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Ainsi tournent, tournent, tournent... les portes entre public et privé
À l’Observatoire des multinationales, à force d’enquêter sur le lobbying des grandes entreprises, nous en sommes rapidement venus à la conclusion que les « portes tournantes » (aka pantouflages et rétropantouflages) sont LE nerf de la guerre.
Les ex ministres qui partent dans le privé ou qui créent des sociétés de conseil (Muriel Pénicaud/Galileo, O/Mistral AI, Blanquer/Veolia, Castaner/Shein, etc.) font régulièrement la une des médias, mais le phénomène est encore plus profond et plus structurel.
C’est ce que veut expliquer le nouveau rapport publié à ce sujet par l’Observatoire des multinationales, qui tord au passage le cou à quelques idées reçues (que les portes tournantes seraient le signe d’une ouverture à la société civile et à l’entreprise, ou bien qu’elles seraient déjà trop régulées, etc.).
Nous y montrons notamment :
- que le phénomène des portes tournantes est massif (+ de 500 cas sur une période de trois ans) ;
- que les portes tournantes concernent à 98% des grandes entreprises ou des cabinets de lobbying, pas la société civile ;
- que les pantoufleurs vont dans 71% des cas faire du lobbying ou sont d’anciens lobbyistes ;
- que certains secteurs comme la finance, le numérique ou l’agriculture sont particulièrement propices aux portes tournantes ;
- que dans près de la moitié des cas, les pantoufleurs restent dans le même secteur, autrement dit qu’un régulateur devient régulé ou inversement (cf. la nomination emblématique de Marie-Anne Barbat-Layani, ancienne directrice du lobby des grandes banques, à la tête de l’Autorité des marchés financiers).
Lire le rapport : « Portes tournantes » : comment la circulation des élites entre secteurs public et privé dénature notre démocratie
Un bref résumé de nos conclusions en six questions-réponses est également disponible.
Shein et Christophe Castaner pas très nets sur leur lobbying
L’offensive de lobbying de Shein en France a-t-elle contribué à retarder, puis à vider de sa substance la proposition de loi sur la « fast-fashion », qui doit être examinée au Sénat dans une version bien moins ambitieuse qu’initialement la semaine prochaine ?
Et quel a été exactement le rôle de l’ex ministre Christophe Castaner, recruté par le groupe chinois ?
Impossible de le savoir ni de le comprendre au vu des explications publiques contradictoires et peu convaincantes des intéressés, et au vu de leurs déclarations d’activités de lobbying, formulées de manière très vague et pleines d’incohérences.
L’Observatoire des multinationales et les Amis de la Terre France ont demandé à la Haute autorité pour la transparence d’user de son pouvoir de contrôle pour vérifier la sincérité des informations fournies par Shein et Christophe Castaner et obtenir davantage de détails sur leurs activités de représentation.
Au-delà de l’enjeu de transparence de lobbying, il y a une question de fond. La loi sur la « fast-fashion », adoptée à l’unanimité par l’Assemblée l’an dernier, et qui est globalement soutenue non seulement par les ONG mais aussi par l’industrie textile française et une bonne part du monde économique, risque de ne pas voir le jour parce qu’une multinationale a les ressources pour sortir l’artillerie lourde en termes de lobbying et de comm’ et pour s’assurer les services d’anciens hauts responsables publics.
Sur les détails de l’affaire et nos explications : Comment Shein veut imposer son modèle
Macron tombe le masque sur le devoir de vigilance
À l’occasion du sommet « Choose France » qui s’est tenu le 19 mai dernier, Emmanuel Macron a confirmé ce que tout le monde savait déjà. Emboîtant le pas au nouveau gouvernement allemand, il a souhaité l’abandon pur et simple de la récente directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales.
Ce n’est pas vraiment une surprise puisque, comme nous l’avions raconté à l’époque, Emmanuel Macron s’était longtemps opposé à l’adoption de la loi française sur le sujet (lire notre dossier Devoir de vigilance).
