie émergée de l’iceberg. Il suffit de consulter le répertoire de la HATVP pour constater que tous les secteurs économiques sans exception ou presque ont sollicité le gouvernement pour être inclus dans le plan de relance. Ce qui fait la force des grandes entreprises comme celles du CAC40, c’est leur accès privilégié aux décideurs. Cette proximité tient à plusieurs facteurs, parmi lesquels leur recrutement dans les mêmes grandes écoles, la pratique des « portes tournantes » (ou allers-retours de personnel) entre secteur public et secteur privé, ou encore l’existence de nombreux organes de « concertation » et de lieux de sociabilité (clubs, événements...) souvent financés par les entreprises elles-mêmes.

Dans la gestion de la crise sanitaire, le vase clos entre secteur public et secteur privé a été la règle. Le dispositif des prêts garantis par l’État a été conçu par Bercy et la Fédération bancaire française, lobby du secteur financier dont les dirigeants sont issus… de Bercy. Les mécanismes de sauvetage ont été mis en place et menés conjointement avec France Industrie, organe des grands industriels. Le plan de soutien à l’aéronautique a été piloté par un ancien cadre d’Airbus, dans le cadre d’un groupe de travail regroupant État, les quatre grandes entreprises du secteur (Airbus, Safran, Thales et Dassault) et des représentants des fournisseurs. Autre exemple : le groupe de travail mis en place pour plancher sur la rénovation énergétique des bâtiments dans le cadre du plan de relance était présidé par le groupe Saint-Gobain, qui risque d’en être le principal bénéficiaire.

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Notes

[1Source : Répertoire des représentants d’intérêts de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), https://www.hatvp.fr/le-repertoire/. Consulté le 30 avril 2021. À cette date, plusieurs groupes du CAC40 n’avaient pas respecté leurs obligations légales de déclaration de leurs dépenses de lobbying pour 2020 : Alstom, Capgemini, Hermès, L’Oréal, Saint-Gobain, Teleperformance et Wordline.

[2Source : Lobbyfacts.eu.

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