« Entrez dans l’aventure de l’uranium ! », invitent les dépliants d’Urêka, le « musée interactif de la mine » ouvert depuis l’été 2013 dans le Limousin, au cœur de l’ancienne zone minière. La dernière mine d’uranium de la région, propriété de la Cogema (ancêtre d’Areva) a fermé en 2001. Largement financé par le groupe nucléaire, ce nouveau lieu prétend faire revivre aux visiteurs la dimension « humaine » et technologique de l’exploitation de l’uranium. En gommant au passage, notant les Amis de la Terre, toute interrogation politique sur ses conséquences pour la santé et le bien-être des populations, en France et ailleurs.
Ce dont les dépliants et les attractions du musée ne parlent pas, c’est de l’impact environnemental et sanitaire de l’exploitation de l’uranium, qui continue à se faire sentir dans toute la région. La zone de Bessines où est implanté Urêka (entre Limoges, Guéret et Châteauroux), abrite encore plus de 200 000 tonnes d’uranium « appauvri » et autres déchets nucléaires. Et malgré un plan d’action imposé en 2009 à Areva, la pollution radioactive persiste, notamment dans les rivières, les nappes phréatiques et les zones humides.
Quant au suivi médical et épidémiologique des travailleurs et des habitants de la région, il est demeuré quasi inexistant jusqu’à ce jour. Une étude scientifique officielle a toutefois reconnu une incidence supérieure à la moyenne de cancers du poumon et du rein chez les anciens mineurs, mise en relation avec une surexposition au radon. De nouvelles études épidémiologiques viennent enfin d’être été lancées.
On comprend dès lors aussi que l’ouverture de ce parc d’attraction n’ait pas été du goût de tout le monde dans la région. Le jour même de la catastrophe de Brétigny et la veille de l’ouverture d’Urêka, un autre train avait déraillé (sans faire de dégâts) sur un site proche du musée, où Areva entrepose de l’uranium appauvri issu de la centrale du Tricastin. L’acte aurait été revendiqué par un mystérieux « militant antinucléaire » (lire ici). Areva avait parlé alors de « sabotage ».
Niger : derrière la géopolitique, l’enjeu sanitaire et environnemental
Les dernières mines d’uranium du Limousin avaient été fermées en raison de la découverte de filons plus importants et plus profitables en Afrique, notamment au Niger. Ce pays représente aujourd’hui 30% de l’approvisionnement en uranium d’Areva, qui y est le premier employeur privé. Depuis plusieurs mois, le gouvernement nigérien ne cache pas sa volonté de renégocier son partenariat avec Areva, qualifié de « très déséquilibré ». Les autorités estiment que c’est plus d’un milliard de dollars qui a échappé au Niger en quarante ans [1]. Début octobre, un audit officiel des contrats miniers d’Areva a été lancé, dont les résultats sont attendus prochainement.
Ce bras de fer entre l’État nigérien et le groupe nucléaire français est aussi à l’arrière-plan de la libération récente des quatre otages français, employés du groupe nucléaire et d’une filiale locale de Vinci [2] Auparavant, le groupe français avait menacé de fermer une de ses mines et de réduire ses investissements dans le pays [3].
Quoiqu’il advienne de ces discussions sur le partage des revenus de l’uranium, en ce qui concerne l’impact sanitaire et environnemental des mines, c’est toujours le même déni qui prévaut. La société civile d’Arlit a organisé le 12 octobre une manifestation à Arlit, ville minière du Nord nigérien, pour soutenir la volonté de négociation du gouvernement et dénoncer la dégradation environnementale et les problèmes de santé engendrés par les activités d’Areva. Également en cause, la surexploitation des nappes phréatiques pour traiter les minerais, dans une région où cette ressource manque cruellement. L’importance de cette manifestation a été immédiatement minimisée par Areva, qui a démenti en bloc les allégations de la société civile locale sur les taux de radiation constatés dans la ville et sur la réutilisation de matériaux contaminés issus de mines (lire Niger : Areva sourde aux demandes de la société civile).
Le groupe français continue également à se prévaloir du dispositif des « Observatoires de la santé » mis en place en collaboration avec l’association Sherpa, alors que cette dernière s’est retirée avec fracas du partenariat fin 2012, dénonçant une opération de pur affichage. En 2007, des experts de Sherpa, de la Criirad et de Médecins du monde s’étaient rendus sur place et avaient publié un rapport accablant sur le niveau de radioactivité constaté dans la région et les risques sanitaires encourus par les travailleurs et la population. Sherpa avait alors envisagé des poursuites judiciaires, mais avait choisi (contrairement à la Criirad) la voie d’un partenariat « constructif » avec le groupe nucléaire français - lequel s’est révélé un échec patent, particulièrement depuis l’arrivée du Luc Oursel à la présidence du directoire.