À Bruxelles, les représentants de la France, tout en affirmant haut et fort leur soutien à une directive dans ce domaine, se sont attachés à en réduire l’ambition. Ils ont notamment obtenu que le secteur financier soit largement exempté d’obligations – et ceci, comme nous l’avions montré dans une enquête, probablement à l’inspiration de BlackRock et des grandes banques françaises.
Le prétexte avancé aujourd’hui par Emmanuel Macron est que les multinationales européennes ne peuvent pas se permettre de se fixer trop d’exigences dans le domaine social et environnemental si elles veulent survivre dans la compétition mondiale. De fait, les grandes entreprises du vieux continent, les allemandes en tête, poussent aujourd’hui l’Europe à renoncer à ses ambitions passées et à rejoindre la course au moins-disant initiée par Donald Trump.
Pourtant, ce n’est pas un hasard que le coming out d’Emmanuel Macron ait eu lieu lors du sommet Choose France, dont l’objet est de mettre en scène l’attractivité de l’Hexagone pour les investisseurs américains, moyen-orientaux et asiatiques. Détricoter les normes et les exigences de responsabilité servira tout autant, sinon davantage, les intérêts des multinationales non européennes que des européennes.
La bataille sur le destin de la directive européenne sur le devoir de vigilance se poursuit désormais devant le Parlement européen.
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Bernard Arnault, August Debouzy et Les Échos contre les commissions d’enquête parlementaire. Au Sénat et à l’Assemblée nationale, plusieurs commissions d’enquête parlementaires sont en cours portant sur des sujets économiques, dont la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises, dont nous vous reparlerons prochainement. Beaucoup de grands patrons d’entreprises françaises ont été auditionnés dans ce cadre, et certains ne semblent pas avoir goûté l’exercice, comme Bernard Arnault qui s’est emporté contre le communiste Fabien Gay, rapporteur de cette commission et par ailleurs directeur de publication de L’Humanité. Deux articles à charge des Échos ont dénoncé le « piège » des commissions parlementaires avec un ton très méprisant à l’égard des députés et sénateurs. Mais cet agacement n’est-il pas surtout le signe que les grands patrons ne sont pas habitués au débat démocratique contradictoire et à devoir répondre de leurs actes ? Lire notre article.
Insincérité climatique. L’Assemblée générale annuelle de TotalEnergies a eu lieu le 23 mai. L’événement s’est tenu comme tous les ans sur fond de contestation des militants du climat, et comme tous les ans la direction du groupe a confirmé des investissements massifs dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers ainsi qu’une hausse des dividendes versés aux actionnaires. Sur fond de « backlash » anti-écologie, la multinationale assume ouvertement son engagement à long terme dans les hydrocarbures et a baissé ses investissements dans les énergies dites « bas carbone », à rebours des discours que ses dirigeants tenaient publiquement depuis quelques années. Ce sont précisément ces discours qui seront au centre d’une audience au tribunal judiciaire de Paris le 5 juin, suite au recours pour « pratiques commerciales trompeuses » initié en 2022 par les Amis de la Terre France, Greenpeace France et Notre affaire à tous. Les juges seront appelés à se prononcer sur « la sincérité de l‘objectif de neutralité carbone de [la multinationale] et de sa “stratégie climat”, communiqués aux consommateurs ». L’Observatoire des multinationales avait initié dès 2017 ce travail de « debunkage » de la Stratégie climat de TotalEnergies, lire Total : une stratégie climat en trompe-l’oeil.
Perenco Files. En mars 2024, un accident mortel sur une plateforme pétrolière du groupe français Perenco au large des côtes du Gabon a fait six morts. Selon un rapport de l’Environmental Investigation Agency, la responsabilité de ces décès revient bien à l’entreprise, spécialisée dans l’exploitation « low cost » de gisements anciens, et qui aurait négligé de tenir compte des alertes de sécurité. Ce n’est pas la première fois que Perenco est mis en cause pour ses pratiques cavalières en matière de sûreté et de pollution, comme nous avons eu l’occasion de le rapporter à de nombreuses reprises.. Le Monde consacre à cette occasion une enquête approfondie à ce groupe peu connu du grand public.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.