Bienvenue à notre mini série d’exposés destinés à percer le voile du greenwashing (« éco-blanchiment ») afin de révéler les dessous sales des criminels climatiques qui sponsoriseront la 19e Conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, organisée cet hiver par les Nations Unies, la COP19. Pour commencer : la plus grande entreprise d’acier et de mines du monde, avec à elle seule des émissions équivalentes à la République tchèque toute entière : ArcelorMittal.
D’après le site internet des organisateurs polonais de la COP19, les 11 partenaires officiels de la conférence « aideront à organiser la COP19 [en] offrant un soutien substantiel. Les produits et services qu’ils offrent sont respectueux de l’environnement ». Comment est mesuré exactement ce « respect de l’environnement » n’est pas très clair, dans la mesure où ces partenaires constituent en fait les plus gros escrocs du climat que l’on puisse trouver, avec une longue histoire de lobbying agressif contre toute forme de politique environnementale.
En échange de leur « soutien », ces entreprises se font donc appeler « partenaires », et bénéficient d’un accès privilégié à la conférence et, bien évidemment, ils profitent largement de cette belle opportunité de greenwashing. De nombreux groupes de la société civile ont déjà signalé que la COP19 est « polluée par des entreprises sponsors qui ont tout à gagner de l’inaction en matière de climat », et ont dénoncé le fait que « tandis que les portes de la COP19 sont grandes ouvertes aux entreprises des industries polluantes, les places pour les organisations observatrices ont été quant à elles réduites. Plusieurs groupes de la société civile ont reçu moins de la moitié du nombre de places qui leurs sont normalement attribuées. »
Qui sont exactement ces 19 « partenaires » de la COP19, et comment leur greenwashing résiste-t-il à la lumière crue de la réalité ?
ArcelorMittal
Nous commençons cette série par ArcelorMittal, la plus grande compagnie d’acier et de mines du monde. Elle a produit deux fois plus d’acier que son plus proche concurrent en 2012, avec un chiffre d’affaires de plus de 80 milliards de dollars US. Son rôle dans la conférence de Varsovie ? ArcelorMittal construit le principal hall de la conférence, gratuitement.
Sur sa page internet de partenaire de la COP19, l’entreprise ArcelorMittal décrit comment elle soutient un « monde aux émissions de gaz carbonique réduites, et des produits et services plus respectueux de l’environnement » et affirme avoir dépensé un total de plus de 50 millions de dollars US au développement de produits et procédés écologiques, ainsi qu’à l’amélioration significative de l’efficacité énergétique de ses installations en Pologne.
L’entreprise affirme entre autres choses que son usine à Zdzieszowice est l’usine de cokéfaction la plus efficace en termes de CO2 en Europe, et qu’elle a modernisé son usine de Cracovie « en réduisant son empreinte environnementale ». ArcelorMittal argue également du fait que « durant les 40 dernières années, l’industrie de l’acier en Europe a déjà réduit de moitié ses émissions de CO2 et que nombre de nos sites ont déjà fait tout de ce qui est actuellement possible dans ce domaine ».
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Faites un donAu-delà du greenwashing
La réalité se situe aux antipodes de ce que prône la propagande de greenwashing d’ArcelorMittal. Avec des émissions annuelles presque équivalentes à celles de la République tchèque, le géant de l’acier a exercé des pressions aussi agressives qu’efficaces contre les velléítés de combler les lacunes juridiques du système communautaire d’échange de quotas d’émission (EUETS), contre tout objectif ambitieux en termes d’émission à l’horizon 2020, et a également défendu ardemment et avec succès le fait de continuer à recevoir des permis de polluer gratuitement.
En 2012, ArcelorMittal averti la Commission européenne que « les prix plus élevés de l’énergie, qui sont la conséquence des politiques de changements climatiques de l’UE, (coûts directs CO2, coûts CO2 passés sur les prix de l’énergie, coûts des politiques renouvelables), mettent en danger la compétitivité de l’industrie de l’UE », et qu’« ArcelorMittal est opposé à toute mesure qui augmenterait les objectifs de quotas de 2020 [EU-ETS] et/ou boosterait les prix du carbone et de l’énergie ».
