06.03.2019 • Football

Dictatures, hedge funds et multinationales pollueuses : un guide alternatif de la Ligue des Champions

Le quotidien britannique The Guardian dresse le tableau des nombreux liens économiques noués par les grands clubs européens de football avec des gouvernements répressifs, des spéculateurs de Wall Street et des multinationales. L’association de défense des droits humains Amnesty International dénonce le développement du « sportwashing », autrement dit l’instrumentalisation du foot pour soigner l’image d’acteurs politiques et économiques controversés.

Publié le 6 mars 2019 , par Olivier Petitjean

Marché des transferts, sponsoring, « naming » des stades et des compétitions, droits de retransmission, cotation en bourse des grands clubs... Le football est plus que jamais un business. Et un simple tour d’horizon des clubs encore en lice cette année dans la Ligue des champions suffit à constater, comme l’a fait récemment le Guardian, que c’est un business qui profite de plus en plus souvent à des États répressifs, des gestionnaires de hedge funds ou des multinationales. Autant d’acteurs qui y cherchent certes des bénéfices économiques, mais aussi (et peut-être surtout) un moyen de soigner leur image.

Il existe certes de longue date des liens entre certains clubs de football et des entreprises locales. Les relations entre la Juventus de Turin et le contructeur automobile Fiat, via la famille Agnelli, ne sont qu’un exemple d’un phénomène que l’on retrouve à tous les niveaux de compétition. Mais il y a incontestablement eu ces dernières décennies un afflux massif d’argent d’origine pas toujours reluisante, dont le rachat du Paris Saint-Germain par le Qatar et celui de Manchester City par l’émirat d’Abou Dhabi ont été les illustrations les plus emblématiques.

Ce sont sans doute les clubs anglais qui ont été le plus loin. En plus d’en être propriétaire, la famille régnante d’Abou Dhabi est aussi le sponsor de Manchester City via la compagnie aérienne Etihad, qui a également donné son nom au stade de l’équipe. Manchester United appartient, via les îles Caïmans, à la famille américaine Glazer, dont la fortune provient du fonds d’investissement First Allied. Il est aujourd’hui question d’un rachat du club par la famille royale saoudienne, avec laquelle « ManU » a déjà conclu un partenariat stratégique. Tottenham appartient à la famille d’un trader résident fiscal aux Bahamas qui a fait fortune en spéculant contre la livre sterling dans les années 1990 aux côtés de George Soros. Liverpool, malgré son image de club des « classes populaires », appartient à Fenway Sports, dont l’actionnaire principal est John W. Henry, devenu milliardaire grâce à son hedge fund. Sans oublier Chelsea, propriété de l’olgarque russe Roman Abramovitch, et Arsenal, dont le stade et le maillot portent le nom de la compagnie aérienne de Dubaï Emirates, et qui est aujourd’hui contrôlé par le milliardaire Stan Kroenke, propriétaire de plusieurs équipes de sport aux États-Unis.

Partenariats peu regardants

L’AS Roma, en Italie, a suivi l’exemple de ses concurrents britanniques en acceptant son rachat par un autre milliardaire américain, propriétaire du hedge fund « Raptor Group », James Pallotta. En Espagne en revanche, les clubs de football sont souvent des sociétés anonymes à but non lucratif, dont le capital n’est pas ouvert. Ce qui ne les empêche pas de nouer des accords de sponsoring avec des entreprises ou des gouvernements répressifs, comme l’Azerbaïjan pendant quelques années pour l’Atlético Madrid, Dubaï pour le Real ou le Qatar pour le FC Barcelone. Le président du Real Madrid, Florentino Pérez, est aussi le PDG du groupe de construction ACS, au centre des réseaux politico-financiers dans le pays, et associé à de nombreux projets controversés.

Côté français, l’Olympique lyonnais est la propriété de l’homme d’affaires Jean-Michel Aulas, aux côtés d’actionnaires minoritaires chinois. Quant au Paris Saint-Germain, en plus d’être propriété d’un fonds souverain du Qatar et d’être lié économiquement à diverses entreprises appartenant à la famille royale qatarie, il vient de signer un nouvel accord de sponsoring avec le groupe hôtelier Accor, pour 60 millions d’euros par an. Accor dont le second actionnaire n’est autre que... le fonds souverain qatari - et dont le patron actuel, Sébastien Bazin a été quelques mois président du PSG, avant le rachat par le Qatar, pour le compte d’un autre fonds d’investissement américain, Colony Capital. Accor et le PSG réfléchissent déjà aux synergies possibles entre les millions de « followers » du club dans le monde et le programme de fidélisation du groupe hôtelier, All, dont le nom ornera dès l’année prochaine le maillot des joueurs parisiens.

