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Sous le signe de Trump. La lettre du 16 janvier 2024

Publié le 16 janvier 2025

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Importations américaines

Alors que le second mandat de Donald Trump à la présidence des États-Unis est sur le point de commencer, nous poursuivons nos enquêtes sur les liens entre les « droitosphères » des deux côtés de l’Atlantique et sur la manière dont la droite extrême française cherche à s’inspirer de ses homologues américains.

En tirant le fil de nos investigations sur le réseau Atlas (tout est rassemblé ici), nous nous sommes intéressés à la « bourse Tocqueville ». Créée en 2003 par Alexandre Pesey, cette bourse envoie chaque année des jeunes Français et Français « prometteurs » aux États-Unis pour y rencontrer les réseaux ultraconservateurs et y étudier leurs méthodes... afin de les réimporter en France.

L’année suivante, le même Alexandre Pesey créait l’Institut de formation politique (relire notre enquête à son sujet), lui aussi destiné à former des jeunes réactionnaires pour en faire de futurs « leaders » dans les médias, l’économie ou la politique. Ces deux créations étaient directement inspirées d’un modèle américain, le Leadership Institute de Morton Blackwell, qui revendique avoir formé plusieurs centaines de milliers de lobbyistes, journalistes, influenceurs et activistes, dont Mike Pence, vice-président de Donald Trump entre 2017 et 2021.

En 2019 (c’est le dernier programme publiquement disponible), les lauréats de la bourse Tocqueville ont rencontré entre autres le réseau Atlas, Heritage Foundation, la Federalist Society, le Leadership Institute, des journalistes comme Tucker Carlson et toute une ribambelle d’organisations anti-migrants, anti-avortement, anti-impôts ou anti-climat.

On doit à cette bourse Tocqueville la montée en force de l’Ifrap (Agnès Verdier-Molonié a été l’une des premières lauréates en 2004) ou encore la création du collectif Droit et libertés, directement inspirée de modèles américains. Sans parler des autres lauréats que l’on retrouve dans l’entreprise ou dans les cabinets ministériels aujourd’hui.

Nous consacrons un article spécifique à l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, un institut de plus en plus présent dans les médias (de Bolloré mais pas que), qui se pose en « expert » alors qu’il ne fait que diffuser des chiffres biaisés, selon un modus operandi directement inspiré d’organisations similaires aux Etats-Unis. Là encore, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie a été créé par un lauréat de la bourse Tocqueville à son retour de Washington.

Lire notre enquête : Bourse Tocqueville : quand les milieux ultraconservateurs français vont chercher l’inspiration dans l’Amérique trumpiste.

Pendant ce temps, à la Bourse de Paris

Chaque année, le CAC 40 semble battre de nouveaux records de versement de dividendes. Au titre de l’année 2023, les quarante groupes qui composent l’indice phare de la Bourse de Paris ont ainsi consacré 74 milliards d’euros aux dividendes et 30 milliards aux rachats d’actions. Chaque année, ces chiffres font la une des médias, suscitant – le plus souvent – de grandes déclarations indignées, et quelques timides tentatives de justification de plus en plus alambiquées.

Il n’y a plus beaucoup de monde pour penser que ce qui est bon pour le CAC 40 et ses actionnaires est forcément bon pour l’économie française et pour la population en général. La concomitance des records boursiers et des annonces de plans de licenciement au sein de groupes comme Michelin, ArcelorMittal, Legrand, Thales, Carrefour, Orange ou Sanofi aura sans doute fini de détruire toutes les illusions qui persistaient à ce propos. Sans compter ceux qui touchent des entreprises plus petites qui sont leurs fournisseurs.

En réalité, derrière l’effet de répétition et de déjà vu, ce contraste entre la fortune des actionnaires et la destruction de l’emploi est une tendance de fond, qui a commencé il y a au moins 25 ans (cf. notre article Comment le CAC40 a changé en vingt ans).

Cependant, même s’il s’inscrit dans une tendance de long terme, ce divorce est devenu un gouffre béant depuis la pandémie de Covid, comme en témoignent les chiffres que nous avons dévoilés juste avant la période des fêtes (lire Une vaste redistribution des richesses... vers le haut. Les chiffres vertigineux du CAC 40 depuis 2020).

Entre début 2020 et fin 2023 (derniers chiffres disponibles), les groupes du CAC 40 ont engrangé 486 milliards d’euros de profits. C’est 333 millions d’euros par jour, un milliard d’euros tous les trois jours. Sur ces quatre années, le CAC 40 a consacré 336 milliards d’euros à ses actionnaires, soit 230 millions d’euros par jour. Dans le même temps, les groupes du CAC 40 qui publient des chiffres à ce sujet ont très légèrement réduit leurs effectifs en France (-0,1%). Et ce avant même les plans sociaux annoncés ces dernières semaines.

Dans quelques semaines, les grandes entreprises françaises (et tous les autres d’ailleurs) annonceront leurs résultats financiers pour 2024. Ce taux élevé de profits et de gratification des actionnaires est-il en train de devenir la « nouvelle normale », ou bien va-t-on assister à un rééquilibrage ?

