C’était un rendez-vous banal chez le médecin, fin 2010. Marie-Océane Bourguignon, 16 ans, souhaite obtenir un certificat médical pour la danse. La médecin qu’elle rencontre lui conseille vivement d’être vaccinée contre le papillomavirus humain, un virus sexuellement transmissible qui peut provoquer le cancer du col de l’utérus. En France, environ 1000 femmes décèdent chaque année à cause de ce cancer. Depuis 2007, un vaccin nommé Gardasil est produit par l’américain Merck et commercialisé par le français Sanofi-Pasteur [1]. « En 2010, on voyait des publicités partout pour ce vaccin, on ne s’est pas méfiés », se rappelle Jean Jacques Bourguignon, le père de Marie-Océane. « Protéger sa fille, c’est ce qu’il y a de plus naturel pour une mère », affiche une de ces publicités.
Quelques semaines après la première injection, Marie-Océane ressent des picotements, perd l’équilibre, vomit. Suite à la deuxième injection, la jeune fille est victime d’une attaque cérébrale. Quatre autres suivront. « Elle est tombée dans le coma et a fait une paralysie faciale, raconte son père. A un moment donné, elle a perdu l’usage des jambes, la vue et une partie de l’audition. » Hospitalisée pendant un an, les médecins craignent d’abord une sclérose en plaques (SEP). C’est finalement une encéphalomyélite aiguë disséminée qui est diagnostiquée, [2]. « Il y a avait un risque de décès d’environ 10% », se souvient Jean Jacques Bourguignon.
Des centaines de victimes d’effets secondaires
Marie-Océane passe son année de troisième à l’hôpital. Son sang est filtré pour éviter que son cerveau ne s’enflamme. Elle se déplace pendant plusieurs semaines dans un fauteuil roulant. Après une étude de six mois menée par des neurologues mandatés par la Commission de conciliation et d’indemnisation de l’Oniam (l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux), le verdict tombe : un lien direct est établi entre les symptômes de Marie-Océane et sa vaccination au Gardasil. Et cela, malgré la détermination des avocats de Sanofi qui ont tenté d’influencer les experts afin qu’ils renoncent à l’emploi du terme « imputabilité ».
Le cas de Marie-Océane Bourguignon n’est pas isolé. Les témoignages affluent. Les mêmes symptômes sont retrouvés chez plusieurs jeunes filles, quelques semaines après avoir été vaccinées au Gardasil. Certaines sont décédées. C’est le cas de la française Adriana Kolbecher, en 2010, victime d’une encéphalite auto-immune, une inflammation violente du cerveau. Ses parents ont déposé plainte en 2014 pour homicide involontaire. Les parents de Marie-Océane avaient été les premiers à saisir la justice, en novembre 2013. Depuis, les recours en justice se multiplient.
Une défiance de plus en plus forte
L’efficacité même du Gardasil est remise en cause. Il ne protégerait que contre 75% des souches provoquant le cancer de l’utérus. Un frottis régulier serait bien plus efficace. Le plan cancer intègre ces campagnes de dépistages tout en promouvant une augmentation de la couverture vaccinale. Seules 30% des filles d’une génération sont actuellement vaccinées. Malgré les réserves qui entourent le Gardasil, la vaccination contre le papillomavirus humain est l’une des priorités fixées par François Hollande début 2014, qui souhaiterait la doubler. D’après le Nouvel Obs, [3] quelques semaines avant l’annonce du Président de la République, le Pdg de Sanofi serait aller plaider la cause dans le bureau d’Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée.
