Monica* se souviendra longtemps du mois d’août 2001, et en particulier du jour où elle a été expulsée manu militari de la petite maison où elle vivait à Tobacco, un village situé au nord-est de la Colombie. Son tort ? Avoir refusé de vendre son bien à El Cerrejón, la compagnie minière qui exploite les abondants gisements de charbon de la région. Après l’expulsion des derniers récalcitrants, le village de Carmeñis a été entièrement détruit [1]. C’est à ce prix qu’El Cerrejón étend peu à peu son emprise... Aujourd’hui étalée sur 69 000 hectares (soit plus de la moitié de la surface de Paris), c’est la plus grande mine de charbon à ciel ouvert du monde. Elle a été ouverte en 1983 par l’État colombien via l’entreprise publique Carbones de Colombia (Carbocol), et par l’entreprise privée américaine ExxonMobil via sa filiale Intercor [2].
Bientôt 50 millions de tonnes de charbon par an ?
En 2000, les multinationales Anglo American, BHP Billiton et Glencore rachètent Carbocol. Deux ans plus tard, elles font main basse sur Intercor, devenant alors les seules propriétaires de la mine. Anglo American fait partie des leaders mondiaux de l’extraction du charbon, qu’elle exploite aussi en Australie, en Afrique du Sud et au Canada. Les réserves qu’elles détient représentent 13,5 milliards de tonnes de carbone qui seraient émises dans l’atmosphère si elles étaient extraites et brûlées. Sur le site colombien, 32 millions de tonnes de charbon sortent de terre chaque année, dont plus de la moitié s’en va vers l’Europe (Danemark, Irlande, Finlande, Espagne), pour alimenter des centrales thermiques. Mais les propriétaires de la mine aimeraient passer à 40, voire 50 millions de tonnes. Il faut donc agrandir, toujours. Et déloger, à nouveau, les populations locales.
Les expulsions sont une vieille habitude autour d’El Cerrejón. Dès 1981, de vastes territoires des indigènes Wayuu (présents depuis 3000 ans) avaient été évacués pour construire le port via lequel le charbon est exporté. 20 ans plus tard, en 2001, la spoliation des populations locales, métis et afro-descendants, perdure. Les maisons reconstruites par l’entreprise suite à la démolition de Tobacco ne peuvent être vendues par les habitants, au nom de la « cohésion » de la communauté. Résultat : ils ne peuvent pas s’en aller, alors que leurs moyens de subsistance ont été détruits. « On se sent étrangers chez nous », rapporte un homme. Habituées à cultiver des petits lopins de terre d’où elles tiraient de quoi se nourrir (légumes, légumineuses, élevage de petits animaux), les familles se retrouvent sans travail, avec d’infinies difficultés pour trouver de quoi manger et de graves soucis d’accès à l’eau [3].
Un litre d’eau potable par personne et par jour !
C’est que l’exploitation du charbon consomme de l’eau, beaucoup d’eau ! 70 millions de litres sont absorbés, chaque jour, par le site minier. Imbibés de poussières, particules fines et autres produits chimiques, les cours d’eau, en plus de se tarir, sont exsangues. À tel point que les habitants sont rationnés en eau potable : la compagnie minière leur donne à peine un litre par personne et par jour. Mais bien souvent, les habitants achètent l’eau en bouteille, parce que celle que leur fournit El Cerrejón est de très mauvaise qualité, « tout juste bonne à faire la lessive », témoignent des habitants. Selon eux, de très nombreux enfants sont morts à cause de la malnutrition et du manque d’hygiène qu’entraîne la pénurie d’eau.
Déjà terrible, la situation pourrait empirer si les nouveaux projets d’agrandissement d’El Cerrejón étaient menés à leur terme. Pour accéder au charbon situé sous l’une des rares rivières qui demeurent, la compagnie envisage ni plus ni moins que de détourner son cours sur 26 kilomètres ! La pollution de l’eau n’est pas la seule à porter atteinte à la santé des habitants : l’air qu’ils respirent est infesté par la silice et autres particules fines soulevées par l’activité de la mine. Les riverains évoquent de nombreux cancers du poumon. Autres nuisances : le bruit, incessant, et les désagréments causés par les explosions qui font trembler les maisons, mettant certains habitants en état de stress quasi permanent.
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Faites un donViols, menaces de mort et meurtres
La violence de la mine, c’est aussi le développement de la corruption, qui gangrène toute la région ; l’augmentation des meurtres ; et un accroissement des viols de femmes et de jeunes filles. L’insécurité est permanente, malgré la forte militarisation de la zone et l’augmentation continue de la présence policière - qui semble avoir pour principal objectif de protéger la mine, plutôt que les riverains. Luttant contre la peur, la faim et la maladie, certaines personnes trouvent pourtant la force de lutter et résister à l’expansion permanente de la mine. Certains demandent carrément sa fermeture. Et sont en conséquence sans cesse harcelés. De nombreux militants ont été blessés par des tirs des forces armées de l’État lors de mouvements de protestations. D’autres ont été tués [4].
Les victimes de ces violences n’ont probablement jamais entendu parlé de la toute récente Charte des droits humains adoptée par El Cerrejón. Elles ne savent pas non plus que c’est une « mine responsable » comme le clame son site web. Et aucun des riverains n’imagine qu’El Cerrejón a reçu des prix pour son « exemplarité » en termes de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Sur le papier, dans ses discours, et auprès des médias, El Cerrejon est irréprochable. Les propriétaires de la mine – Anglo American, BHP Billiton et Glencore – se sont construit cette image très lisse pour obtenir l’approbation de leurs projets d’agrandissement. Aux antipodes de la réalité du terrain. C’est pourquoi les Amis de la terre, et leurs alliés ont nominé Anglo American au Prix Pinocchio 2015. Les votes sont ouverts jusqu’au 2 décembre.
Nolwenn Weiler
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Photo : Santiago La Rotta cc by-nc