La réponse à cette question passe aussi par la scène politique. La volonté de maintenir leurs bénéfices et leur pouvoir de marché contre les velléités de régulation de l’administration Biden est l’une des raisons pour lesquels les milieux d’affaire américains ont choisi de rester passifs ou de soutenir Donald Trump lors de la campagne électorale, et encore plus depuis qu’il a remporté l’élection. En France, cette question du partage des richesses est sous-jacente au débat inachevé sur le nouveau budget (lire notre précédente lettre).

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En bref

Après les polluants éternels, le lobbying éternel. Il y a presque deux ans, une enquête internationale coordonnée par la journaliste du Monde Stéphane Horel et ses collègues, en collaboration avec 17 médias européens et un panel de scientifiques dans le cadre du « Forever Pollution Project », levait le voile sur l’ampleur de la pollution aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sur le vieux continent. On la (re)lira ici. Depuis deux ans, l’industrie chimique fait feu de tout bois pour s’opposer aux efforts engagés au niveau européen pour interdire ou du moins fortement réguler ces substances, utilisées pour une large gamme d’applications industrielles, des semi-conducteurs à l’hydrogène en passant par les ustensiles de cuisine. D’où un nouveau projet, le « Forever Lobbying Project », dévoilé cette semaine par Le Monde et ses médias partenaires, en collaboration avec Corporate Europe Observatory, « sentinelle » des lobbys à Bruxelles. Appuyée sur des dizaines de documents internes, cette enquête lève le voile sur une stratégie concertée qui associe de nombreuses entreprises allemandes, belges ou américaines, mais aussi françaises comme Arkema et Tefal (groupe Seb) et qui a réussi à considérablement atténuer, si ce n’est annihiler les ambitions européennes dans ce domaine. Lire l’article du Monde et le rapport (en anglais) de Corporate Europe Observatory.

Monopoles ultramarins. Les conflits sociaux sur la vie chère aux Antilles, au-delà de l’épisode d’inflation de ces dernières années qui n’a fait qu’aggraver le problème, s’enracinent dans l’économie des territoires d’outre-mer. Celle-ci est dominée par des entreprises en situation de monopole ou de quasi monopole qui en profitent pour pratiquer des marges exorbitantes. Dans le cas de la Martinique et de la Guadeloupe ont été notamment pointés du doigt le transporteur CMA-CGM et le Groupe Bernard Hayot (GBH). Fondé par un béké (blanc créole descendant des colons esclavagistes), GBH est aujourd’hui un acteur ultra-dominant de la distribution alimentaire et automobile dans les Antilles. Une enquête de Libération s’est penchée en détail il y a quelques jours sur les pratiques financières et commerciales du groupe. Mais la pression monte. GBH est l’objet de plaintes au tribunal du commerce (pour l’obliger à publier ses comptes) et désormais pour « entente » et « abus de position de dominante ». Une proposition de loi sur la vie chère et la concentration dans les territoires d’Outre-mer doit être examinée à partir de la semaine prochaine à l’Assemblée.

Science et enseignement supérieur à la sauce pétrolière. Le nouveau gouvernement dirigé par François Bayrou fait la part belle aux personnalité politiques expérimentées, mais on y retrouve aussi certains profils typiques des années macroniennes, franchissant allégrement les frontières entre haute fonction publique, cabinets ministériels et grandes entreprises. C’est le cas du nouveau ministre délégué à la Recherche et à l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste. Ingénieur, il a travaillé pour TotalEnergies à deux reprises, entre 2016 et 2017 en tant que directeur scientifique, puis en 2019, entre deux postes de conseillers dans les cabinets de Frédérique Vidal (déjà l’Enseignement supérieur et la Recherche) et d’Édouard Philippe à Matignon. Avec le ministère des Armées et celui des Affaires étrangères, la science et l’enseignement supérieur sont un autre secteur où TotalEnergies a l’habitude de débaucher d’anciens responsables publics. En témoignait encore récemment l’embauche de Clément Le Gouellec, ex conseiller industrie et innovation du ministre des Armées, et surtout pilier du corps des Mines. Dans un contexte de baisse des crédits et de présence grandissante des intérêts industriels privés dans le monde de la recherche et dans les grandes écoles et universités, la désignation de Philippe Baptiste n’augure rien de bon.

Fast-pantouflage. Une autre « porte tournante » ministérielle a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines : la nomination de l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner au comité RSE de l’enseigne chinoise de « fast-fashion » Shein. Régulièrement sous le feu des critiques pour son impact environnemental et climatique ainsi que pour son recours au travail forcé dans la région du Xinjiang, Shein est l’une des cibles d’une proposition de loi sur l’impact de la fast-fashion qui doit être prochainement discutée au Sénat. Elle prépare aussi son introduction en Bourse à Londres, alors qu’une précédente tentative aux États-Unis avait échoué du fait, entre autres, des inquiétudes sur sa chaîne d’approvisionnement. Mais Christophe Castaner a promis qu’il ne ferait pas de lobbying pour Shein en France, donc tout va bien... Au passage, il a été embauché par Shein via la société de conseil qu’il a créée en quittant la vie politique, Villanelle. Sur la pratique de beaucoup d’ex ministres macroniens de créer de telles sociétés pour monnayer leurs services, (re)lire notre article Sociétés de « conseil » : le très discret business des anciens ministres d’Emmanuel Macron et plus largement toute notre page spéciale « Portes tournantes ».

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

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