16.10.2014 • Prix Pinocchio 2014

Retour vers le futur : en Europe de l’Est, EDF mise sur le charbon

Détenu à 84% par l’État français, EDF investit à travers le monde entier dans une des énergies les plus polluantes qui soient : le charbon. Derrière la stratégie affichée par le groupe énergétique public d’un « mix énergétique diversifié et décarboné », il y a donc non seulement le choix du nucléaire, mais aussi celui de développer une énergie fossile considérée comme responsable de près d’un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre. L’Europe de l’Est est particulièrement visée. EDF détient des centrales à charbon en Pologne, s’est porté candidat pour en construire une nouvelle en Croatie, et se trouve toujours impliquée dans un projet en Serbie, à Kolubara. Investissements qui lui valent cette année une nomination aux Prix Pinocchio.

Publié le 16 octobre 2014 , par Rachel Knaebel

EDF, premier producteur nucléaire au monde, défend l’énergie atomique comme le « pivot d’une production d’électricité compétitive, sûre et sans CO2. » Ce que le groupe se garde bien de souligner dans sa communication officielle, c’est qu’il investit aussi un peu partout dans le monde dans une autre source d’énergie - le charbon. Or, celui-ci est un grand émetteur de CO2, serait responsable d’environ un tiers des émissions globales de gaz à effet de serre. Il est ciblé par les environnementalistes comme la principale source d’énergie sale, à éliminer d’urgence pour éviter la catastrophe climatique.

On comprend donc que le groupe énergétique français, qui vient de changer de PDG - un groupe public puisque détenu à 84% par l’État - reste discret sur cette activité [1]. Dans ses communiqués et ses rapports annuels, l’entreprise range la plupart du temps ses centrales à charbon sous l’appellation générale de « centrales thermique », qui englobe aussi les installations qui fonctionnent au fioul ou au gaz naturel.

Des centrales à charbon en France, au Royaume Uni, en Chine, en Pologne…

En France, EDF gère encore six centrales à charbon [2]. La plupart d’entre elles vont fermer dans les années qui viennent, parce qu’elles ne respectent pas les nouvelles normes européennes en matière d’émissions atmosphériques. Les autres seront modernisées. À l’étranger en revanche, le groupe français est en train de développer un peu partout cette énergie particulièrement polluante. EDF exploite ainsi deux centrales à charbon au Royaume Uni suite au rachat de British Energy en 2008. En Chine, le groupe exploite plusieurs grandes centrales et a scellé au printemps dernier un partenariat avec le groupe chinois China Datang Corporation pour la construction et l’exploitation d’une nouvelle unité électrique au charbon de 2 000 MW. Le groupe possède aussi plusieurs centrales en Pologne. Et EDF semble convoiter les mines de charbon (en l’occurrence du lignite, ou « charbon brun », une forme particulièrement polluante de charbon) du groupe énergétique public grec DEI, en cours de privatisation.

Résultat : même si en France, EDF peut se prévaloir d’avoir réduit ses émissions de CO2 depuis 1990, à l’étranger, elles augmentent (lire notre article). En 2013, EDF a ainsi émis dans l’Hexagone 35 grammes de CO2 par kWh produit. Pour l’ensemble du groupe dans le monde, le chiffre est à multiplier par trois : 116,3 grammes par kWh [3]. En réalité, EDF consomme de plus en plus de charbon : 25 millions de tonnes en 2013, quatre millions de tonnes de plus qu’en 2011 [4]. Conséquence logique, EDF émet aussi de plus en plus de CO2 dans l’atmosphère : 80 millions de tonnes de CO2 émises en 2013, soit dix millions de tonnes de plus qu’en 2011 (70,5). La différence : ces émissions supplémentaires, EDF les transfère à l’Est.

En Serbie, un projet entaché de pollution et de corruption

En 2012, EDF rachetait le groupe énergétique italien Edison [5]. Or, l’année précédente, Edison avait signé un accord de partenariat avec le groupe énergétique serbe EPS pour un projet de construction d’une nouvelle centrale à charbon sur le site minier de Kolubara, à une soixantaine de kilomètres au Sud de Belgrade.

