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Les troublantes contributions financières de groupes français à la campagne électorale américaine
Le 5 novembre prochain a lieu aux États-Unis un scrutin qui décidera non seulement du nom du prochain locataire de la Maison Blanche, mais également de la majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants.
Comme l’Observatoire des multinationales l’avait fait lors de scrutins précédents (voir Élections américaines : l’argent des entreprises françaises), nous nous sommes penchés sur les contributions financières à la campagne électorale émanant de filiales de groupes français aux États-Unis. Et l’exercice révèle quelques surprises.
Cette année encore, plusieurs groupes du CAC40 ont versé via leurs « political action committees » (ou « PACs) » de l’argent à des candidats au Sénat et à la Chambre. Beaucoup tendent à privilégier les républicains, et ils ont tous financé des candidats représentant l’aile la plus dure du parti, celle qui refuse toujours de reconnaître le résultat de l’élection présidentielle précédente, en 2020. Un déni qui avait mené à l’invasion du Capitole par une foule de supporters de Donald Trump.
C’est le cas notamment de Sanofi, ce qui n’est pas très étonnant tant les dirigeants de ce groupe le considèrent désormais comme américain plutôt que français (voir notre lettre précédente). Son PAC a déclaré à ce jour pour 409 000 dollars de contributions à des campagnes, en majorité pour des républicains. Il a par exemple donné 30 000 dollars chacun aux comités nationaux républicains pour le Sénat et le Congrès, et financé les campagnes de multiples candidats qui ont refusé de valider le résultat des élections de 2020.
D’autres noms sont plus inattendus. Plusieurs entreprises contrôlées totalement ou partiellement par l’État français – Airbus, Thales, Engie, Orano et EDF – ont ainsi contribué via leurs PACs aux campagnes de plusieurs candidats trumpistes.
Est-ce que les financements accordés par les PACs de groupes français comme Sanofi, Airbus ou EDF à des candidats républicains extrémistes vaut approbation de toutes leurs positions en matière de climat, de droits sexuels, de migration ou de recours à la violence politique ? Dans la plupart des cas, non. Le choix des bénéficiaires reflète surtout une bonne dose d’opportunisme et d’intérêts bien compris. Si Airbus se montre si généreux avec les candidats de l’Alabama et du Mississippi, deux États dominés par les républicains, cela tient évidemment à la localisation de sa seule usine aux États-Unis.
Mais ces contributions montrent précisément aussi que pour les industriels, quand il s’agit de faire des affaires, la frontière entre ce qui est démocratiquement acceptable et ce qui ne l’est pas n’existe pas.
Lire le détail de notre analyse : Campagne électorale américaine : les troublants financements d’Airbus, EDF et Sanofi.
Délinquance en col blanc
700 milliards de dollars. C’est le montant total des amendes infligées depuis 2010 à des multinationales par les autorités de 45 pays pour des infractions sociales, environnementales ou économiques, selon une nouvelle base de données mise en ligne par l’ONG américaine Good Jobs First.
« Violation Tracker Global » est l’extension d’une base de données qui existe depuis plus de dix ans aux États-Unis (où ces informations sont plus facilement disponibles). Elle regroupe les informations divulguées par les autorités en charge du recouvrement des impôts, de la protection des consommateurs, de la police environnementale, des droits des travailleurs, de la concurrence ou encore de la lutte contre la corruption. Dans beaucoup de pays, ces données ne sont que partiellement publiques. Pour la France, par exemple, sont seulement prises en compte à ce stade, faute d’accès, les chiffres émanant de l’Autorité de la concurrence, de l’Autorité des marchés financiers, de l’ACPR, de la DGCCRF, de la CNIL et du Parquet national financier. Les délits environnementaux et sociaux sont donc hors absents.
Même avec ces limites, la base de données est riche en enseignements. Conséquence de la crise financière de 2008, les grandes banques occupent les toutes premières places du classement des amendes totales acquittées. Bank of America a ainsi payé 64 milliards de dollars d’amendes depuis 2010 pour 189 infractions, suivie par JP Morgan Chase avec 33 milliards de dollars d’amendes pour 179 infractions. Elles sont suivies par Volkswagen (à cause du Dieselgate) et BP (pour la catastrophe de Deepwater Horizon). La première entreprise française est BNP Paribas, en seizième position, avec plus de 10 milliards d’euros d’amendes payées. La toute récente amende de 30 milliards de dollars infligée par le Brésil à Vale et BHP pour la catastrophe minière de Samarco est également incluse.
