C’était en septembre 2015. Le scandale du « Dieselgate » révélait que le constructeur automobile allemand Volkswagen avait triché sur les émissions polluantes réelles de ses voitures diesel. 11 millions de véhicules étaient concernés. Suite au scandale, de nombreux tests réalisés dans plusieurs pays ont montré qu’au-delà du seul cas Volskwagen, l’ensemble des constructeurs automobiles affichaient, en conditions réelles d’utilisation, des émissions polluantes supérieures, et parfois très largement supérieures, aux normes en vigueur, très loin des performances environnementales dont elles se prévalaient auprès des consommateurs.
Près de deux ans plus tard, les réformes et les sanctions continuent à se faire attendre, notamment en Europe. Et en attendant, les ventes des véhicules diesel se poursuivent à un rythme soutenu. Y compris les véhicules dont les tests effectués suite au Dieselgate ont révélé qu’ils étaient extrêmement polluants, à commencer par ceux de Renault. Une analyse réalisée par le Guardian montre ainsi que 80% des véhicules diesel vendus en Grande-Bretagne depuis neuf mois dépassent, en conditions réelles, les normes de pollution en vigueur. Certaines, comme les Renault Mégane et Captur diesel, produisent seize fois plus d’oxyde d’azote (NOx) qu’affiché dans les tests officiels. Pour la Nissan Qashqai, c’est même dix-huit fois plus. Les porte-paroles de Renault et Nissan interrogés par le quotidien britannique expliquent que leurs véhicules respectent la lettre de la loi, et que leurs entreprises sont favorables aux nouvelles règles d’homologation et de contrôle qui doivent être progressivement mises en place. Les véhicules neufs qui sortent désormais de leurs usines seraient nettement moins polluants.
Le phénomène dépasse bien entendu la Grande-Bretagne. Selon les chiffres de l’ONG européenne Transport & Environment, pas moins de 6 millions de nouveaux véhicules diesel très polluants (dont les émissions réelles dépassent les normes en vigueur par un facteur de trois au moins) ont été ajoutés en 2016 sur les routes européennes. Au total, ce sont près de 35 millions de véhicules diesel très polluants qui ont été vendus en Europe entre 2011 et 2016, dont 6,5 millions en Allemagne, 5,3 au Royaume-Uni, 4 en Italie.
Et en France ? La part du diesel continue à diminuer, passant sous la barre de 50% des ventes de véhicules neufs. Cependant, au vu de l’augmentation globale des ventes d’automobiles neuves dans le pays en 2016, cela signifie tout de même davantage de voitures diesel sur les routes hexagonales. Si les particuliers se détournent de plus en plus de ce carburant, les flottes d’entreprise s’équipent encore pour deux tiers en véhicules diesel. Comme le rappelle Transport & Environment, « plus de 70 000 Européens meurent prématurément chaque année en raison des niveaux élevés d’oxydes d’azote dans nos villes, selon l’Agence européenne de l’environnement. Les constructeurs automobiles auraient pu empêcher la plupart de ces décès en respectant véritablement les normes Euro 5 et Euro 6. »
Une réforme très timide
La complaisance des autorités de chaque pays vis-à-vis de leurs constructeurs nationaux a été largement dénoncée comme l’une des causes des abus révélés par le Dieselgate. La Commission européenne a lancé une procédure en infraction contre plusieurs États membres pour n’avoir pas engagé de poursuites judiciaires ou prononcé de sanctions contre leurs constructeurs. La France y a échappé grâce aux poursuites initiées contre Renault (lire [notre article Dieselgate : Renault et son PDG face à la justice). Mais la Commission elle-même n’est pas en reste, car elle a laissé une grande latitude aux industriels, avec la complicité active des gouvernements, pour décider des règles qui leur seraient appliquées. C’est pourquoi le Parlement européen, à travers sa commission d’enquête EMIS, a proposé une réforme en profondeur du système d’homologation et de contrôle des véhicules européens (lire notre article Le « Dieselgate » est aussi un scandale de lobbying).
La majorité conservatrice du Parlement a rejeté les propositions les plus ambitieuses de la commission EMIS, laissant à la Commission le soin d’élaborer une solution « de compromis », susceptible de recueillir l’assentiment de tous. C’était sans compter sur la résistance des gouvernements nationaux. L’Allemagne notamment, particulièrement attachée aux intérêts de ses grands constructeurs automobiles, s’oppose depuis le départ à un renforcement de la supervision européenne dans ce domaine. Elle a encore une fois fait atténuer les propositions mises sur la table, en réduisant drastiquement les pouvoirs de supervision de la Commission sur les autorités d’homologation nationales.
La réforme doit désormais désormais être finalisée dans le cadre des « trilogues », ces très opaques négociations entre Commission, Parlement et Conseil pour finaliser les textes législatifs européens. En attendant, les voitures polluantes continuent à pulluler dans les villes et sur les routes européennes, avec un coût sanitaire et humain énorme.
Olivier Petitjean
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Photo : Jordi Bernabeu Farrús CC via flickr