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01.10.2010 • Textile

La catastrophe de Spectrum au Bangladesh

En avril 2005, l’usine de Spectrum s’effondrait au Bangladesh. Plusieurs dizaines d’ouvrières du textile, travaillant pour les grandes marques occidentales, y laissaient la vie. Historique de l’affaire par l’ONG Peuples Solidaires.

Publié le 1er octobre 2010

Au Bangladesh, nombre de grands distributeurs sous-traitent la fabrication de leurs articles de prêt-à-porter. En effet, non seulement la main d’œuvre y est particulièrement bon marché, mais la législation locale pour les investisseurs étrangers y est très peu contraignante. Mais pour les ouvriers, travailler dans cette industrie s’avère particulièrement dangereux…

Effondrement de l’usine Spectrum en 2005

Le 11 avril 2005, le bâtiment de neuf étages de l’usine Spectrum s’effondre en pleine nuit, alors qu’entre 200 et 400 ouvriers se trouvent à leur poste. 64 d’entre eux y perdent la vie, tandis qu’une centaine d’autres est blessée, dont 74 garderont probablement une invalidité à vie.

L’usine bangladaise Spectrum produisait des articles de jersey pour d’importants distributeurs européens comme Zara, Carrefour ou encore Cotton Group.

L’enquête démontrera par la suite que des défauts et irrégularités de conception et de construction sont à l’origine de l’effondrement. Le bâtiment avait été érigé sur un terrain inondable sur base d’un permis autorisant la construction d’un bâtiment de cinq étages et non de neuf. Selon un rapport d’enquête dont s’est à l’époque fait écho la presse bangladaise, les travailleurs avaient en outre remarqué l’apparition de fissures dans les piliers porteurs plusieurs jours avant la catastrophe et tenté d’alerter, en vain, leur encadrement.

Une tragédie qui a valeur de symbole

Cette tragédie est le triste symbole des violations quotidiennes des droits fondamentaux des travailleurs dans le secteur textile au Bangladesh.

La Fédération Nationale des Travailleurs de l’Habillement du Bangladesh (NGWF), un syndicat représentant les ouvriers de cette usine, explique ainsi que les salaires à Spectrum étaient de 700 Taka par mois (soit environ 10€), c’est-à-dire inférieurs au minimum légal de 930 Taka mensuels, pourtant déjà largement insuffisant. Les employés de cette usine travaillaient 7 jours sur 7, en violation de la loi nationale et le non-respect des règles de sécurité était probant : trois jours avant la catastrophe, un travailleur était mort des brûlures provoquées par l’eau d’une chaudière et trois mois plus tôt, c’est une femme qui avait été gravement blessée des suites d’une électrocution.

Par sa soudaineté et son impact en perte de vies humaines, l’effondrement de Spectrum provoque une prise de conscience internationale des conditions de sécurité et d’hygiène dans nombre d’usines de prêt-à-porter au Bangladesh. Elle met le doigt sur des problèmes endémiques qui ont déjà fait nombre de victimes dans le passé et qui en laissent présager d’autres. Construites à la hâte sans autorisation adéquate ou aménagées dans d’anciens bureaux ou bâtiments d’habitation, les usines ne peuvent garantir le respect de conditions de sécurité et d’hygiène élémentaires. Plus grave encore, les installations de sécurité dans ces bâtiments vétustes, lorsqu’elles existent, sont réduites au strict minimum. Le matériel de lutte contre les incendies se limite encore parfois à quelques seaux de sable. Les issues de secours, si elles ne sont pas fermées volontairement par les employeurs, sont souvent obstruées par des caisses et des bidons de produits chimiques qui empêchent l’évacuation et accentuent les mouvements de panique en cas d’accident.

Une catastrophe non isolée
En février – mars 2006, quatre accidents industriels se succèdent en quelques jours, faisant une centaine de morts et de blessés :
 23 février 2006 : un incendie, vraisemblablement provoqué par un court-circuit électrique, détruit l’usine KTS Textile Industries située dans la ville portuaire de Chittagong.
 25 février 2006 : 22 personnes trouvent la mort et 50 autres sont blessées dans l’effondrement d’un bâtiment industriel de cinq étages à Dhaka. Le bâtiment s’est effondré alors que des travaux de rénovation non autorisés y étaient en cours. Le même jour, à Chittagong, 57 travailleurs du Groupe industriel Imam sont blessés suite à l’explosion d’un transformateur électrique donnant lieu à un incendie. L’étroitesse de l’issue provoque la panique.
 6 mars 2006 : un incendie se déclare au 3ème étage de l’usine Sayem Fashion à Gazipur. Un seul escalier permettait l’évacuation des 1500 ouvriers au travail. L’incident, qui aurait pu rester anodin, crée au contraire un mouvement de panique. Deux travailleuses meurent piétinées, un travailleur se tue en sautant d’une fenêtre.

