15.04.2012 • Etude

Une photographie des conditions de travail des 22 millions de salariés français

Intensification du travail, surveillance accrue des salariés par leur hiérarchie, pénibilités physiques toujours présentes auxquelles s’ajoutent les « risques psychosociaux »... Tels sont les enseignements de la nouvelle étude sur l’exposition aux risques professionnels publiée en mars 2012 le ministère du Travail. Elle révèle un accroissement des situations de « tension au travail » dans un contexte où plusieurs dispositions du droit du travail vont être remises en cause.

Publié le 15 avril 2012 , par Ivan du Roy

Les conditions de travail se dégradent-elles ? Quelles sont les contraintes et pénibilités qui pèsent sur les salariés ? Et les risques encourus ? L’enquête « Sumer » (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) nous livre une photographie de la situation des 22 millions de salariés français. Cette étude lancée par la direction générale du travail (DGT) et la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) est réalisée tous les 9 ans par 2 400 médecins du travail questionnant 48 000 salariés du privé et du public.

Légère diminution des contraintes physiques intenses

Il y a vingt ans, près d’un salarié sur trois travaillait plus de 40 heures par semaine. Ils ne sont plus que 18 % aujourd’hui, grâce notamment aux 35 heures. Cette diminution du temps de travail demeure cependant virtuelle pour un cadre sur deux, au bureau plus de 40 heures par semaine (48 % aujourd’hui contre 63 % il y a vingt ans). Dans les ateliers ou sur les chantiers, les contraintes physiques intenses baissent légèrement. Elles concernent les personnes obligées de travailler debout, de porter des charges lourdes, d’effectuer des gestes répétitifs (le travail à la chaîne, par exemple) ou soumis à des vibrations.

En 1994, près de 46 % des salariés étaient ainsi régulièrement confrontés à au moins une de ces contraintes : au moins 20 heures par semaine pour la manutention manuelle de charges, pour le travail debout, au moins 2 heures par semaine pour les autres contraintes posturales (position à genoux, maintien de bras en l’air, posture accroupie, en torsion, etc.). Cette proportion descend en dessous de 40 % en 2010. Soit près de 9 millions de personnes. Sans surprise, ce sont principalement les ouvriers, les employés de commerce et de service, le secteur de la construction et le monde agricole qui sont les plus exposés, avec comme possible conséquence des problèmes de dos, des douleurs aux articulations et des troubles musculaires. Seule l’exposition au bruit progresse : un salarié sur cinq travail dans un environnement sonore supérieur à 85 décibels, soit le bruit d’un camion roulant à 50 km/h.

Baisse de l’exposition aux produits toxiques

Malgré un recours de plus en plus grand aux molécules chimiques dans l’industrie, l’exposition globale aux produits chimiques diminue depuis 2003. Un salarié sur trois est exposé à au moins un produit dangereux dans le cadre de son travail avec, en cas de contact, des risques immédiats – brûlure irritation, réactions allergiques – ou différés dans le cas des cancérogènes. Ce qui concerne quand même plus de 7 millions de salariés, là encore principalement des ouvriers qualifiés et non qualifiés. Une « décrue » liée au « renforcement de la réglementation » depuis 2001, conséquence, entre autres, des grandes mobilisations sur l’amiante.

Ces légères améliorations se font cependant dans un contexte d’intensification du travail. Contraintes de rythme, quantité de travail excessive, polyvalence, objectifs irréalistes ou flous, ou instructions contradictoires se multiplient au sein des entreprises. Le nombre de salariés soumis à au moins trois contraintes de rythme – lié à la cadence automatique d’une machine, à la dépendance immédiate vis-à-vis du travail de ses collègues, aux normes et délais de production à respecter en moins d’une journée, ou au contrôle permanent de la hiérarchie… – passe de 28 % à 35,5 %. « L’intensité du travail est l’une des principales dimensions des facteurs psychosociaux de risque au travail », rappelle l’étude. Et ce risque concerne 7,7 millions de personnes, aussi bien les ouvriers, les employés et les cadres.

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Des salariés davantage surveillés

« La proportion de salariés contrôlés en permanence par leur hiérarchie s’est accrue entre 2003 et 2010, notamment pour les employés de commerce et de service », souligne encore l’étude. Cette surveillance permanente concerne plus d’un salarié sur quatre. Le contrôle informatisé continue de s’étendre partout, aussi bien dans l’industrie que dans les services, et touche autant les cadres que les ouvriers qualifiés. Si, globalement, le temps de travail hebdomadaire diminue, la flexibilité du temps de travail s’accroît. Le travail le dimanche et les jours fériés augmente, concernant 31 % des salariés, principalement dans le commerce. Ceux-ci sont également confrontés à la multiplication des horaires variables. Un salarié sur dix demeure soumis à des horaires imprévisibles d’une semaine à l’autre.

L’intensification du travail – davantage de sollicitations en moins de temps – s’accompagne d’un « net accroissement » des situations de « tension au travail » : lorsqu’un salarié est confronté à une forte demande (rythme, objectifs, diversité des tâches à accomplir…) sans disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour y répondre. De plus, la part de salariés estimant rencontrer un comportement hostile (22 % des salariés) ou méprisant (15 %) au travail augmente de manière notable. Cette charge psychologique vient ainsi s’ajouter à des pénibilités physiques qui diminuent très lentement.

À l’heure où le Medef met en avant la recherche de compétitivité parallèlement à celle de réduction des coûts, tout en refusant de se pencher sérieusement sur la question des pénibilités, il serait peut-être temps que ces questions liées aux conditions de travail et aux conséquences qu’elles font peser sur la vie quotidienne des salariés émergent dans le débat public.

Ivan du Roy

 
Photos : The Library of Congress

Boîte Noire

Pour consulter l’enquête Sumer sur le site du ministère du Travail.

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