Premier enseignement de cette étude : chaque année, plus d’un livre imprimé sur quatre est détruit sans jamais avoir été lu. Cela représente environ 142 millions de romans, d’essais ou de récits (pour l’année 2015). Un beau gaspillage ! le Basic révèle également les différents coûts sociaux et environnementaux de la filière du livre. Pour l’édition française, ces coûts « cachés » sont estimés à 52 millions d’euros [1].
La moitié de ces coûts sociétaux sont liés à la production de bois, de pâte à papier puis de papier, avant même que le livre ne soit imprimé. La France importe la majeure partie de la pâte à papier qu’elle consomme, principalement du Brésil. Sur place, deux groupes – Fibria et Suzano Papel e Celulose – concentrent la production de pâte à papier issue de plantations industrielles d’eucalyptus. Occupant presque 2,5 millions d’hectares au Brésil, les plantations d’eucalyptus se révèlent particulièrement gourmandes en eau – 12 000 litres d’eau par hectare et par jour – ainsi qu’en engrais et en pesticides variés. Sans compter les émissions de gaz à effet de serre générées en amont par la déforestation.
Des bénéfices très inégalement répartis
Malgré cette facture écologiquement salée, la fabrication du papier ne représente qu’environ 9 % du prix final du livre, au même niveau que la rémunération de l’auteur qui l’a rédigé. Les fabricants de pâtes à papier, les papetiers et les imprimeurs subissent ainsi les plus fortes pressions économiques. L’industrie papetière française a été durement frappée par les destructions d’emploi, rappelle le Basic : « 1 emploi sur trois a disparu depuis 2000 dans l’industrie papetière, 3ème secteur le plus touché en France par les destructions d’emploi, après les secteurs textile et extractif. » L’activité bois-papier-impression emploie encore près de 200 000 personnes. Les imprimeries ont également perdu 10 000 emplois entre 2009 et 2014. Entre 25% et 40% des titres vendus en France sont désormais imprimés à l’étranger, d’abord en Italie, en Espagne et en Chine.
La répartition du prix du livre, de la fabrication du papier à la vente d’un ouvrage imprimé
Une fois le papier prêt à être imprimé, quelques acteurs économiques se partagent le marché, sans vraiment supporter les coûts environnementaux et sociétaux de leur fabrication. Le secteur de l’édition est particulièrement concentré : en 2014, trois groupes – Hachette Livre (appartenant à Lagardère), Editis (Grupo Planeta) et Madrigall (qui détient Flammarion et Gallimard) – se partageaient ainsi 57 % du chiffre d’affaires du secteur. Presque deux tiers de la diffusion et de la distribution sont par ailleurs contrôlés par Hachette et Editis, via leurs structures dédiées Hachette Livre Distribution et Interforum.
Pour 1 euro de bénéfice, 75 centimes de coût caché
Pour mettre en perspective les coûts cachés supportés par la collectivité et les gains qu’empochent une poignée d’acteurs, l’étude compare le montant des coûts sociétaux – 52 millions d’euros – à l’excédent brut d’exploitation généré par les principales maisons d’édition (70 millions d’euros en 2015). Les coûts environnementaux représentent donc environ 75 % de ce montant. « Autrement dit, pour chaque euro de bénéfice généré par l’édition d’un roman en France, il existe un coût caché environnemental et social de 75 centimes à la charge de la société (française et internationale) », pointe l’étude.
Comment atténuer ces coûts cachés de la filière du livre ? Le rapport évoque plusieurs pistes : favoriser le papier issu de fibres recyclées, préférer les encres végétales, imprimer à la demande pour réduire le nombre de livres pilonnés, moderniser les centres de tri, mais aussi intégrer des clauses sociales et environnementales dans les cahiers des charges des éditeurs. La relocalisation des étapes de fabrication et d’impression apparait pour l’heure difficile : il reste environ une dizaine d’usines en activité aujourd’hui en France, soit deux fois moins qu’il y a dix ans.
Sophie Chapelle