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La politique du pire. La lettre du 9 octobre 2025

Publié le 9 octobre 2025

cc Commission européenne

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Artillerie lourde, mais voix discordantes

Les grandes entreprises et les lobbys patronaux ne font pas dans la dentelle ces jours-ci. On l’a vu en France avec le débat sur le budget et la justice fiscale. La taxe Zucman, en particulier, a suscité des critiques outrancières de la part de plusieurs hommes d’affaires parmi lesquels le PDG de LVMH Bernard Arnault, qui a accordé un entretien au Sunday Times pour dire tout le mal qu’il pensait de cette idée portée selon lui par un « militant d’extrême-gauche ».

Dans la foulée, le Medef a promis d’organiser une « grande mobilisation patronale » contre les hausses d’impôts pour les entreprises et les riches, avec un événement prévu le 13 octobre dans l’Arena de Bercy (20 000 places). Mais des voix discordantes se sont fait entendre au sein même du monde patronal, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) refusant – contrairement à leurs habitudes – de servir de caution à la défense des intérêts des gros poissons. Tirant prétexte de la crise politique, le Medef a annulé l’événement qui s’annonçait comme un flop.

Un début de fissures dans le front des entreprises ? Il semble en tout cas que les outrances ultralibérales ne font plus forcément consensus et qu’une partie des chefs d’entreprises se demandent s’ils ne sont pas les dindons de la farce. Cela vaut aussi en ce qui concerne les aides publiques. Au cours de l’entretien qu’il nous a récemment accordé, Fabien Gay, rapporteur de la récente commission d’enquête sur le sujet, est revenu sur les différences d’attitudes parmi les patrons qu’il a auditionnés et sur l’erreur que fait selon lui le Medef « en verrouillant le débat pour sauvegarder quelques grands groupes au détriment de la majorité des entreprises ».

À lire ici : « Notre chiffrage de 211 milliards d’euros d’aides publiques est déjà largement repris dans les mobilisations et au sein même des entreprises »

À l’échelle européenne, ce ne sont pas tant les impôts que les « régulations » qui sont aujourd’hui la cible des diatribes des grandes entreprises. Comme nous le racontons dans un nouvel article, beaucoup des groupes français exposés aux hausses de droits de douanes voulues par Donald Trump ont cherché à se concilier les bonnes grâces du locataire de la Maison Blanche tout en réservant leurs flèches contre Bruxelles, coupable à leurs yeux de trop réglementer et de ne pas assez les soutenir.

C’est un point sur lequel les multinationales européennes et américaines ont exactement les mêmes intérêts. Plusieurs grands groupes du vieux continent ont promis d’investir massivement en Europe... si la Commission européenne allait encore plus loin dans les dérégulations.

La directive sur le devoir de vigilance est particulièrement ciblée. Comme le montre un rapport de nos partenaires néerlandais de Somo, les pressions américaines et une vaste campagne de lobbying lancée par ExxonMobil, premier groupe pétrolier mondial, sont en train de dépecer ce qu’il restait encore de cette législation et de la directive sœur sur la transparence sociale et environnementale (CSRD pour les intimes). Lire à ce sujet notre article Comment ExxonMobil et Trump ont fait démanteler une législation européenne sur le climat et les droits humains.

Là aussi, d’autres multinationales comme Mars, Unilever et Nestlé s’étaient exprimées en faveur du maintien de ces lois, dont un récent sondage suggère qu’elles sont largement soutenues même dans les milieux économiques (si on ne restreint pas la focale sur quelques grands groupes).

Pourtant, ce sont les acteurs les plus rétrogrades sur ces questions, comme ExxonMobil, qui sont en train de faire prévaloir leurs vues.

Pourquoi ? En raison du climat politique actuel et notamment de l’alliance de fait entre droite et extrême droite qui s’est nouée pour pousser une politique de dérégulation tous azimuts au niveau européen et déjà en partie en France.

Milliardaires de la tech

Justement, nous poursuivons nos enquêtes sur les liens entre l’extrême droite et le monde des entreprises en nous penchant sur un secteur qui semble particulièrement disposé à piétiner tous les cordons sanitaires de jadis : celui de la tech.

De l’autre côté de l’Atlantique, beaucoup de grandes fortunes de la Silicon Valley se sont bruyamment ralliées à Trump, et ont déjà été largement récompensées de ce soutien (nous en parlions dans une enquête en deux volets, ici et ).

La tech française pourrait-elle être tentée de suivre le même chemin ? L’un des principaux financeurs et soutiens actuels de l’extrême droite, l’homme d’affaires Pierre-Édouard Stérin, est très présent dans le petit monde de la « French Tech » comme nous le montrons dans une nouvelle enquête. Il n’est pas le seul dans le milieu à afficher des positions libertariennes ou ultraconservatrices. Et jusqu’à présent, contrairement à ce que l’on a vu dans le secteur des médias (Le Crayon ayant fait sortir Stérin de son capital), des collectivités locales (qui se sont retirées du label « Plus belles fêtes de France ») ou même de la réalité virtuelle, la French Tech ne semble pas voir le problème.

Lire l’enquête : Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »

Pour revenir aux États-Unis, si on a beaucoup parlé ces derniers mois d’Elon Musk, il est un autre milliardaire de la tech presque aussi riche et beaucoup moins connu, mais qui pourrait faire autant de mal à la démocratie américaine : le fondateur d’Oracle Larry Ellison. Proche de Donald Trump, Tony Blair et Benjamin Netanyahu, l’homme d’affaires partage beaucoup des lubies anti-impôts et pro-IA et pro-surveillance de ses pairs de la Silicon Valley. Et il est en train de se constituer un vaste empire médiatique en mettant la main sur Paramount (dont la chaîne CBS) et bientôt peut-être TikTok US (grâce à Trump) et Warner (dont la chaîne CNN).