Soutenez l’Observatoire

Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com’ du CAC 40.

Faites un don

Les choses sont-elles différentes dans les autres pays ? Le Borussia Dortmund, bien que coté en Bourse, s’efforce de cultiver une image plus éthique. Ses dirigeants ont même déclaré avoir refusé plusieurs offres lucratives de matchs amicaux dans des pays sous dictature. Parmi ses actionnaires minoritaires, on compte l’entreprise chimique Evonik (également sponsor), qui détenait jusque récemment des centrales au charbon, et l’équipementier Puma. Idem pour le Bayer Munich, majoritairement propriété de ses membres, mais qui compte aussi Audi, Adidas et l’assureur Allianz parmi ses actionnaires minoritaires. L’accord de sponsoring du club bavarois avec le Qatar a été l’objet de critiques virulentes d’une partie de ses supporters.

Quant à Schalke 04, le club de Gelsenkirchen, il appartient à milliardaire réputé proche du Kremlin. Gazprom, l’entreprise gazière qui apparaît comme le bras économique de la Russie en Europe, en est le sponsor, et l’un de ses dirigeants siège même au conseil d’administration du club. Là aussi, une visite des joueurs de l’équipe au Kremlin en pleine crise ukrainienne avait été vertement critiquée par une partie des fans. Gazprom est également sponsor officiel de l’UEFA, structure organisatrice de la Ligue des champions : la boucle est bouclée.

Amnesty dénonce la mode du « sportwashing »

Ces liens étroits noués par les clubs européens avec des acteurs économiques et, surtout, avec des régimes en délicatesse avec les droits de l’homme et la démocratie, commencent en effet à faire grincer des dents, chez les supporters et au-delà. Dénonçant notamment les liens entre Manchester City et l’émirat d’Abou Dhabi, engagé dans la guerre au Yémen et réputé pour son exploitation de travailleurs migrants, l’ONG Amnesty international a inventé le terme de « sportwashing » (sur le modèle de « greenwashing », désignant les faux discours verts des entreprises) pour désigner cette pratique consistant à améliorer l’image d’une entreprise ou d’un gouvernement en l’associant à un club populaire.

Un diagnostic qui vaut également pour le Qatar, propriétaire du PSG et organisateur de la Coupe du monde 2022, lui aussi mis en accusation notamment pour le sort des ouvriers migrants sur ses chantiers, dont certains menés par le groupe français Vinci (lire ici et les derniers développements ) [1].

Cette remise en cause pourrait-elle un jour s’étendre à l’impact environnemental et climatique des sponsors, alors que des campagnes militantes ciblent déjà le mécénat des entreprises pétrolières auprès d’institutions culturelles ou scientifiques (lire notre enquête sur les relations entre Total et le Louvre) ? Mis à part Gazprom pour Schalke 04, on ne trouve aucune firme dédiée aux hydrocarbures parmi les sponsors des grands clubs européens [2]. Mais les États pétroliers du Golfe sont sont omniprésents, à la fois directement et via le sponsoring des compagnies aériennes nationales (Qatar Airways, Emirates, Etihad), moteurs d’un développement massif des vols long courriers désastreux pour le climat. Les constructeurs automobiles sont eux aussi de la partie, avec Chevrolet pour Manchester United, Jeep (marque du groupe Fiat) pour la Juventus de Turin ou encore Hyundai pour l’Olympique lyonnais.

OP

— 
Photo : Markos90 CC via Wikimedia Commons

Notes

[1Vinci est accessoirement le sponsor du Paris FC, actuellement quatrième au classement de la Ligue 2, qui vise à devenir le second grand club de la capitale.

[2Total est cependant le sponsor de la Coupe africaine des nations, BP l’un de ceux de la Fifa, et Shell sponsorise plusieurs équipes nationales du Moyen-Orient.

Les enquêtes de l’Observatoire

L’Observatoire est à votre écoute

  • Besoin d’éclaircissements ?
  • Une question ?
  • Une information à partager ?
Contactez-nous