D’une capacité de 750 MW (contre les 250 MW de la centrale qu’elle est censée remplacer), la nouvelle centrale appelée Kolubara B fonctionnerait, encore une fois, au lignite. Elle s’alimenterait des réserves extraites des mines environnantes. De nouveaux puits sont déjà en train d’y être forés dans cette perspective. Un millier de foyers devraient ainsi être déplacés pour agrandir la mine.

La nouvelle centrale de Kolubara et l’extension des mines se font dans un contexte déjà très difficile pour les habitants des communes alentour. La qualité de l’air est affectée par les rejets de la centrale existante. Les eaux et les sols sont contaminés par des métaux lourds. Et l’approvisionnement en eau est altéré à la fois par les activités de la mine et celles de la centrale. « Il y a encore trois jours, la consommation de l’eau du robinet a été restreinte dans la zone autour de la mine, rapportait début octobre Zvezdan Kalmar, de l’association environnementale serbe Cekor, Center for Ecology and Sustainable Development. Ce genre de restriction revient de manière régulière. Et quand ça arrive, ça ne dure pas seulement quelques heures, mais plusieurs jours. Il n’y a pas de système d’épuration des eaux usées de la centrale. Elles sont simplement pompées puis rejetées dans la rivière. »

Autour de la mine, des villages et des écoles sans eau potable

En août 2012, le conseil municipal de Vreoci, le village qui doit être déplacé et démoli pour agrandir la mine, a déposé une plainte auprès de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En cause : le soutien financier de l’institution à un projet d’aménagement environnemental de la mine. Dans le document, les représentants de Vreoci signalaient une pollution persistante des nappes phréatiques de la commune : « Les nappes phréatiques utilisées pour l’approvisionnement en eau des habitants sont menacées par trois processus parallèles : la pollution des eaux de surface, qui a des effets aussi sur la qualité des nappes ; les opérations effectuées dans la mine à ciel ouvert et les systèmes de drainage associés qui conduisent à une baisse sévère du niveau des nappes ; les nappes sont aussi polluées par les résidus miniers. » L’association et le conseil de commune indiquaient aussi : « Le réseau d’approvisionnement en eau est médiocre sur toute la zone d’exploitation du bassin de lignite de Kolubara, particulièrement à Vreoci. (…) Les jardins d’enfants, les écoles et les cliniques n’ont pas d’approvisionnement régulier en eau potable [6]. »

« La gestion des résidus miniers de Kolubara n’est pas satisfaisante », a aussi constaté Malika Peyraut, chargée de campagne aux Amis de la terre, lorsqu’elle s’est rendu sur place en 2013. « Cela a déjà provoqué un glissement de terrain » En effet, en juin 2013, plusieurs habitations du village de Junkovac, au Nord de la mine, ont été ensevelies sous des éboulements causés par l’activité minière. Puis, en mai dernier, les inondations qui ont touché les Balkans n’ont pas épargné le bassin de Kolubara. Les mines à ciel ouvert se sont retrouvées immergées. « Quand les inondations ont touché la zone en mai et que les rives ont cédé, elles ont emporté avec elles un amas de résidus de la centrale à charbon et ont dispersé la boue noire autour du village. Les habitants (de Vreoci) sont maintenant inquiets, ils ne savent pas ce que contiennent ces résidus et demandent au gouvernement de procéder à des tests », signalait en juillet 2014 l’association serbe Cekor.

Kolubara a aussi fait les gros titres de la presse serbe pour des affaires de corruption. En 2011, l’ancien directeur a été arrêté aux côtés de 16 autres responsables de la mine, du groupe énergétique EPS ou d’entreprises en affaires avec la mine dans le cadre d’une enquête autour d’irrégularités sur la location d’équipement pour le site [7].

