L’Union européenne a t-elle fait fausse route en promouvant la consommation d’agrocarburants issus de cultures alimentaires ? La directive européenne sur les énergies renouvelables impose que 10 % de l’énergie utilisée dans les transports à l’échelle du continent soit produite à partir de sources renouvelables d’ici 2020. Derrière le terme d’« énergies renouvelables », il s’agit en fait quasi exclusivement d’agrocarburants de première génération, c’est-à-dire à base de matières premières agricoles (soja, colza, tournesol, huile de palme, maïs, blé...), ajoutés aux carburants traditionnels.
Ces objectifs apparemment louables pourraient en réalité provoquer l’effet inverse et accroître les émissions de gaz à effet de serre, selon une étude réalisée par le cabinet de conseil Ecofys pour la Commission européenne. « Le biodiesel issu d’huile de palme émet trois fois plus [que le diesel, ndlr] et l’huile de soja autour de deux fois plus, lorsque les effets des cultures sur l’usage des terres sont pris en compte », rapporte The Guardian qui a pu consulter l’étude. Pour chaque mégajoule d’énergie utilisée, l’étude constate que l’huile de palme émet 231g d’équivalent CO2 et l’huile de soja 150g d’équivalent CO2, ce qui est beaucoup plus élevé que les estimations du Giec concernant les émissions des combustibles fossiles [1].
Selon l’étude, jusqu’à 6,7 millions d’hectares de forêts et de prairies pourraient être remplacés par des cultures d’agrocarburants. « Lorsque la perte des arbres est prise en compte, ces ’biocarburants’ généreraient autour de près de 1 milliard de tonnes d’équivalent CO2 », relève le quotidien britannique. En avril 2015, les eurodéputés ont adopté un plafond les agrocarburants de première génération, fixé à 7 % de la consommation énergétique finale des transports. Pour les ONG comme le réseau Transport and Environment, ce plafond n’est pas suffisant ; elles demandent qu’il soit mis un terme aux politiques publiques favorables à ce type d’agrocarburants.
Politiques publiques contre-productives
La publication du rapport a été retardée pendant plusieurs mois, sous la pression de la direction générale de l’Énergie. Ce n’est que grâce à une demande officielle d’accès à l’information de Transport and Environment qu’elle a finalement été publiée sur le site de la Commission... avant d’être retirée du web quelques jours plus tard. « En interne, il a été dit que la publication de l’étude pourrait nuire aux relations internationales avec les pays producteurs de palmiers à huile », selon une source du Guardian.
Le European Biodiesel Board, organisation rassemblant les producteurs européens de biodiesel (dont Avril-Sofiprotéol en France), n’a pas tardé à réagir en arguant que l’étude était basée sur « un modèle qui n’a pas encore été divulgué ni validé par les pairs ». Le lobby du biodiesel met en avant une autre étude, réalisée par le California Air Resources Board (CARB) en septembre 2015, selon laquelle les émissions de CO2 générées par les changements d’usage des sols, d’une forêt à une plantation de soja par exemple, sont largement plus faibles que l’estimation de l’étude de la Commission.
Malgré ces doutes sur leur véritable bilan climatique, et les nombreuses accusations de favoriser l’insécurité alimentaire et les accaparements de terres, les politiques publiques européennes demeurent pour l’heure favorables aux agrocarburants. C’est aussi le cas en France. Un rapport de la Cour des comptes de 2012 estimait que l’exonération fiscale dont bénéficient les producteurs de biodiesel a coûté à l’État plus de 1,8 milliards d’euros entre 2005 et 2010. Sur la même période, les investissement productifs réalisés par la filière en France - c’est-à-dire essentiellement par Avril-Sofiprotéol - avoisinent seulement 500 millions d’euros... Les contribuables français ont donc payé près de quatre fois les investissements des entreprises privées spécialisées en agrocarburants, pour des résultats pour le moins douteux !
Sophie Chapelle
—
Photo prise dans une plantation d’huile de palme à Madagascar / CC Sophie Chapelle