L’affaire du Gardasil est emblématique de la défiance qui s’est progressivement installée envers certains vaccins – et parfois, la vaccination elle-même. Car les vaccins n’ont jamais été aussi nombreux. « Un enfant de 10 ans a reçu beaucoup plus de vaccins qu’une personne de plus de 50 ans », explique Jérôme Authier, chercheur à l’hôpital Mondor, à Créteil. Désormais, un seul vaccin contient six souches combinées. Une injection permet d’être protégé contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, l’hépatite B et les infections à Haemophilus influenzae de type b (responsables de certaines méningites et pneumonies). Pourtant, seul le DTPolio est obligatoire. Mais son vaccin est de moins en moins disponible [4]. Pour les parents, il est de plus en plus difficile de choisir ce qu’ils souhaitent voir administrer à leurs enfants. Le choix est vite fait : c’est tout, ou rien. Or, parmi les vaccins qui déclenchent parfois l’inquiétude des parents, celui contre l’hépatite B est en première place.
Un tsunami vaccinal
En 1994, incitée par l’OMS, la France décide de vacciner massivement les collégiens des classes de 6ème contre l’hépatite B. En quatre ans, entre 20 et 25 millions de personnes, enfants et adultes, sont vaccinés. Un tiers de la population française. Du jamais vu. « Un tsunami vaccinal », estime Dominique le Houézec, pédiatre à Caen et conseiller médical du Réseau vaccin Hépatite B (REVAHB). « Tout le monde voulait être vacciné face à ce danger présenté comme immédiat. Il y avait des listes d’attente dans les pharmacies, se rappelle-t-il. On nous disait que l’hépatite B pouvait être facilement attrapée par la salive, dans le verre d’un autre. Ce qui est faux. » A l’époque, le médecin ne comprend pas cet engouement et commence à se méfier : « La France n’était pas un pays en voie de développement, régions où l’hépatite B est présente massivement. »
Des cas de scléroses en plaques (SEP) sont rapidement signalés dans les années qui suivent. Des enquêtes sont lancées ; les médias s’emparent du sujet. En 1998, face à la polémique, le ministre de la Santé, Bernard Kouchner, renonce à la vaccination systématique des pré-adolescents en milieu scolaire. Le vaccin contre l’hépatite B provoque-t-il un risque accru de développer une sclérose en plaques ? Dominique Le Houézec a comparé les chiffres des doses vaccinales vendues chaque année avec la survenue de nouvelles scléroses en plaques suite à une vaccination anti-hépatite B, grâce aux données de la pharmacovigilance nationale (ANSM). Les résultats sont troublants [5].
Absence d’études sur les effets du vaccin contre l’hépatite B
Les courbes montrent qu’après la vague de vaccination massive contre l’hépatite B, le nombre de personnes touchées par une sclérose en plaques augmente significativement (plus 65%). « Ceci ne suffit pas pour affirmer une causalité absolue, écrit l’auteur. Mais c’est un signal fort qui nécessite d’autres études épidémiologiques. » Une simple corrélation statistique ? Ou un lien entre le vaccin et l’apparition des symptômes ? Les chercheurs ne sont pas tous d’accords [6]. Mais certains mettent en évidence une multiplication par trois du risques de développer une SEP chez les personnes vaccinées.
Si ce lien existe entre vaccination et SEP, comment l’expliquer ? « Une étude [7] estime qu’il pourrait y avoir des impuretés introduites lors de la fabrication du vaccin contre l’hépatite B, explique Dominique le Houézec. Face à ces particules étrangères, l’organisme se défendrait en attaquant les gaines de myéline, qui entourent les nerfs, par un mécanisme de mimétisme moléculaire. Ce qui provoquerait ainsi des SEP. » Mais tout le monde ne réagirait pas de la même façon : des personnes ayant déjà vécu une stimulation immunitaire très forte, par exemple à cause d’une mononucléose, pourraient être plus touchées. « Pour l’instant, il n’y a plus de recherches sur le sujet, regrette le pédiatre. Cela n’intéresse personne, puisqu’une large majorité du monde scientifique tient pour acquis qu’il n’y a pas de lien potentiel... »
Les effets secondaires, « du pur hasard » ?
