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Devoir de vigilance, stabilité financière... Le gouvernement français se fait le champion de la dérégulation à Bruxelles

Prenant prétexte de l’élection de Donald Trump et de ses menaces de guerre commerciale, le gouvernement français a remis à l’ordre du jour à Bruxelles toute une série de vieilles revendications patronales. En ligne de mire, notamment, la récente directive sur le devoir de vigilance des multinationales.

Publié le 28 janvier 2025 , par Olivier Petitjean

Dans un courrier rendu public par Politico et Mediapart, le gouvernement français, par la voix du ministre de l’Économie Éric Lombard, demande à Bruxelles « une pause réglementaire massive », ainsi que la « révision de législations, même adaptées récemment » qui ne seraient plus « adaptées au nouveau contexte de concurrence internationale exacerbée ».

En ligne de mire, notamment : la directive adoptée il y a un peu moins d’un an, qui consacre au niveau européen le principe d’une responsabilité des grandes entreprises quant au respect de l’environnement et des droits humains sur toute leur chaîne de valeur à travers le monde. Ce principe est pourtant déjà en vigueur en France depuis 2017 avec la loi sur le devoir de vigilance des multinationales.

Dernier épisode en date dans une longue bataille

Mise à l’agenda parlementaire dès 2012, cette loi avait finalement été adoptée dans les derniers jours de la présidence de François Hollande au bout d’une bataille de lobbying acharnée et malgré l’opposition des grands groupes représentés par l’Association française des entreprises privées (AFEP) et du ministre de l’Économie d’alors Emmanuel Macron (lire notre dossier Devoir de vigilance). L’AFEP avait ensuite mené l’offensive contre le projet de directive européenne. Il y a quelques jours, ce lobby, porte-parole du CAC 40, a réitéré sa revendication d’un gel de cette directive et d’autres au nom de « l’intensification de la concurrence mondiale ».

Reprenant ces demandes presque mot pour mot, le gouvernement français exige désormais lui aussi un report sine die de l’application de la directive, et la suppression de la possibilité de l’étendre au secteur financier. Durant l’examen du texte à Bruxelles, la France avait bataillé ferme pour éviter que les obligations de devoir de vigilance s’appliquent à ce secteur, pour protéger les intérêts des grandes banques tricolores mais aussi de BlackRock (lire notre enquête La boîte noire de la France à Bruxelles). Elle a largement obtenu gain de cause, mais a tout de même dû accepter une clause de revoyure prévoyant que la question serait réexaminée au bout de deux ans. Clause que Paris cherche aujourd’hui à faire sauter.

Dérégulation financière

Ce n’est pas tout. Le gouvernement français souhaite que soient réexaminées et assouplies d’autres législations, notamment la directive sur le reporting des entreprises en matière de soutenabilité (CSRD), mais aussi la taxonomie verte, les garde-fous en matière de stabilité financière, l’encadrement strict de de la « titrisation » mis en place suite à la crise de 2008, les règles environnementales de la politique agricole commune, la législation en matière de déchets ou encore le tout nouveau cadre législatif sur l’intelligence artificielle.

Au final, c’est une litanie de revendications portées de longue date par les grands intérêts économiques français, en particulier les banques, que le gouvernement ne fait que reprendre en les présentant de manière opportuniste comme une réponse au nouveau contexte international.

Ces demandes françaises s’inscrivent en effet dans une série d’initiatives lancées par la Commission européenne pour renforcer la « compétitivité » du vieux continent, dans la lignée du rapport Draghi publié en juin dernier. Cette nouvelle priorité doit se traduire en particulier par un texte de dérégulation tous azimuts – l’« Omnibus de simplication » – qui sera dévoilé le 26 février prochain et est piloté par le commissaire européen français Stéphane Séjourné.

D’après les documents fuités à la presse européenne, la Commission envisage entre autres d’assouplir les règles de la concurrence pour permettre aux entreprises européennes d’absorber leurs concurrentes et de devenir plus grosses (une autre revendication française de longue date), de relancer l’union des marchés de capitaux, d’introduire une préférence européenne dans les marchés publics « stratégiques », de mettre en place un « fonds de compétitivité » et plus globalement d’assurer « un alignement plus étroit entre les secteurs public et privé » pour protéger l’économie européenne et ses infrastructures.

Alignement par le bas

Là encore, il s’agit pour beaucoup de mesures déjà sur la table depuis un certain temps et de revendications anciennes des milieux patronaux. Le raisonnement selon lequel la principale explication des difficultés de l’économie européenne serait l’excès de transparence et de « reporting » - et non, plutôt, la fin de l’accès à l’énergie russe bon marché, le comportement rentier des grands groupes ou la faiblesse de leurs investissements sur le vieux continent – paraît pourtant léger. Jusque récemment, la Commission présentait ces régulations et le « Green New Deal » lui-même comme un facteur de compétitivité.

La position française est d’autant plus étrange que plusieurs grandes multinationales ont exprimé leur soutien à l’application de la directive sur le devoir de vigilance. Il y a quelques jours encore, Ferrero, Nestlé, Primark, Unilever et d’autres groupes ont co-signé une déclaration exprimant leur « inquiétude » quant à une éventuelle remise en débat de la directive, basée selon elles sur des « standards qui font autorité » en matière de soutenabilité.

De quoi on peut sans doute conclure deux choses. D’abord, que ces textes ne sont pas si contraignants et si excessifs que ne le disent les milieux d’affaires français, actuellement très prompts à surfer sur la vague « anti-régulations » incarnée par Javier Milei et Elon Musk. Deuxièmement, que l’AFEP,, prétendant parler au nom de toutes les entreprises, tend toujours à s’aligner sur le plus petit dénominateur commun, entraînant souvent le gouvernement français à sa suite.

Article publié par Olivier Petitjean

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