Concernant les amendes acquittées en France, la première place revient à Alphabet, la maison mère de Google, principalement pour des infractions en matière de concurrence. Airbus est deuxième avec l’amende de plus de 2 milliards de dollars payée en 2020 pour solder une enquête pour corruption. Suivent UBS et McDonald’s (pour leurs affaires fiscales) et Apple (pour des infractions fiscales et de concurrence).
Les données de Violation Tracker Global confirment la faiblesse relative des amendes infligées en matière environnementale ou pour des infractions au droit du travail par comparaison avec les amendes dans le domaine de la concurrence, de la fiscalité ou de la corruption. Parmi les groupes français, les industriels comme Air Liquide, Arkema, Saint-Gobain, TotalEnergies ou Veolia se distinguent par le nombre élevé de violations répertoriées (107 et 139 respectivement pour les deux derniers), mais les amendes totales acquittées se chiffrent seulement en dizaines de millions de dollars, très loin derrière les banques.
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Faites un donEn bref
Diplomatie économique. Emmanuel Macron était en visite officielle au Maroc pour sceller la réconciliation de la France avec le royaume chérifien. Une réconciliation placée sous le signe des espèces sonnantes et trébuchantes. Plusieurs contrats de grande envergure ont été signés à cette occasion, comme celui obtenu par Veolia pour construire une usine de dessalement de l’eau de mer, ou divers projets développés par EDF, Engie et TotalEnergies en partenariat avec des entreprises marocaines (dont plusieurs appartenant à la famille royale) pour des projets dans les énergies dites « bas carbone ». D’autres contrats ont été signés dans les secteurs ferroviaire (Engis et Alstom) et portuaire (CMA-CGM). Les PDG de toutes ces entreprises ont été conviés à faire partie de la délégation présidentielle. Cette pléthore de deals est la récompense accordée par le Maroc en échange de la reconnaissance surprise par Emmanuel Macron de la souveraineté du pays sur le Sahara occidental. Plusieurs entreprises françaises sont déjà actives dans ce territoire classé « non autonome » (autrement dit non décolonisé) par l’ONU et riche en ressources naturelles. Emmanuel Macron n’a pas caché son intention de pousser pour de nouveaux investissements français au Sahara occidental, en faisant fi du droit international.
Axa et BNP Paribas rattrapés par leurs financements israéliens. Depuis le début de l’offensive à Gaza, et désormais au Liban, tous les regards se tournent vers les liens qu’entretiennent des groupes français avec le complexe militaro-industriel israélien (lire l’article que nous avions consacré à cette question il y a quelques mois). Une autre forme de soutien attire désormais l’attention : celui apporté par des acteurs financiers à des entreprises israéliennes impliquées dans la guerre et dans les actes présumés de génocide auxquels elle donne lieu. L’ONG Eko a ainsi pointé du doigt Axa pour ses investissements substantiels de 150 millions de dollars dans plusieurs groupes d’armement du pays (lire leur rapport). De son côté, Action Justice Climat (ex Alternatiba Paris) a ciblé BNP Paribas pour son rôle dans l’émission d’obligations souveraines de l’Etat hébreu et ses liens avec l’entreprise de défense Elbit.
Esclavage moderne. Après le Qatar, l’Arabie saoudite. Après avoir contribué à mettre en lumière l’exploitation de la main d’oeuvre immigrée sur les chantiers de la Coupe du monde 2022, l’ONG Amnesty international se penche désormais vers les conditions de travail qui règnent chez le puissant voisin et y découvre des abus similaires en matière de droit humains au travail : recours à des travailleurs migrants recrutés par des agences de placement aux pratiques peu scrupuleuses, logement dans des conditions indécentes, journées à rallonge pour des salaires de misère, intimidation permanente. Comme au Qatar, les entreprises occidentales sont directement concernées. Après un précédent rapport sur les entrepôts Amazon, Amnesty pointe du doigt le groupe français Carrefour, très présent en Arabie saoudite à travers son accord de franchise avec le groupe émirati Majid Al Futtaim.
Formations ! Les formations de l’Observatoire des multinationales reprennent avec une session « Comment enquêter sur le lobbying à Paris et à Bruxelles » les 13 et 14 novembre à Paris (plus d’infos et inscription ici. Surtout, nous avons le plaisir d’organiser pour la première fois un stage à l’École des Vivants, qui aura lieu à La Zeste, dans les Alpes-de-Haute-Provence, à proximité de Sisteron du 11 au 15 décembre. Programme, informations utile et inscription sur le site de l’École des Vivants.
Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.