Un éboulement dans l’immense décharge de Koshe, dans la capitale éthiopienne Addis Abeba, a fait au moins 113 morts selon le dernier décompte. La catastrophe, survenue le 11 mars 2017, a principalement frappé des femmes et des enfants vivant sur ce site de 30 hectares, et gagnant leur vie à fouiller les déchets à la recherche de matières recyclables ou réutilisables : les waste pickers ou chiffonniers. Un drame qui interroge aussi sur le rôle de l’Agence française de développement (AFD), impliquée dans la réhabilitation de la décharge depuis 2007.
Le réseau Zero Waste France souligne en effet dans un communiqué de presse que l’AFD « a financé successivement plusieurs études, principalement réalisées par des cabinets français, avant d’attribuer une subvention de 5,4 millions d’euros pour la fermeture et réhabilitation du site sur lequel l’éboulement a eu lieu, et un prêt de 20 millions d’euros pour une “nouvelle infrastructure de stockage” », autrement dit une nouvelle décharge. La création de cette nouvelle décharge a été attribuée à une autre firme française : Vinci. Un contrat qui représente 13,5 millions d’euros, en partie apportés par l’AFD.
Autrement dit, l’aide au développement française a profité avant tout... à des entreprises tricolores. Quant aux populations locales, en particulier les waste pickers qui ont été les premières victimes du désastre, elles apparaissent comme les laissés pour compte du modèle retenu à Addis-Abeba. En réponse à nos questions, l’AFD précise que « de 2011 à 2013, l’Agence a soutenu la réhabilitation de 19 hectares sur les 30 que compte le site de Koshe, permettant un nettoyage total préalable à sa fermeture ». Elle ajoute que Vinci « a été sélectionné par les autorités éthiopiennes à l’issue d’un appel d’offres international, qui comportait des critères de sélection environnementaux et sociaux particulièrement exigeants ».
Les multinationales avant les populations locales ?
Selon les résidents, l’éboulement a été provoqué par des travaux de terrassement sur le site, réalisés en vue de la construction d’une unité de génération de « biogaz ». Un projet d’incinérateur serait également prévu sur place, apparemment par des entreprises chinoises. Selon les autorités, les familles de waste pickers auraient été averties de ces travaux, mais auraient refusé de quitter les lieux, n’ayant pas d’autre endroit pour vivre ni d’autre moyen de subsistance [1].
Les vives tensions sociales et ethniques que connaît actuellement l’Éthiopie ont également joué un rôle. Les autorités veulent en effet construire une nouvelle décharge (celle dont Vinci a remporté le marché) au nord de la capitale, sur des terres de l’ethnie Oromo, majoritaire dans le pays mais en conflit avec le gouvernement dominé par l’ethnie Tigré. Les Oromo ont refusé l’ouverture du nouveau site, de sorte que le projet est en suspens.
Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France, estime qu’une approche différente est possible, consistant à travailler avec les waste pickers pour concevoir des solutions locales adaptées sur le plan social et environnemental, plutôt que de privilégier des options industrielles dont les premiers bénéficiaires sont les grandes entreprises privées. Ce que prouveraient de nombreuses expériences récentes en Inde et en Amérique latine. D’ailleurs, l’entreprise aujourd’hui en charge des déchets de San Francisco, la première ville « zéro déchets » au monde, est elle-même issue d’une coopérative de chiffonniers créée en 1921, et garde jusqu’à ce jour ce statut coopératif.
Olivier Petitjean
Cet article a été modifié le 16 mars à 10 heures pour actualiser le nombre de morts occasionnées par la catastrophe.
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Photo : Magnus Franklin CC