Lire Larry Ellison, l’autre milliardaire réactionnaire de la tech... dont vous n’avez pas encore assez entendu parler

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En bref

Le Conseil d’État à la rescousse de Polytechnique. Le Conseil d’État a rendu une décision très attendue sur la transparence des conventions de mécénat passées par l’école avec des grandes entreprises, dont nous avons parlé dans notre récente enquête Polytechnique, une école d’État sous emprise. Les dirigeants de Polytechnique refusent de divulguer ces conventions, avec les montants impliqués et les contreparties attendues, invoquant le « secret des affaires ». Le tribunal administratif leur avait donné tort, estimant que ce secret ne pouvait être invoqué puisqu’il s’agissait de mécénat et d’un établissement public. Le Conseil d’État a cassé ce jugement, confirmant une tendance généralisée au sein des institutions à considérer que n’importe quelle information, même quand elle n’a rien de sensible et que l’argent public est en jeu, peut ainsi être protégée. Ce n’est pas la première fois que les haut-fonctionnaires du Palais-Royal s’illustrent par leur conservatisme dans ce domaine (et leur inventivité juridique), puisqu’ils avaient refusé la divulgation des comptes de la fondation Louis Vuitton au nom … de la « protection de la vie privée ».

Shein repart à l’attaque. Critiqué de toutes parts et ciblé par la loi « fast-fashion », le groupe chinois Shein a relancé son offensive de relations publiques en France (relatée dans notre enquête) à travers un nouveau coup de comm’ : l’annonce de l’implantation physique de la marque au BHV à Paris et dans cinq magasins des Galeries Lafayette en France, présentée comme une « première mondiale ». Le tout grâce à un partenariat avec l’homme d’affaires Frédéric Merlin, propriétaire du groupe SGM. L’annonce est intervenue deux jours après que le point de contact national de l’OCDE, saisi par les députés Dominique Potier et Boris Vallaud, ait rendu un rapport sévère pointant les graves manquements de Shein en matière de droits humains et d’environnement. L’affaire s’est retournée contre SGM, lâché par certains de ses principaux soutiens comme la Caisse des dépôts et consignations et la maire de Paris Anne Hidalgo.

Double standard. Les achats de gaz russe de quatre pays européens, dont la France, dépassent largement l’aide qu’ils apportent à l’Ukraine, selon un récent rapport de Greenpeace Belgique. Entre le début de la guerre et juin 2025, ils ont importé pour 34,3 milliards d’euros de gaz, tandis que leur aide cumulée à l’Ukraine s’élève à 21,2 milliards sur la même période. Ces achats proviennent majoritairement du projet Yamal LNG, via des contrats d’approvisionnement à long terme. TotalEnergies est de loin le principal groupe concerné, avec 2,5 milliards d’euros d’achat de gaz (à quoi s’ajoutent 500 millions d’euros pour Engie), et en tant qu’actionnaire à 20% de Yamal LNG et à 19,4% de son partenaire Novatek (lire à ce sujet notre enquête Total dans l’Arctique russe). Greenpeace estime que TotalEnergies a touché sur la même période un peu plus de 5 milliards d’euros de dividendes de Yamal LNG, et 1,74 milliards d’euros de Novatek (lire TotalEnergies encaisse des dividendes russes « tachés de sang »).

TotalEnergies veut se relancer au Mozambique malgré les menaces sécuritaires. Depuis des mois, le groupe français TotalEnergies laisse entrevoir la reprise de son mégaprojet gazier au large de la province de Cabo Delgado (lire notre article). Le pas pourrait être bientôt franchi, selon Le Monde. Le projet avait été mis en suspens en 2021 suite à l’attaque d’un groupe jihadiste dans la région. L’entreprise est d’ailleurs sous le coup d’une information judiciaire pour homicide involontaire, suite à une plainte déposée par plusieurs sous-traitants et familles de victimes. Pour TotalEnergies et le gouvernement mozambicain, les conditions de sécurité seraient à nouveau réunies, grâce à la présence d’un contingent de soldats rwandais pour protéger la zone. Pourtant, une nouvelle attaque jihadiste a eu lieu fin septembre dans la région, à quelques dizaines kilomètres des installations gazières, faisant plusieurs victimes. TotalEnergies prévoit de créer une véritable bulle sécuritaire sur son site d’Afungi, qui ne serait plus accessible que par la mer. De quoi démentir s’il était besoin toutes ses promesses sur les bénéfices de ses activités pour les populations locales.

Après Auchan, Michelin. En novembre dernier, les groupes Auchan et Michelin avaient fait scandale en annonçant d’importants plans de suppressions d’emploi en France. Un an plus tard, la justice intervient. Après avoir largement mis à mal les arguments d’Auchan (voir notre dernière newsletter), les tribunaux ont rejeté le licenciement d’un représentant syndical de l’usine de Vannes de Michelin, estimant que le motif économique n’était pas avéré, le groupe étant « rentable ». Une décision qui pourrait avoir des conséquences pour les autres salariés licenciés, alors que la direction du groupe assure que les départs en retraites ou en pré-retraite ont, eux, bien été validés.

Le chiffre : 1000 milliards de dollars. C’est, selon les calculs du Financial Times, la valeur total des accords signés depuis le début de l’année par OpenAI avec d’autres géants du secteur comme Oracle, CoreWeave, le fabricant de puces tout Nvidia et récemment AMD. Et ce alors que l’’entreprise derrière ChatGPT accuse 13,5 milliards de dollars de pertes au premier semestre 2025, pour un chiffre d’affaires de 4,3 milliards. Un pari massif et hautement spéculatif sur l’avenir de l’IA qui génère une bulle financière mais aussi écologique. Lire notre article.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

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