Le 1er septembre, la Cour suprême du Kenya a créé la surprise en annulant les résultats de l’élection présidentielle, remportée quelques semaines auparavant par le président sortant Uhuru Kenyatta. C’est la première fois qu’une élection présidentielle est annulée par le pouvoir judiciaire en Afrique. Les juges suprêmes ont justifié leur décision par de multiples fraudes et irrégularités dans la transmission des résultats, et pointé la responsabilité de la commission électorale.
Le rival malheureux du président Kenyatta, Raila Odinga, et sa coalition d’opposition ont aussi mis directement en cause OT-Morpho, l’entreprise française qui a fourni les kits de reconnaissance biométrique et le système de transmission des résultats utilisés pour l’élection. Un de ses représentants a déclaré avoir écrit officiellement au gouvernement français pour qu’il fasse la lumière sur les agissements de cette firme et de son ancienne maison mère Safran, et se préparer à déposer une plainte en France en coordination avec des « partenaires de la société civile française ». Deux cadres de Morpho sont nommément pointés du doigt.
Suite à la polémique, OT-Morpho a indiqué avoir effectué un audit de son système et n’avoir constaté aucune intrusion ni aucune manipulation de données. Se déclarant disposée à une inspection extérieure indépendante de son matériel sous la houlette de la commission électorale, elle a également menacé de poursuites en diffamation tous ceux qui continueraient à l’accuser.
Biométrie électorale, un marché en croissance
Jusque récemment filiale du groupe Safran, Morpho a été vendue cette année à un fonds d’investissement américain, Advent International, qui l’a fusionnée avec une autre firme française, Oberthur, pour former OT-Morpho. Le marché de la biométrie électorale est en pleine croissance, notamment en Afrique, où l’utilisation de ces systèmes est encouragée (et financée) par les institutions internationales et l’aide au développement occidentale. Deux firmes françaises, OT-Morpho et Gemalto, figurent parmi les leaders de ce secteur d’activité. Gemalto fait aujourd’hui l’objet d’une plainte déposée par plusieurs associations pour corruption active ou passive en lien avec son contrat de biométrie électorale au Gabon.
La Cour suprême doit rendre d’ici le 22 septembre ses conclusions détaillées. En attendant, la confusion règne sur l’organisation du prochain scrutin, initialement planifié pour le 17 octobre. L’opposition a demandé son report. La commission électorale, directement mise en cause, pourrait se trouver contrainte à de profonds remaniements. La société OT-Morpho elle-même a demandé davantage de temps, expliquant qu’elle devait laisser les équipements et fichiers informatiques utilisés en août tels quels en vue de leur inspection, et qu’elle devait donc en réinstaller de nouveaux.
Le leader de l’opposition Raila Odinga a déjà participé et perdu trois élections présidentielles. En 2007, les manifestations de rue qui avaient suivi sa défaite avaient entraîné une répression et des violences inter-tribales, avec plusieurs centaines de morts à la clé. Le contrat passé avec Safran-Morpho visait notamment à éviter la répétition de ce type d’événements.
Olivier Petitjean