Le double discours de l’État français

Au-delà de la dégradation de l’environnement local et des affaires de corruption, la nouvelle centrale envisagée à Kolubara signifiera pour la Serbie un recours encore accru au charbon, alors qu’elle tire déjà 69 % de son électricité de ce combustible. La stratégie d’« économie décarbonée » prônée par EDF [8] ne vaut-elle donc pas dans cette partie de l’Europe ?

Pour Malika Peyraut, « il y a un double discours de l’État français. D’un côté, la France accueille la Conférence internationale sur le climat (COP21) en 2015, mais de l’autre, EDF, dont l’État est actionnaire à 84 %, investit dans des projets polluants comme le charbon. Nous demandons que les investissements d’entreprises dont l’État français est actionnaire n’enferment pas d’autres pays dans des stratégies de dépendance au carbone. En Serbie, il y a un potentiel pour développer l’hydraulique et l’éolien. Si EDF veut vraiment s’étendre ailleurs, elle pourrait au moins apporter ses technologies en matière d’énergies renouvelables ! »

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En Croatie, importer du charbon plutôt que d’utiliser l’ensoleillement

EDF, toujours à travers sa filiale Edison, était aussi candidate pour construire une autres centrale à charbon en Croatie, Plomin C. L’entreprise publique d’énergie croate HEP a finalement décidé en septembre dernier de confier le marché à un conglomérat formé par Alstom et l’entreprise japonaise Marubeni. « Mais rien n’est définitivement décidé pour l’instant », précise Pippa Gallop, de l’ONG Bankwatch, qui suit de près les investissements de ces grandes entreprises dans le charbon en Europe de l’Est.

Là encore, la nouvelle centrale doit remplacer une unité plus ancienne en fin de course, tout en passant à une puissance bien supérieure. Si elle est construite, Plomin C doublera la production électrique issue du charbon dans le pays (pour atteindre 700 MW de capacité installée), au lieu de développer le potentiel en énergies renouvelables de la Croatie. « La Croatie ne dispose pas de charbon en propre. Ce qui devrait déjà être une raison suffisante pour arrêter d’utiliser ce combustible et de se tourner plutôt vers les énergies renouvelables, pour lesquelles nous disposons d’un potentiel énorme », souligne Zoran Tomic, de Greenpeace Croatie. « En plus du projet de Plomin C, il y aussi des plans pour construire une autre centrale à charbon dans la ville de Ploce », dans l’extrême Sud du pays. Cette centrale aurait une capacité de 800 MW. « Dans le même temps, la Croatie, l’un des pays les plus ensoleillés d’Europe, a moins de capacité installée en énergie solaire que la ville slovène de Maribor, qui est une station de ski », regrette-t-il.

Au-delà de ces deux projets en Serbie et Croatie, le pilier du charbon en Europe pour EDF, c’est bien la Pologne, où le groupe français représente 10 % du marché de l’électricité. Le pays tire toujours 90 % de son électricité du charbon. Dans ce paysage de smog, EDF se fond parfaitement dans le décor. Le groupe français exploite notamment la centrale de Rybnik, qui fonctionne intégralement au charbon (avec une capacité de 1 775 MW, autant que Fessenheim). Après avoir envisagé un temps de la remplacer par une nouvelle unité, toujours au charbon, EDF est en fait en train de la moderniser pour continuer à la faire marcher jusqu’à l’horizon 2030. EDF possède aussi plusieurs stations de cogénération électricité et chaleur à travers le pays [9]. EDF produit ainsi au total 3000 MW d’électricité en Pologne, laquelle provient à 91 % du charbon, contre 4 % de gaz naturel et 4 % d’énergies renouvelables [10]. La transition énergétique paraît encore plus éloignée qu’en France.