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Les victimes se mobilisent

Sur place, syndicats, victimes et ex-salariés de Spectrum se mobilisent alors et obtiennent rapidement l’arrestation des dirigeants de l’entreprise. Ils demandent l’indemnisation des familles des défunts et celle des blessés qui n’ont pas les moyens de payer pour leurs soins. Les travailleurs privés d’emploi demandent également à percevoir leurs arriérés de salaires et à bénéficier de mesures de reclassement.

Au-delà du cas de Spectrum, les organisations bangladeshi réclament qu’un programme national soit lancé immédiatement pour prévenir d’autres accidents et combattre les graves lacunes en matière d’hygiène et de sécurité constatées dans ce secteur et que les droits de l’Homme et la liberté syndicale soient respectés, afin de permettre une réelle amélioration de la situation.

Outre les autorités locales, les grandes enseignes européennes qui se fournissaient auprès de Spectrum sont interpellées. L’industrie locale de la confection est en effet fortement dépendante des acheteurs européens. Pour les victimes de la catastrophe, ceux-ci ont un pouvoir d’influence réel sur le comportement de leurs entreprises sous-traitantes, et une responsabilité vis-à-vis de ceux qui fabriquent leurs produits. C’est pourquoi, dès les lendemains du drame, une campagne internationale est lancée à l’encontre de tous les clients de Spectrum et un fonds d’assistance volontaire est mis en place. Celui-ci est créé par les syndicats et associations en faveur des victimes de la catastrophe et est supposé permettre de payer les soins des travailleurs blessés ainsi que des pensions pour les ouvriers invalides et les familles des travailleurs décédés.

Le géant français de la grande distribution Carrefour est concerné. Il faisait fabriquer des pulls dans cette usine et avait fait auditer l’entreprise bangladaise en 2002, concluant à un score « bon »… Carrefour est donc appelée à assumer ses responsabilités sociales suite à cet accident et en tirer les leçons qui s’imposent dans la gestion de sa filière d’approvisionnement. Suite aux premières pressions de la société civile, Carrefour versera 15 000 € en dons et aide médicale ponctuelle à une ONG locale. La marque française inclura en outre un contrôle des permis de construire dans ses démarches d’audit et réalisera des démarches fructueuses auprès d’autres fournisseurs pour le réengagement de travailleurs valides ayant perdu leur emploi suite à l’effondrement. Mais elle refusera toutefois de participer au fonds volontaire, estimant que c’est au gouvernement bangladais d’assumer cette responsabilité.

Quatre ans après l’effondrement…

Malgré plusieurs années de retard, le fonds d’assistance a finalement été mis en place par l’une des entreprises clientes de Spectrum, Inditex (Zara), en coopération avec la Fédération Internationale des Travailleurs du Textile de l’Habillement et du Cuir (FITTHC), et a versé une part substantielle du montant dû aux blessés et aux familles des travailleurs décédés. D’autres paiements, notamment ceux relatifs aux pensions allouées aux familles des travailleurs décédés dans cet accident devraient être réalisés très prochainement. Plusieurs entreprises sous-traitant leur production à Spectrum, notamment Inditex (Espagne), KarstadtQuelle (Allemagne), New Wave Group (Suède), Scapino (Pays-Bas) et Solo Invest (France) ont finalement accepté de contribuer à ce fonds, dont les besoins ont été estimés à 533 000 €. Carrefour (France), Cotton Group (Belgique), New Yorker, Steilmann, Kirsten Mode et Bluhmod (Allemagne) n’ont toutefois toujours pas accepté d’abonder à ce fonds. Les organisations locales et internationales restent donc mobilisées.

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Photo : Derek Blackadder cc by-sa

Boîte Noire

En savoir plus
Campagne Vêtements Propres : Dossier « Bangladesh, le prix de nos T-shirts », avril 2007.
Collectif Ethique sur l’étiquette : www.ethique-sur-etiquette.org.

Cet article a été publié initialement sur le site dph en octobre 2010, dans le cadre d’un dossier sur la grande distribution.

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