Si le projet Alpha Coal (dont nous avions déjà parlé ici) se concrétise, 30 millions de tonnes de charbon seront extraites et transportées vers d’autres cieux tous les ans. Soit des émissions d’environ 60 millions de tonnes de CO2 par an, selon une étude de Greenpeace [1] – 1,8 milliard de tonnes sur toute la durée de vie de la mine. La construction de la ligne de chemin de fer et du terminal entraîneront la destruction d’habitats côtiers dans la zone de la Grande Barrière de corail, inscrite au patrimoine de l’humanité. L’UNESCO a d’ailleurs menacé l’Australie de l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial en danger.
La Société Générale a été chargée d’étudier la faisabilité économique du projet et de conseiller ses promoteurs dans la recherche d’investisseurs pour en boucler le montage financier. Elle est en première ligne pour apporter elle-même une partie des crédits. Interpellée par la société civile (elle a notamment été nominée l’année dernière aux prix Pinocchio pour son implication dans ce projet australien), la banque française assure s’être dotée des normes et des critères nécessaires pour juger de la légitimité et de l’acceptabilité environnementale du projet. C’est la ligne de défense classique des banques lorsqu’elles se trouvent mises en cause quant à l’impact environnemental de leurs financements (voir par exemple ici à propos de BNP Paribas et du charbon). Il n’y aurait, en somme, qu’à leur faire confiance. Et tant pis si l’application de ces critères n’est ni contraignante ni transparente, et s’il n’y a aucun moyen de vérifier leurs assertions de manière indépendante.
Promesses sans substance ?
Dans une étude, les Amis de la terre se sont néanmoins essayé à l’exercice de mettre en regard les discours de la Société Générale et les faits, en se basant sur l’étude d’impact environnemental réalisée par les porteurs du projet eux-mêmes. Surprise ? Ce document établit dans le détail que le projet Alpha Coal contrevient aux règles relatives à la protection de l’environnement et de la biodiversité que la Société générale s’est elle-même fixées [2].
Protection des ressources en eau ? La mine proprement dite est prévue pour s’étendre sur plus de 60 000 hectares, et son fonctionnement nécessitera en tout 176 milliards de litres d’eau, et le détournement ou l’assèchement de plusieurs sources et rivières, dans une région où cette ressource est déjà rare. Son impact potentiel sur les nappes d’eau souterraines suscite toutes les inquiétudes. Préservation du tissu économique local ? Alpha Coal ne manquera pas d’affecter fortement les activités agricoles (en raison notamment de la surexploitation des ressources en eau) et le tourisme côtier et marin - les deux principales sources de revenus de la région. Conservation de la biodiversité, et notamment des espèces menacées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ? L’ouverture de la mine entraînera une importante déforestation, détruisant les habitats de plusieurs espèces d’oiseaux protégées. La construction du terminal d’Abbot Point détruira une zone humide côtière, aire de repos pour les tortues vertes, les baleines à bosse et les dugongs, et zone de transit pour de nombreuses espèces migratoires. Protection du patrimoine de l’humanité ? Alpha Coal menace la Grande Barrière de corail de plusieurs côtés à la fois. D’une part, ses émissions de gaz à effet de serre aggraveront les phénomènes climatiques qui contribuent déjà à sa fragilisation. D’autre part, elle aura à subir le passage de centaines de bateaux venus se ravitailler dans ce qui promet d’être le plus important port charbonnier au monde. « La banque nous assurait en novembre dernier qu’elle ne s’impliquerait dans Alpha Coal que si celui-ci respectait ses Principes environnementaux et sociaux, or il est clair que les deux sont inconciliables tant les risques du projet sont énormes », conclut Lucie Pinson, des Amis de la terre.
Il n’est pas encore sûr que le projet Alpha Coal – le plus avancé d’une série de neuf projets charbonniers dans la région - voie le jour. Mais si la Grande Barrière de Corail se voit épargner cette nouvelle menace et si ces émissions massives de gaz à effet de serre sont jamais évitées, ce ne sera pas grâce à la Société Générale. Ce sera, d’abord, grâce à la baisse de la demande chinoise et indienne en charbon, qui pèse sur sa viabilité économique et a poussé plusieurs géants des industries extractives à se retirer du projet. Ce sera également grâce aux militants et aux citoyens australiens, qui ont multiplié les recours judiciaires pour faire annuler le projet, soutenu à bout de bras par les dirigeants politiques australiens. Le Tribunal foncier du Queensland a jugé début avril qu’Alpha Coal ne pouvait être approuvé en l’état, du fait, notamment, des risques pour les ressources en eau de la région [3]. Une autre procédure est en cours au niveau fédéral.
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Faites un donQuand la Société générale s’implique là où les autres banques ne veulent pas aller
Si Alpha Coal ne se fait pas, ce sera aussi parce que d’autres institutions financières internationales ont choisi, contrairement à la Société Générale, de ne pas investir dans des projets qui pourraient menacer la Grande Barrière de corail. Selon Libération, le groupe bancaire américain Citi s’est retiré du projet, et aussi bien BNP Paribas que le Crédit agricole ont choisi ne pas s’impliquer. Même Blackrock, le principal fonds d’investissement au monde, a reconnu qu’il y avait là une ligne rouge à ne pas franchir : les projets autour de la Grande Barrière de corail présentent trop de risques environnementaux et sociétaux trop élevés, particulièrement depuis que le mouvement écologiste mondial et les stars de Hollywood se mobilisent pour sa protection.
La Société Générale, pour l’instant, a choisi de rester de l’autre côté de cette ligne rouge, en association avec des personnalités politiques et économiques australiennes dont le penchant au climato-scepticisme et la conception régressive de la protection environnementale sont notoires [4]. Une étude réalisée par le réseau Banktrack l’année dernière classait la Société Générale au 22e rang mondial au termes d’investissements dans les mines du charbon. Elle a insufflé 4,742 milliards d’euros au total dans le secteur (mines et centrales) entre 2005 et 2011 [5]. « La Société générale est loin de l’image de banque responsable soucieuse de jouer un rôle dans [la] transition [vers une « économie moins carbonée »] qu’elle veut donner », soulignent les Amis de la terre.
L’association environnementale a lancé, conjointement avec le réseau international pour la justice climatique 350.org, une pétition en ligne pour appeler la Société Générale à se retirer du projet Alpha Coal. Un enjeu d’autant plus important que la mise en œuvre d’Alpha Coal ouvrirait la voie aux huit autres projets envisagés dans la région. « Ce projet jouerait un rôle central dans l’ouverture de la région à l’exploitation minière. Or, l’exploitation totale du bassin de Galilée entrainerait des émissions supérieures à celles de l’Allemagne. », soulignent les Amis de la terre.
Le 20 mai prochain, le groupe bancaire français tiendra à Paris son Assemblée générale annuelle - les Amis de la terre en seront également, aux côtés d’Attac. La Société Générale est en effet l’un des trois cibles choisies (avec Unilever et BNP Paribas) par l’association altermondialiste dans le cadre de sa campagne « Requins », destinée à dénoncer les abus des multinationales et leur impunité.
Olivier Petitjean
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Photo : spelio CC