La région Occitanie (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées) va-t-elle continuer à subventionner la compagne aérienne low-cost irlandaise Ryanair ? Le conseil régional s’apprête à voter ce 16 décembre une nouvelle subvention de 550 000 euros à l’Association de promotion des flux touristiques et économiques afin « de poursuivre les actions de promotion du territoire qui s’appuient sur la dynamique de l’aéroport de Montpellier », peut-on lire dans un rapport de la présidente du conseil régional, la socialiste Carole Delga, en vue du vote de cette semaine.
Cette association para-publique a été créée en 2010 en même temps que l’aéroport de Montpellier. Elle réunit l’aéroport, détenu majoritairement par l’État, la Chambre de commerce et d’industrie locale, et les collectivités locales. Son objectif est de soutenir le tourisme dans la région [1]. « Les subventions publiques reçues par cette association sont utilisées pour l’achat de prestations de marketing on line, auprès de compagnies aériennes dites low-cost (Air Arabia, Easy Jet, Volotea, Alitalia, Norwegian et, principalement Ryanair), de leurs filiales (AMS – Airport marketing service – filiale à 100 % de Ryanair), voire plus marginalement de compagnies régulières (Lufthansa) », pointait en octobre la Chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées.
Plus d’un million d’euros d’argent public versé en 2015 à Ryanair
« Le principal bénéficiaire de ces achats de prestations a été, directement ou indirectement, la compagnie Ryanair », souligne l’institution. Depuis 2010, la compagnie irlandaise a reçu entre 65 et 86 % du montant des subventions publiques accordée par l’association [2]. Au total, environ sept millions d’euros de fonds publics venus des différents collectivités territoriales de la région de l’aéroport de Montpellier ont été donnés à Ryanair via l’association régionale de promotion du tourisme. En 2015, selon les comptes de l’association, que nous avons pu consulter, sur un budget de 1,6 million d’euros, plus d’1,2 million ont servi à promouvoir les trois lignes aériennes exploitées par Ryanair depuis Montpellier, vers Charleroi (Belgique), Leeds (Angleterre) et Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
Cette généreuse subvention indirecte vient des poches des contribuables, puisque l’association est « financée exclusivement par plusieurs collectivités publiques locales », comme le rappelle la chambre régionale des comptes. Principaux contributeurs en 2015 : l’ex région Languedoc-Roussillon (470 000 euros), la communauté urbaine Montpellier métropole (440 000 euros), la ville de Montpellier (170 000 euros), et la communauté de communes Pays de l’or, qui regroupe des villes du littoral (106 000 euros). Toutes ces collectivités sont par ailleurs actionnaires de l’aéroport de Montpellier [3]
Suites au protestations, le département de l’Hérault retire sa subvention
Sur place, la controverse s’amplifie autour de ces subventions. L’association de lutte contre la corruption Anticor a introduit en 2015 deux recours au tribunal administratif de Montpellier contre la métropole et la communauté du Pays de l’or. « Seul le département semble avoir été sensible à notre argumentation », constate Marie Hugon, responsable locale d’Anticor. Après avoir versé 150 000 euros en 2014, le Conseil général de l’Hérault n’a pas reconduit son financement. Anticor dénonce aujourd’hui la nouvelle subvention que la région, dirigée par une union de la gauche, s’apprête à voter. Elle est soutenue par une partie des élus de la majorité (ceux d’EELV, du Parti communiste et du Parti de gauche).
Ces aides pourraient être considérées comme illégales par la Commission européenne, comme le note la Chambre régionale des comptes : « La chambre retient l’existence d’un risque financier et juridique procédant de leur incompatibilité potentielle avec la réglementation européenne sur les « aides d’État », écrivent les magistrats.
Un financement public de l’optimisation fiscale et du dumping social
Depuis dix ans, une série de rapports des chambres régionales des comptes lancent l’alerte sur les centaines de millions d’euros versées par les collectivités françaises à la compagnie irlandaise. La Commission européenne estime en juillet 2014 que plusieurs de ces aides publiques constituent un « avantage économique injustifié » et sont incompatibles avec le droit européen. Bruxelles demande même à la France de récupérer près de dix millions d’aides publiques versées à Ryanair, via sa filiale Airport Marketing Services pour le soutien aux aéroports régionaux de Pau, Nîmes et Angoulême. Ryanair a fait appel de cette décision. [4].
Dans les faits, le siphonnage d’aides publiques fait partie intégrante du business model de Ryanair et des compagnies aériennes low cost en général. Paradoxe : ces aides publiques viennent alimenter un système basé sur le dumping social, avec le non-paiement des cotisations sociales grâce à l’emploi de pilotes comme « travailleurs indépendants » ou grâce à l’assujettissement de salariés français à des régimes sociaux étrangers et moins protecteurs. Un système qui repose également sur l’optimisation fiscale, grâce à la domiciliation de filiales dans des pays aux régimes fiscaux avantageux comme Jersey, l’Île de Man ou la Suisse.
Rachel Knaebel
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Photo : CC Frank Da Silva