Parmi les spécialistes qui récusent ces dramatiques effets secondaires, on trouve Daniel Floret, le président du Comité technique des vaccinations. Cette instance est chargée de donner un avis « sur l’intérêt en santé publique à l’introduire dans le calendrier vaccinal » avant toute mise sur le marché d’un nouveau vaccin. En résumé, il s’agit se s’interroger sur les bénéfices que le vaccin peut apporter par rapport aux risques qu’il comporte. Mais un autre critère est aussi pris en compte :« On regarde de plus en plus l’aspect médico-économique : quelles sont les dépenses engendrées par le vaccin ? Et quelles sont les économies de santé ? »
« Sur le Gardasil, toutes les études qui ont été faites pour regarder les liens entre ces vaccinations et les maladies auto-immunes (très nombreuses études de cohortes en Suède et en Finlande) concluent à l’absence de liens », décrit Daniel Floret. Les symptômes de ces jeunes femmes sont donc inventés ? « Bien entendu ces effets existent, mais c’est parce qu’on vaccine à l’âge où apparaissent les maladies auto-immunes », estime Daniel Floret, avant de poursuivre : « Les effets secondaires, c’est du pur hasard... Enfin, ce n’est pas totalement du pur hasard. Quand on déclare une sclérose en plaques, on a un processus de démyélinisation et d’auto-immunité qui s’est installé des années avant. Cette maladie avait donc commencé avant l’apparition des symptômes. » La vaccination provoquerait simplement les symptômes de la maladie, déjà présente.
Des réseaux sociaux qui amplifient les rumeurs
Si les scléroses en plaques augmentent avec les vaccinations, ce serait donc « normal ». Si l’on suit la logique de Daniel Floret, ces SEP se seraient de toutes façons déclenchées à un moment ou un autre. « Si on vaccine des millions de français de cette tranche d’âge, ce n’est pas étonnant qu’il y ait des révélations de sclérose en plaques », estime le professeur. De façon plus générale, pour l’hépatite B ou le Gardasil, il fustige ces polémiques en rappelant « qu’il y a toujours eu un pourcentage de gens hostiles à la vaccination, pour des raisons diverses, parfois religieuses ». « Le problème actuel, ajoute-t-il, est que l’Internet, les réseaux sociaux, amplifient considérablement la parole de ces opposants, la diffusion de ces rumeurs. » La religion et les réseaux sociaux, deux coupables idéaux...
Au cœur de ces « rumeurs » qui entourent les vaccins, il y a l’aluminium. Ce dernier est utilisé comme un adjuvant dans la plupart des injections. Son rôle : accroître l’efficacité du vaccin en entraînant une meilleure réponse de l’organisme. Mais l’aluminium est de plus en plus décrié : plusieurs chercheurs mettent aujourd’hui en évidence sa toxicité sur le long terme [8]. « Lors d’un vaccin, l’aluminium ne reste pas confinée au site d’injection contrairement à ce que beaucoup de médecins croient encore, explique le chercheur Jérôme Authier [9] Beaucoup de données le montrent : il y a une dissémination systémique de l’aluminium. Nous avons par exemple démontré que des nano-particules peuvent entrer dans le système nerveux central, chez l’animal. Elles pourraient très bien être des nano-particules d’aluminium. »
Une étrange maladie : la myofasciite à macrophages
L’aluminium pourrait ainsi se disséminer dans notre cerveau. C’est la principale hypothèse qui permettrait d’expliquer les maux dont souffrent plus d’un millier de personnes, en France, atteintes de ce qu’on appelle la « myofasciite à macrophages ». Didier Lambert en fait partie. Cet ancien directeur d’un service médico-social s’est fait vacciner contre l’hépatite B, fin 1993. Quelques mois plus tard, il ressent une très forte fatigue, des douleurs articulaires, des troubles cognitifs. Au fil des ans, ses symptômes s’accroissent. « Je n’arrivais plus à gérer le quotidien, le stress, raconte-t-il. J’oubliais mes dossiers, mes courriers. » En 2004, épuisé, Didier Lambert est obligé d’arrêter de travailler. Le diagnostic d’une SEP est vite écarté. Didier Lambert découvre qu’ils sont plusieurs centaines à développer ces symptômes que les médecins ne parviennent pas à caractériser.