Tandis que la plupart d’entre nous luttent pour la mise en place de politiques de l’énergie et du climat justes et efficaces, ArcelorMittal explique à la Commission qu’« une politique de l’énergie et du climat réussie est une politique qui soit abordable ».
Une menace pour l’UE
La détermination d’ArcelorMittal à représenter le (bien faible) système EU ETS comme un fardeau pour l’industrie est particulièrement incroyable au vu des profits insolents qu’elle a engrangé du fait de quotas excédentaires qui lui ont été attribué après qu’elle ait intimidé et effrayé les décideurs politiques européens en évoquant une relocalisation de ses activités vers des pays sans contraintes liées aux émissions de CO2. Ce fut la fameuse « fuite du carbone » qui a conduit à un octroi excessif de permis que l’entreprise reçut gratuitement, y compris pour les usines polonaises dont elle fait mention sur le site de la COP19.
L’usine de cokéfaction fr Zdzieszowice s’est ainsi vue attribuer un excédent de 940 265 permis rien qu’en 2012, tandis que l’usine de coke de Cracovie a également reçu un énorme surplus de 276 205 permis. D’après l’ONG britannique Sandbag, ArcelorMittal avait accumulé en date de juin 2012 un surplus de 123 millions de permis carbone reçus gratuitement, d’une valeur totale estimée à environ 1,6 milliard euros. La surallocation dont a bénéficié cette entreprise reste inégalée au niveau de tout l’EU ETS.
Le beurre et l’argent du beurre
Lakshmi Mittal, dirigeant milliardaire de ArcelorMittal et homme le plus riche d’Angleterre, a averti la Commission européenne en 2006 qu’« ArcelorMittal risque de connaître une pénurie de permis d’émissions de CO2 de plusieurs Mt/an ». L’industrie de l’acier est une grosse consommatrice d’énergie. D’après l’IPCC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), elle est responsable de 6-7% des émissions produites par l’homme au niveau mondial, et de 20 % des émissions de l’UE selon un rapport du Carbon Trust.
Lakshmi Mittal a réussi à convaincre les pays membres de l’UE qu’à moins de recevoir les permis que son entreprise réclamait, son empire de l’acier serait forcé de quitter l’Europe pour des horizons moins chers, mais où l’exploitation de combustibles fossiles est plus intensive. Cependant, alors même qu’elle a reçu les permis tant désirés, ArcelorMittal semble mettre tout de même sa menace à exécution en supprimant des emplois et services partout en Europe.
Business as usual
Non seulement ArcelorMittal a 123 millions de permis excédentaires (d’une valeur de 1,6 milliard d’euros), mais elle projette également de ne pas écouler tout son surplus, et d’en garder une part significative pour une utilisation future.
Par exemple, elle a reçu un quota de 184 949 947 permis en 2009 alors que ses émissions étaient en réalité juste au-dessus de la moitié de ce montant (94 053 080 tonnes). Si elle réserve son surplus pour un usage futur, il n’y a désormais plus rien qui oblige ArcelorMittal à réduire ses émissions, ce qui lui convient parfaitement. C’est ce bilan consternant qui a valu à ArcelorMittal d’être nominé dans la catégorie climat pour le titre du pire lobbying de l’UE en 2010, et au Climate Greenwash Awards (prix du greenwashing climatique) en 2009.
Amplifier son message
ArcelorMittal ne sera pas seule à promouvoir ses intérêts lors de la COP19 : son appartenance à plusieurs instances et associations professionnelles signifie qu’elle sera en mesure de diffuser largement son message anti-climatique par l’intermédiaire de plusieurs canaux parallèles.
Elle est à la fois membre de l’Association mondiale de l’acier, où son dirigeant Lakshmi Mittal siège au sein du comité exécutif, du Forum économique mondial (WEF), du Conseil mondial des affaires sur le développement durable (WBCSD), et d’Eurofer et Business Europe.
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Photo : Felix O CC