Les sociétés coopératives et participatives (Scop [1]) connaissent un regain d’intérêt. On en compte plus de 1900 en France, employant près de 40 000 salariés. Leurs particularités ? Les salariés en deviennent « actionnaires » au bout d’un ou deux ans de contrat. Ils élisent leurs dirigeants et participent aux prises de décisions. Chaque sociétaire dispose d’une voix, quel que soit le montant de sa participation financière. Autre spécificité : la richesse produite est redistribuée à la source. Les bénéfices sont répartis entre les réserves « impartageables » de l’entreprise, la participation et l’intéressement dont profitent les salariés, et, enfin, les dividendes qui rémunèrent les sociétaires.
Cette démocratie d’entreprise a-t-elle un impact sur les conditions de travail et la santé des salariés ? « Nous pouvons faire l’hypothèse que les Scop sont plus innovantes en la matière, mais cela reste à démontrer », estime Jacques Rastoul, ancien secrétaire confédéral de la CFDT, qui a longtemps suivi le secteur de l’économie sociale. « Nous ne disposons pas d’indicateurs spécifiques, mais nos capteurs, via les unions régionales, enregistrent peu d’alertes sur les risques professionnels, ainsi que des taux d’absentéisme et un turn-over faibles », répond Jacques Cottereau, vice-Président de la Confédération générale des Scop. Une vue d’ensemble a priori positive que confirme Nadine Richez Battesti, du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail de l’Université Aix-Marseille. « Sur la dimension des conditions de travail et celle des relations sociales, les coopératives sont généralement mieux placées que le secteur privé lucratif, et largement meilleures que les associations », analyse-t-elle. La participation est facilité par la petite taille des coopératives, qui compte 20 salariés en moyenne. Qu’en est-il chez les plus grandes ?
Rémy Garin travaille depuis 34 ans aux aciéries de Ploërmel (Morbihan). Il y est responsable sécurité et environnement. La fonderie, spécialisées dans le matériel ferroviaire, emploie une centaine de personnes. L’usine était au bord de la liquidation quand, en 2005, les salariés la reprennent en coopérative. « Plus de la moitié sont désormais sociétaires. Les gens ont leur mot à dire. Et cela bouge beaucoup plus vite qu’avant. Nous avons beaucoup moins d’accidents du travail », décrit-il. L’une des demandes des salariés était de trouver un nouveau site. C’est désormais chose faite. Le déménagement a été l’occasion de mener un travail de prévention et d’aménagements des postes pour lutter contre les vibrations, mieux insonoriser les cabines ou éviter les troubles musculo-squelettiques (TMS).
Les coopératives subissent aussi les contraintes du marché concurrentiel qui pèsent sur le travail des salariés. Les aciéries de Ploërmel sont ainsi confrontées aux délais imposés par de puissants clients, comme le français Alstom ou le canadien Bombardier. « Nous essayons d’anticiper au maximum, répond Rémy Garin. Cela nous arrive de passer aux trois-huit. Et mieux vaut programmer ces changements d’organisation. » Car les réunions du Comité d’entreprise sont parfois animées. « Mais tout le monde s’y retrouve, car les salariés travaillent pour eux-mêmes. » Cette dimension atténue-t-elle les contraintes ? « Si les salariés adhèrent à la stratégie à long terme, comme la défense de l’emploi, ils comprennent le sens de leur sacrifice à court terme, et sont prêts à jouer sur le rythme de travail ou sur la répartition de l’excédent », estime Danièle Demoustier, économiste du travail à l’Institut d’études politiques de Grenoble. A condition que « la tradition d’un travail de qualité », valeur essentielle des Scop, ne soit pas malmenée.