Chez ces patients, un point commun : ils présentent tous une lésion musculaire dans le bras, où un vaccin a été appliqué. En terme scientifique, c’est une myofasciite à macrophages (MFM). Une lésion banale chez une personne qui vient d’être vacciné. « Normalement, cette lésion disparaît dans le temps, après l’injection, explique Jérôme Authier [10]. Mais chez ces patients, cette lésion est présente plusieurs années, voire jusqu’à 10 ans après l’injection. » Voilà pour le point commun. La genèse des symptômes, quant à elle, n’est pas encore bien comprise. « On n’a jamais démontré que ce type de lésion était en relation avec une maladie quelle qu’elle soit. La myofascite à macrophages n’existe qu’en France », balaie d’un revers de la main, Daniel Floret, alors même que plusieurs études sont menées à l’étranger, par exemple au Portugal [11]. Plus généralement, le président du Comité technique des vaccinations estime que « la controverse sur l’aluminium est une controverse franco-française » ; avant de dénoncer « une équipe de chercheurs qui milite pour tenter de démontrer que l’aluminium est nocif ». Alors pourquoi donc développer la recherche sur le sujet ?
Critiquer les vaccins, un tabou ?
En attendant, la douleur des personnes atteintes de « myofasciite à macrophages » – 400 reconnues officiellement – est bien réelle. 78% d’entre elles ne peuvent plus travailler. Elles sont organisées dans l’association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M), dont Didier Lambert est le président. « Si on pense qu’il y a des problèmes provoqués par l’aluminium dans les vaccins, on devrait financer la recherche dans ce domaine, estime Didier Lambert. Ce n’est pas fait. Nous nous basons sur la science et la raison : en l’absence de certitude absolue [12] [sur la non dangerosité de l’aluminium vaccinal], on doit rester prudents et lever le pied sur [la vaccination massive]. » Un principe de précaution qui n’est pas appliqué. Quant aux équipes du professeur Jérôme Authier, à l’hôpital Mondor de Créteil, elles peinent bizarrement à trouver des financements pour leurs études.
Sur la question des vaccins, les lanceurs d’alerte sont peu écoutés. Ils sont même qualifiés « d’extrêmement dangereux » par le président du Haut conseil de la santé publique, Roger Salamon [13]. Ce dernier estime que ces associations provoquent la « méfiance » grandissante du public. Critiquer les vaccins est un tabou, expliquent ses détracteurs qui sont souvent qualifiés d’anti-vaccinalistes. « Si on veut maintenir la confiance dans les vaccins, il faut que nous ayons des aides à la recherche, afin de tenter de comprendre ce qui se passe », explique Jérôme Authier, qui se qualifie « d’ardent défenseur de la vaccination ». « La France, c’est le pays de Pasteur, de la vaccination, il ne faut surtout pas dire du mal des vaccins, lance Dominique Le Houézec. Mais je ne suis pas anti-vaccinaliste. »
Pourquoi les études sur le sujet sont-elles si peu nombreuses ? Pourquoi l’aluminium est-il toujours présent dans les vaccins, malgré la multiplication des alertes ? Et alors que les effets secondaires sont de plus en plus connus, comment expliquer que le principe de précaution ne soit pas appliqué ? Pour tenter le comprendre, il faut plonger dans le monde de l’industrie pharmaceutique, des autorités de santé et des médecins. Avec leurs logiques, les liens qui les unissent. Et leurs profits.
(Lire la suite de l’enquête)
Simon Gouin
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Photos (dans l’ordre de parution) :
Une : campagne de vaccination au Paraguay
CC Ernie.ca
CC Daniel Paquet