Désinvestissement du charbon

En investissant tous azimuts dans le charbon, EDF, et à travers EDF l’État français, nagent à contre-courant de la tendance dominante au niveau international. « Plusieurs banques multilatérales d’investissement ont récemment publié des critères pour leurs soutiens aux projets énergétiques qui excluent la plupart des installations au charbon. Et plusieurs pays du Nord de l’Europe ont également décidé d’arrêter de soutenir des projets dans le charbon à l’étranger », indique Malika Peyraut. Depuis 2013, les États-Unis, le Royaume Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, l’Islande, et la Suède ont décidé de cesser ou limiter leurs financements de nouvelles centrales à charbon à l’étranger [11]. La même politique a été adoptée par des banques multilatérales de développement, par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

Sur le cas serbe, la BERD, qui avait annoncé initialement une aide de 400 millions d’euros pour Kolubara B, s’est retirée du projet en 2013. « EDF au contraire a plutôt pris le parti de participer aux côtés d’autres grandes groupes énergétiques à l’initiative “Better coal”, qui vise à redorer l’image du charbon, fait remarquer Malika Peyraut. L’idée est qu’il serait possible de faire du charbon propre et équitable. Mais les critères définis sont flous et non contraignants. C’est du maquillage. » EDF vend par exemple ses nouvelles centrales à charbon dites « ultra supercritiques » comme « propres » [12]. Elles produisent certes plus d’électricité avec moins de charbon, mais continuent à émettre de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère.

Lors de la dernière assemblée générale de l’entreprise en mai 2014, les Amis de la terre ont interrogé Henri Proglio, son PDG, sur les intentions d’EDF quant au projet serbe de Kolubara B. Réponse du PDG du groupe [13] ? « Je ne voudrais pas qu’on s’appesantisse sur tel ou tel projet qui n’a pas encore vu le jour. » Avant d’ajouter : « EDF est et sera demain l’entreprise la plus responsable en matière de protection contre les gaz à effet de serre. »

Espérons que son successeur aura plus à coeur de tenir cette promesse. En attendant, EDF est nominée au prix Pinocchio 2014 dans la catégorie « plus vert que vert », décerné à « l’entreprise ayant mené la campagne de communication la plus abusive et trompeuse au regard de ses activités réelles ». Les votes sont ouverts jusqu’au 17 novembre.

Rachel Knaebel

— 
Photos : Bankwatch CC (convoi de lignite et eaux usées issues de la mine à Kolubara, Serbie). Voir ici l’ensemble des photos.

Notes

[1L’entreprise n’a pas souhaité répondre à nos questions pour cet article, malgré des sollicitations répétées.

[2Elles se trouvent au Havre, à Cordemais, Bouchain, La Maxe, Vitry-sur-Seine, Blénod-lès-Ponts-à Mousson.

[3Rapport annuel 2013, p 35.

[4Rapport annuel 2013, p 59.

[5EDF le détient aujourd’hui à 97,4 %.

[6Voir le texte de la plainte ici, p 18.

[7Voir le rapport "Winners and loser. Who benefits from high level corruption in the South East Europe energy sector ?” publié en juin 2014. Une nouvelle vague d’arrestations a eu lieu en septembre 2013. Il s’agissait cette fois d’irrégularités autour de l’expropriation des habitants touchés par les projets d’extensions des mines.

[8Rapport annuel 2013, p 34.

[9À Cracovie, Wroclaw, Gdynia, Gdansk, Torun, Zielona Gora.

[10GDF Suez est aussi actif dans le charbon en Pologne. L’entreprise y exploite depuis 2000 la centrale électrique au charbon de Polaniec et envisage de construire une autre centrale près de la frontière Ukrainienne, sur un terrain vierge. Lire notre enquête La Pologne, le climat et les entreprises françaises de l’énergie.

[11Le tout nouveau gouvernement suédois, composé de sociaux-démocrates et d’écologistes, pourrait même pousser le groupe énergétique Vattenfall à abandonner ses projets de nouvelles mines de lignite en Allemagne.

[12Il existe trois types de centrales à charbon, classées selon leur rendement : sub-critiques, supercritiques et ultra-supercritiques.

[13À écouter ici, à 2 heure 21 minutes.

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