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05.02.2019 • Passe-droit

Fiscalité des multinationales : la grande hypocrisie des pays européens

Dans la plupart des pays européens, les multinationales paient nettement moins d’impôts que ne le suggère le taux d’imposition officiel. C’est ce que démontre, chiffres à l’appui, un rapport commissionné par le groupe des Verts au Parlement européen. La palme en la matière revient au Luxembourg où le taux d’imposition théorique est de 29%, mais où les multinationales ne reversent au fisc en moyenne que 2% de leurs bénéfices, grâce à des arrangements du type de ceux dénoncés dans le scandale des LuxLeaks. Mais les grands pays comme la France sont eux aussi concernés.

Publié le 5 février 2019 , par Olivier Petitjean

En matière de fiscalité des entreprises, le premier indicateur à regarder est le taux de l’impôt sur les sociétés, calculé sur la base des profits déclarés. On suppose généralement que ce taux d’imposition est plutôt plus élevé en Europe qu’ailleurs, a fortiori dans les paradis fiscaux où ce taux d’imposition est nul, comme dans les îles Caïmans, les Bermudes, Jersey ou les Bahamas.

Certes. Les pays européens se sont toutefois engagés, ces dernières années, dans une course à l’attractivité qui les a poussés à réduire progressivement leur taux d’imposition pour mieux attirer les multinationales [1]. Le taux de l’impôtsur les sociétés en France doit ainsi être ramené progressivement de 33 à 25% à l’horizon 2022.

Surtout, quel que soit le taux d’imposition théorique affiché par les pays européens, les possibilités ne manquent pas pour les multinationales de réduire discrètement leur ardoise fiscale. Le scandale des « LuxLeaks » a mis en lumière les accords secrets passés par le fisc luxembourgeois (rescrits ou rulings en anglais) permettant à de nombreuses entreprises internationales d’y optimiser leurs impôts. Ce qui explique sans doute qu’en dépit d’un taux d’impôt sur les sociétés nominal de 29%, parmi les plus élevés de l’Union européenne, les filiales de multinationales présentes au Luxembourg ne lui versent en réalité en moyenne que 2% de leurs bénéfices.

Partout en Europe, un taux d’imposition effectif bien moindre que le taux officiel

Ce chiffre est tiré d’un rapport commissionné par le groupe des Verts au Parlement européen, qui étudie le taux réel auquel ont été imposé les bénéfices des entreprises dans les pays de l’Union européenne entre 2011 et 2015, sur la base des chiffres partiels disponibles.

Le tableau est édifiant : dans 24 pays de l’UE sur 27, le taux réel d’imposition des bénéfices est inférieur, et parfois largement inférieur, au taux nominal. Le phénomène concerne non seulement des pays réputés pour leurs largesses fiscales comme les Pays-Bas (10% d’imposition effective contre un taux nominal de 25%) ou la Belgique (14% au lieu de 35%), mais également des pays comme la France (17% au lieu de 33%) ou l’Allemagne (20% au lieu de 30). Les exceptions sont la Grèce (28% de taux effectif contre 24% de taux nominal) et deux pays dont le taux d’imposition est déjà faible : l’Irlande (16% de taux effectif contre 13% de taux nominal [2]) et la Roumanie (17 contre 16%).

Taux d’imposition nominal et taux d’imposition effectif (ETR) dans l’UE

Il s’agit bien d’un phénomène spécifiquement européen. Par comparaison, les taux d’imposition effectifs pratiqués par d’autres pays de l’Europe hors UE (comme la Norvège) ou d’autres continents sont beaucoup plus proches de leur taux nominal - et dans de nombreux cas, plus élevés. L’étude confirme également que dans la plupart des pays européens, plus une entreprise est grande, plus son taux d’imposition est faible.

Au final, le taux d’imposition effectif moyen de l’UE tourne autour de 15%, alors que la moyenne du taux nominal est de 23%. La différence s’explique par les innombrables moyens que les pays européens offrent aux grandes entreprises pour réduire leur ardoise fiscale : rescrits très favorables comme au Luxembourg, niches fiscales et crédits d’impôts comme le CIR ou le CICE en France, intérêts notionnels en Belgique, etc.

Une solution a été proposée pour mettre à nu ces mécanismes d’évitement fiscal : le reporting pays par pays public, qui obligerait chaque multinationale à divulguer un certain nombre de chiffres clés, dont les bénéfices et les impôts versés, pour toutes leurs filiales où qu’elles soient localisées. L’Union européenne envisage aujourd’hui de mettre en oeuvre cette obligation à l’échelle communautaire, mais la proposition est bloquée au niveau du Conseil, c’est-à-dire des gouvernements des pays membres. S’y opposent notamment des pays comme l’Irlande et le Luxembourg, mais aussi l’Allemagne, qui estime que la transparence nuirait à la compétitivité de ses entreprises... Pendant ce temps, la course au moins-disant fiscal continue.

Olivier Petitjean

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Photo : Phucsi Nguyen CC via flickr

Notes

[1Voir à ce sujet le rapport de l’ONG néerlandaise Somo.

[2La méthodologie et les données utilisées pour cette étude ne permettent pas tenir compte du cas des multinationales étatsuniennes comme Apple qui ont basé leurs opérations en Irlande, ce qui explique peut-être ce résultat.

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