Basée à Mortain, la coopérative Acome, spécialisée dans la fabrication de câbles en cuivre et de fibres optiques, pour de gros clients comme France Télécom - Orange, emploie 1350 personnes, et possède deux filiales, l’une au Brésil, l’autre en Chine. « Sécurité au travail : objectif zéro accident », affiche-t-elle. Mais en 2010, la courbe des accidents du travail, dont un mortel, remonte. Acome avait été saluée en 2003 pour sa « responsabilité sociale » par un rapport de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail [2]. Celui-ci s’interrogeait cependant sur l’absence de syndicats et le refus du Comité d’entreprise de recourir à des expertises indépendantes, au motif que « ce serait payer deux fois ». Une forme de huis clos qui, en cas de tensions, pose question.
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Faites un donArrivé comme intérimaire il y a onze ans à Chèque Déjeuner, Eric Lienon, délégué syndical (FO), a d’abord été surpris par l’accueil « très famille », le tutoiement et la convivialité au sein de l’entreprise francilienne qui imprime les célèbres tickets restaurants. Il ne cache pas aujourd’hui son enthousiasme. Tout se fait, selon le syndicaliste, dans « une entente collégiale ». « Quand des remarques sont formulées dans les services, cela remonte très rapidement. Lors des assemblées générales, nous pouvons interpeller directement le PDG sans risquer des représailles. Notre voix est entendue. » Dans le BTP aussi, « la présence de pratiques participatives génère un climat propice à la santé des salariés », assure Olivier Diard, délégué général de la Fédération nationale des Scop du BTP, qui regroupe 11 000 emplois, au sein de sociétés comptant 8 salariés en moyenne. « L’épanouissement et le bien être des salariés sont d’ailleurs inscrits dans plusieurs statuts de coopératives. Le BTP, sa culture du chantier, donc du travail collectif, se prête bien à la forme coopérative. » Résultat : une fréquence d’accidents du travail en dessous de la moyenne nationale, assure le représentant patronal.
Un dialogue facilité, une parole plus libre, une participation aux décision semblent avoir une influence positive sur la santé des salariés. Encore faut-il que cette dynamique soit entretenue, et que les salariés soient formés pour devenir des sociétaires avertis. Cette formation est d’ailleurs l’une des préoccupations de Corinne Leclaire, directrice générale du seul centre d’appels en coopérative, A Cappella, à Amiens. Un pari compliqué dans un secteur où la concurrence est féroce. Depuis 2010, l’entreprise a quasiment doublé ses effectifs, passant de 60 à 115 téléopérateurs, dont 20% sont sociétaires. Cet accroissement fait apparaître « de vraies difficultés de communication sur le bien fondé du statut coopératif et la question du travail », reconnaît la dirigeante. Pour éviter le stress, au sein des open space, la société pratique « la polyvalence » : « Nous proposons aux salariés des missions sur des rythmes différents, moins commerciales ou avec moins d’appels. » Des salles de pauses accueillent les téléopérateurs fatigués. Mais selon Corinne Leclaire, ce sont les salaires qui constituent le principal sujet de tension.
A la fois sociétaire, délégué du personnel et délégué syndical (CFDT), Olivier Manchet se retrouve au cœur de cette contradiction. Aux questionnaires du CHSCT qu’il fait circuler auprès des salariés, ceux-ci répondent en évoquant une certaine pénibilité, notamment le stress lié aux « appels conflictuels » avec les clients, et « un salaire qui ne va pas avec ». Sa double casquette lui permet de mieux comprendre les points de vue. Mais mettre en adéquation les revendications des salariés et les contraintes de gestion se révèle parfois « délicat ». Le fait d’être en coopérative ne résout pas tout. « Les risques psychosociaux et les états de stress résultent du déséquilibre entre les contraintes qui pèsent sur le travail et les ressources pour y faire face », avance Jacques Cottereau. « L’organisation coopérative limite les contraintes, mais, surtout, donne davantage de ressources pour y répondre. » C’est sans doute là que réside la principale originalité des coopératives.
Ivan du Roy / Santé & Travail magazine
Photo : © Laurent Guizard