C’est un argument ressassé par les partisans de l’énergie nucléaire en France : depuis sa sortie du nucléaire décidée en 2011, l’Allemagne aurait augmenté son recours au charbon pour produire de l’électricité. Or, le charbon est une source d’énergie particulièrement émettrice de gaz à effet de serre (GES), et donc nuisible au climat.
Bien qu’extrêmement polluante, l’Allemagne tire de cette énergie une grande partie de son électricité, soit autour de 41% – environ 18% de houille et 23% de lignite, deux types de charbons différents. De nouvelles mines de lignite doivent même entrer en fonction dans les prochaines années (voir notre article). Pour autant, il est faux d’affirmer que le pays a accru sa consommation de charbon en conséquence de la décision prise par Merkel et le Bundestag il y a six ans, et l’arrêt immédiat de huit des réacteurs nucléaires parmi les plus anciens du pays.
29% de l’électricité issue des énergies renouvelables
En 2010, l’énergie nucléaire représentait en Allemagne 27% de la production électrique. En 2012, après l’arrêt, l’année précédente, d’une partie des réacteurs, la proportion est tombée à 21% . En 2016, elle n’était plus que de 13%. Le recours au charbon, lui, représentait environ 43% de la production électrique allemande en 2010 (18% pour la houille, 25% pour le lignite). La proportion a augmenté de quelques pourcents dans les années suivantes, puis est revenue à son niveau de 2010. Elle est aujourd’hui d’environ 41%.
Dans les faits, ce sont les énergies renouvelables qui ont compensé depuis 2011 la baisse de la part du nucléaire. En 2010, elles couvraient 16,5% de la production électrique. En 2016, c’était 29,5 % soit, à 1% près, suffisamment pour combler la baisse du recours au nucléaire [1]. Le projet du gouvernement est bien de continuer sur cette voie : l’objectif est d’avoisiner les 45 % d’énergie renouvelable déjà d’ici à 2025 [2].
L’Allemagne face à ses engagements climatiques
En attendant, le poids du charbon reste un problème environnemental et climatique majeur. Aujourd’hui, 80% des gaz à effet de serre émis par la production électrique en Allemagne proviennent de ce combustible [3]. Or, l’Allemagne s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de GES d’ici à 2020, et de 90 % d’ici à 2050 (par rapport au niveau de 1990).
« On sait que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévus pour 2020 ne seront pas atteints sans l’arrêt de centrales à charbon », rapporte Tina Löffelsend, experte en politiques énergétiques de la branche allemande des Amis de la terre (Bund). L’administration allemande pour l’environnement (Umweltbundesamt) a d’ailleurs alerté en janvier sur ce risque : pour respecter ses engagements climatiques de réduction des émissions de GES, l’Allemagne devra réduire de moitié sa production d’électricité issue du charbon d’ici à 2030.
La sortie du charbon de plus en plus discutée
Dans ce contexte, la perspective d’une sortie définitive du charbon est de plus en plus discutée outre-Rhin. Déjà en 2011, Greenpeace Allemagne considérait une sortie du charbon comme possible à l’horizon 2040 au plus tard [4]. Les Amis de la terre Allemagne demandent aujourd’hui un calendrier encore plus ambitieux. « Si on prend au sérieux les objectifs de politiques climatiques de l’Allemagne, il faut sortir du charbon avant 2030 », argumente Tina Löffelsend.
Pour y arriver, il faudrait déjà, pour l’ONG, arrêter les 24 unités les plus anciennes des centrales à lignite – la forme la plus polluante – dans les trois prochaines années. Un objectif tout à fait réalisable selon les Amis de la terre, sans que cela ne remette en cause la sécurité de l’approvisionnement allemand. Une étude publiée en janvier par WWF Allemagne met de son côté en avant la date de 2035 pour une sortie définitive, avec les premiers arrêts de centrales dès 2019.
L’obstacle SPD, baron des grandes régions minières
Qu’en disent les responsables politiques ? Lors de leur dernier congrès en novembre 2016, les Verts allemands ont pris position pour un plan clair de sortie du charbon dans les vingt prochaines années, et l’arrêt le plus rapide possible des centrales les plus polluantes. Le parti de gauche Die Linke se prononce aussi pour un adieu prochain au charbon. « Mais c’est plus compliqué dans les sections Die Linke en régions, surtout en Brandebourg », pointe l’experte des Amis de la terre. Dans cette zone minière depuis plusieurs siècles, Die Linke co-gouverne avec les sociaux-démocrates, et soutient la poursuite de l’exploitation du combustible fossile.
C’est aussi ce qui bloque au sein du parti social-démocrate (SPD) : il est traditionnellement au pouvoir dans les deux grandes régions minières d’Allemagne, soit le Brandebourg, à l’Est, et surtout la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, qui est son moteur industriel et celui qui abrite la plupart des mines et des centrales à charbon allemandes.
« Le SPD représente un frein réel à l’adoption d’un plan de sortie du charbon, constate Tina Löffelsend. En 2015, il y a eu de vives discussions sur le sujet, suite à une proposition du ministère de l’Économie, alors dirigé par le social-démocrate Sigmar Gabriel, pour conduire à la fermeture des centrales les plus anciennes. Mais il y a eu des protestations. » Notamment du syndicat des mines IG-BCE, qui avait par exemple réuni 15 000 manifestants contre ces plans en avril 2015 à Berlin. « En fin de compte, seuls huit blocs de centrales ont été arrêtés. C’est peu, mais c’était la première fois que des centrales à charbon étaient mises à l’arrêt pour des raisons de politique climatique. C’est un progrès. Il faut toutefois faire bien plus. »
« La sortie est faisable et ne pèsera pas sur la société »
Côté gouvernement, le plan de protection du climat adopté en novembre 2016 n’évoque aucune sortie du charbon. « Le plan pour une sortie du charbon stoppé », s’est d’ailleurs félicité le syndicat des mines IG-BCE. Le texte du gouvernement prévoit tout au plus de mettre en place en 2018 – soit après les élections législatives qui auront lieu cet automne – une commission appelée « Croissance, transformation structurelle et développement régional » qui, de fait, doit examiner les modalités et les conséquence d’une fin du charbon dans les régions minières et industrielles du pays.
Car la question est bien évidemment toute aussi économique que sociale. 29 000 personnes travaillent encore dans les mines et les centrales à charbon allemandes [5]. C’est vingt fois moins que dans les années 1960, où le secteur faisait travailler plus de 600 000 personnes. Mais cela reste beaucoup. L’adieu au combustible fossile ne pourra pas se faire sans un solide plan de reconversion économique, sauf à voir des régions entières sinistrées pour des décennies. Politiques et syndicats en ont bien conscience.
Il y a six mois, la fédération syndicale du tertiaire Verdi, qui représente les 15 000 employés des centrales à charbon, a commandé une étude sur les coûts sociaux d’une fin du charbon en Allemagne. Celle-ci envisageait notamment la mise en place d’un fonds pour les anciens employés des centrales fermées, qui leur fournirait un revenu équivalent à leur salaire antérieur jusqu’à leur nouvel emploi, ou faute d’en trouver un, jusqu’à leur retraite. Le syndicat travaille aussi sur des modèles de financement de ce fonds de transition, notamment par une taxation des émissions de CO2 des centrales à charbon. « La sortie du charbon est faisable, elle peut être financée, et notre proposition ne pèse pas sur la société », assure le président du syndicat Verdi Frank Bsirske. Un modèle à suivre pour une sortie française du nucléaire ?
Rachel Knaebel
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Photo de une : une mine de lignite dans l’est de l’Allemagne / Rachel Knaebel.