Tout récemment, la justice française est également venue prêter main forte à Areva en annulant un jugement de première instance historique qui reconnaissait la « faute inexcusable » du groupe dans le décès de Serge Venel. Celui-ci est mort à 59 ans d’un cancer du poumon, après avoir travaillé pendant six ans dans une mine nigérienne. La Cour d’appel de Paris a estimé qu’Areva ne pouvait être mise en cause en tant que société mère, et que seule la Cominak, filiale locale dont Areva détient 34%, était juridiquement responsable. Un arrêt qui illustre le problème plus général de l’impunité de sociétés mères face aux atteintes aux droits humains ou à l’environnement causées par leurs filiales (lire les commentaires de Marie-Laure Guislain de Sherpa). La Cour de cassation devrait toutefois être saisie, et d’autres anciens salariés français d’Areva ont lancé des procédures similaires.
Les travailleurs gabonais et nigériens et leurs familles, quant à eux, risquent d’attendre encore plus longtemps (lire notre enquête Areva laisse-t-elle mourir ses travailleurs au Niger ?). Alors que les mines d’Areva sont ouvertes depuis les années 1970, seuls sept dossiers de maladies professionnelles ont été acceptés à ce jour par la sécurité sociale nigérienne, dont cinq concernent des Français expatriés. Quant aux Observatoires mis en place par Areva, ils n’auraient eux aussi traité que des dossiers de travailleurs français, bien que les travailleurs nigériens soient beaucoup plus nombreux et beaucoup plus exposés. Le groupe a accepté d’indemniser dans ce cadre les familles de seulement deux anciens expatriés, en ne reconnaissant qu’une « présomption » de contamination par l’uranium.
Vers de nouveaux horizons
Si elle continue à s’intéresser au Niger, où elle prévoit d’ouvrir une nouvelle mine à Imouraren avec des partenaires chinois, Areva cherche aussi à diversifier ses sources d’approvisionnement. Le groupe doit ouvrir une autre mine géante d’uranium, à Trekkopje en Namibie, mais le début de la phase d’exploitation ne cesse d’être repoussée, en raison officiellement de la chute du prix de l’uranium depuis l’accident de Fukushima.
Fin octobre 2013, en pleines négociations avec le Niger, Areva est également allé signer en fanfare, sous l’égide de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, un contrat en vue de l’exploitation de l’uranium du désert de Gobi, en Mongolie. Un contrat là aussi contesté par les militants écologistes locaux, qui avaient déjà dénoncé la pollution radioactive occasionnée par les projets pilotes d’Areva dans le pays (lire Areva s’installe en Mongolie, et fait peur aux populations du désert).
Mais ce sont surtout les visées d’Areva sur le Grand Nord canadien qui inquiètent aujourd’hui les militants antinucléaires. Le groupe français projette en effet d’ouvrir une nouvelle mine d’uranium dans la province du Nunavut [4]. Au vu de l’expérience des autres pays et de la fragilité des écosystèmes locaux, ce projet pourrait tourner au désastre pour l’environnement et le mode de vie traditionnel des Inuit. À la pollution des sols et des eaux s’ajouteront les bouleversements sociaux que ne manquera pas d’engendrer un projet d’une telle ampleur. Les ONG locales dénoncent également un processus de décision opaque et entaché d’irrégularités, puisque les lois du Nunavut prévoient un vote public les projets d’exploitation de l’uranium, lequel n’a jamais eu lieu.
Le réseau Sortir du nucléaire fait circuler une pétition contre les projets d’Areva au Nunavut : « Après l’Afrique, Areva s’en prend aux Inuit : je dis NON ! ». Déjà signée par 30 000 personnes, elle doit être remise prochainement aux cabinets ministériels concernés. Actionnaire principal d’Areva, le gouvernement français a le pouvoir et la responsabilité d’obliger le groupe à sortir du déni.
Le Prix Pinocchio est organisé par les Amis de la terre en partenariat avec le Crid et Peuples Solidaires. Radio Mundo Real, Basta ! et l’Observatoire des multinationales. Les votes sont ouverts jusqu’au 18 novembre 2013.
Olivier Petitjean
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Photo : Al_HikesAZ cc by-nc