Deux nouveaux épisodes d’un coup dans la saga des procès intentés par le groupe Bolloré ou par l’homme d’affaires breton lui-même à des journalistes ou à des associations qui s’intéressent de trop près à ses activités africaines. Le 29 mars dernier, la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris relaxait les associations ReAct et Sherpa, ainsi que les titres de presse Mediapart, L’Obs et Le Point. Tous avaient été accusés de « diffamation » par la Socfin, filiale du groupe Bolloré, pour avoir relayé une action de protestation de Camerounais contre la Socapalm et ses plantations d’huile de palme.
Les juges ont notamment déclaré que le « sujet traité représente un but légitime d’expression et également un sujet d’intérêt général, s’agissant des conditions dans lesquelles des sociétés exercent leurs activités, plus particulièrement l’impact de palmiers à huile sur les riverains ». C’est une nouvelle défaite pour Bolloré et ses avocats après celles subies en première instance et en appel contre Alter-médias, l’association qui publie l’Observatoire des multinationales et Basta !, pour une enquête sur l’implication d’entreprises françaises dans le phénomène de l’accaparement des terres (lire ici).
50 millions réclamés à France Télévisions
Le Cameroun et les activités de la Socapalm étaient également au centre d’un autre procès intenté par Bolloré, visant cette fois France Télévisions et un documentaire réalisé par Tristan Waleckx et diffusé en 2016 dans l’émission « Complément d’enquête ». Un procès d’une toute ampleur puisque Bolloré réclame 450 000 euros aux journalistes pour diffamation, et qu’il a engagé en parallèle une autre procédure, cette fois pour dénigrement et concurrence déloyale, devant le tribunal de commerce de Paris, dans le cadre de laquelle le groupe réclame pas moins de 50 millions de dommages à France Télévisions. Sans parler d’une troisième procédure au Cameroun.
Auutrement dit, l’artillerie lourde. Pourtant, ce documentaire au ton très circonspect a été couronné du prestigieux prix Alert Londres. C’est la première fois en France qu’une entreprise réclame à des journalistes ou des ONG des sommes aussi considérables, imitant les pratiques de multinationales nord-américaines comme Chevron (contre les avocats de ses victimes équatoriennes, lire notre article), Energy Transfer Partners (l’entreprise derrière le Dakota Access Pipeline) et l’entreprise forestière Resolute (lire notre article).
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L’organisation du procès a été marqué par plusieurs incidents, comme l’ont rapporté une série d’articles de TéléObs (synthèse ici). L’un des témoins clés de la défense - Emmanuel Elong, le président de la Synaparcam (syndicat des paysans riverains de la Socapalm) - a failli ne pas pouvoir se rendre à Paris, son visa ayant été refusé par le consulat de France à Douala pour des motifs peu convaincants. (Lire l’entretien réalisé par TéléObs en marge du procès.) Parallèlement, le journaliste Tristan Waleckx aurait vu son domicile mystérieusement visité et sa porte bloquée la veille du procès.
Polémique sur l’âge des ouvriers
Devant les juges, l’essentiel des débats a porté non pas sur les conditions de travail misérables des sous-traitants et riverains des plantations de la Socapalm - dont la réalité est difficilement contestable - mais sur l’âge réel de jeunes ouvrier interrogés dans le documentaire. En pleine assemblée générale annuelle de son groupe, Vincent Bolloré était revenu publiquement sur ces témoignages, accusant les individus présentés comme mineurs d’avoir en fait 20 ans et d’avoir été payés par les journalises français pour mentir sur leur âge. Ironie du sort, l’un des jeunes hommes qui apparaît dans le documentaire cherche aujourd’hui à poursuivre Vincent Bolloré en diffamation pour ces propos...
Les journalistes de France Télévisions ont obtenu le soutien de l’ancien Président de la République François Hollande, qui a transmis au tribunal une attestation confirmant qu’il était bien intervenu, conformément à ce que disait le documentaire, auprès du président camerounais pour que Bolloré obtienne la concession du port de Kribi. Un passage que les avocats de la multinationale avaient également dénoncé comme diffamatoire.
Olivier Petitjean