Bienvenue dans la lettre d’information de l’Observatoire des multinationales.
Parce qu’il n’y a pas que le CAC40 dans la vie, nous nous penchons cette semaine sur les géants américains du web - Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, les fameux « GAFAM » - et leurs stratégies d’influence en France.
Également au menu : Total et terres africaines, LVMH et surveillance, banques et territoires occupés palestiniens, marchands d’armes et guerre en Ukraine.
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Bonne lecture
Derrière la start-up nation, la GAFAM Nation
Microsoft et Apple d’abord, puis Amazon, Google et Facebook ont grandi rapidement jusqu’à atteindre les premiers rangs mondiaux en termes de capitalisation boursière ou de chiffre d’affaires. Cet essor s’est fait sans trop attirer l’attention des gouvernements, sur le mode du fait accompli. N’étaient-ils pas des nouveaux venus foncièrement bons, proposant des nouveaux services innovants et oeuvrant pour le salut de l’humanité ?
Les promesses dorées de la Silicon Valley ne sont plus tout à fait de mise aujourd’hui. Les GAFAM ont dû rabattre un peu de leur superbe en bourse et certains ont procédé à des licenciements. Enfin, ils sont critiqués de toutes parts, de sorte que les régulateurs se sont enfin réveillés et prétendent vouloir s’attaquer à leurs abus et à leur pouvoir excessif.
Face à cette menace, les GAFAM ont sorti l’artillerie lourde pour défendre leurs intérêts. En quelques années, leurs dépenses de lobbying ont augmenté en flèche à Bruxelles et – ainsi que nous le montrons dans notre nouveau rapport GAFAM Nation. La toile d’influence des géants du web en France – à Paris.
Comme nous le montrons encore, ils recourent aux mêmes stratégies d’influence que les multinationales bien établies – embauche de cabinets de lobbying et de communicants, débauchage de hauts fonctionnaires, financement de think tanks et ainsi de suite,, mais avec à leur disposition des ressources encore plus considérables, et un pouvoir d’influence accru par leur prise directe sur l’opinion et par leur pénétration au coeur des administrations publiques.
En juillet 2022, le scandale des « Uber Files » a mis en lumière le cynisme des moyens d’influence déployés par Uber pour s’imposer sur le marché européen. Ce sont au fond exactement les mêmes moyens d’influence qui sont mis en œuvre par Amazon, Google et les autres en France, même si ces groupes préfèrent généralement afficher une posture positive et conciliante qui contraste avec l’agressivité d’Uber.
Le manque d’expertise et de moyens au sein de l’administration et des services publics permet aux GAFAM de se positionner en partenaires incontournables des pouvoirs publics pour aider à régler les problèmes qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer – et ce faisant, continuer à imposer leur vision du monde. Ce que l’on pourrait appeler du « lobbyisme passif ».
Lire notre rapport : GAFAM Nation
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Accaparement vert. La principale « solution » de TotalEnergies pour justifier de continuer à exploiter du pétrole et du gaz est ce que le groupe appelle des investissements dans des « puits de carbone ». Autrement dit : dans des programmes de « reforestation », principalement en Afrique, censés compenser les émissions massives de gaz à effet de serre que le groupe continue d’occasionner. Problème : de tels mégaprogrammes de reforestation - en plus d’être contestables sur le plan écologique lorsque des forêts sont remplacées par des plantations - nécessitent des millions d’hectares de terres. D’où de forts risques d’accaparement au détriment des communautés locales. Une enquête conjointe de Mediapart, de Source Material et de Unearthed, la cellule d’investigation de Greenpeace, prend TotalEnergies la main dans le sac au Congo-Brazzaville. Des documents gouvernementaux montrent que l’opérateur d’un projet phare de reforestation, agissant pour le compte du groupe pétrolier, a purement et simplement exproprié des dizaines de familles pour lui faire de la place.
Critiques de LVMH « sous surveillance ». La semaine dernière, une enquête de Politico révélait que l’ancien patron de Qwant, le moteur de recherche champion de la vie privée, s’était reconverti dans la cybersurveillance au service de grandes entreprises. Parmi ses cibles, une mission de surveillance de plusieurs critiques de LVMH et de son PDG Bernard Arnault, notamment l’association Attac et l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. On ne sait pas à ce stade si la mission a été effectivement commandée par LVMH – coutumière de ce genre de démarches vis-à-vis de ses critiques – ou s’il s’agissait d’une démonstration visant à convaincre le groupe. Lire l’enquête complète d’Elisa Braun.
Le soutien des grandes banques françaises à la colonisation de la Palestine. L’expansion des colonies israéliennes dans les Territoires occupés palestiniens a été maintes fois condamnée par l’ONU. Pourtant, de nombreuses entreprises israéliennes ou occidentales (parmi lesquelles Alstom, Altice, Carrefour, Solvay ou encore Vinci) continuent à y participer directement ou indirectement, par leurs activités de construction, d’infrastructures et de réseaux, en violation du droit international. La coalition « Don’t buy into occupation », qui compte dans ses ranges la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’Association France Palestine solidarité (AFPS), a enquêté sur le financement de ces entreprises. Plus de 700 institutions financières sont ciblées, au premier rang desquelles – est-ce une surprise ? - les grandes banques françaises. BNP Paribas est même numéro 1 en termes de crédits consentis et de souscriptions d’obligations, avec plus de 25 milliards de dollars engagés, tandis que la Société générale est troisième. En termes d’actionnariat et de détention d’obligations, c’est le Crédit agricole qui se distingue en deuxième position du classement derrière le fonds souverain norvégien, juste avant BPCE, troisième.
Profiteurs de guerre. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, les gouvernements européens dont la France ont annoncé des dizaines de milliards d’euros supplémentaires pour l’industrie de l’armement, afin de porter assistance aux forces armées ukrainiennes mais aussi pour renforcer leurs propres capacités face aux menaces futures. De nombreux obstacles juridiques au financement de cette industrie et à ses exportations ont également été levés au nom de la guerre en cours. Les industriels européens de l’armement ont réussi à utiliser la guerre en Ukraine comme la preuve de leur légitimité et de leur nécessité. Les lobbys du secteur ont même demandé que la défense soit incluse parmi les investissements « durables » et « socialement souhaitables » dans le cadre de la Taxonomie verte mise en place par la Commission européenne ! Pourtant, rappelle un nouveau rapport du Transnational Institute et de Stop Wapenhandel, les pays de l’OTAN dépensaient déjà 17 fois plus que la Russie en armement avant février 2022, ce qui n’a pas empêché le Kremlin de lancer l’invasion de l’Ukraine. On peut se demander si la fuite en avant dans une nouvelle course aux armements est une solution durable pour la paix, en Europe ou ailleurs.