En 2003, la loi Aillagon créait un nouveau dispositif d’exonération fiscale à hauteur de 60% pour encourager le mécénat du secteur privé. Un franc succès puisque près de 70 000 entreprises y ont aujourd’hui recours en France. Coût pour le fisc ? Presque un milliard d’euros. La Cour des comptes s’est penchée sur l’utilisation de ce dispositif et, dans son rapport, s’inquiète de l’absence de contrôle de l’État et du risque d’effet d’aubaine pour les firmes qui voudraient réduire leurs impôts à peu de frais.
Le mécénat, un nouvel outil d’optimisation fiscale à disposition des multinationales ? Difficile de ne pas se poser la question lorsque l’on constate, avec la Cour des comptes, qu’une poignée de très grosses entreprises concentrent l’essentiel des réductions fiscales au titre de la loi Aillagon : en 2016, les 36 plus grandes entreprises représentaient à elles seules les trois quarts des réductions fiscales consenties au titre de la loi Aillagon : 432 millions d’euros. Et environ 250 millions d’euros pour les cinq premières firmes, dont les magistrats de la rue Cambon taisent le nom mais qu’il n’est pas trop difficile d’identifier parmi les ténors du CAC40.
Une explosition de coûts opportuniste
Le rapport de la Cour des comptes souligne le caractère particulièrement favorable de ce dispositif par rapport à ce qui existe dans les autres pays européens. Et regrette l’absence d’encadrement clair aussi bien de « l’intérêt général » qui est censé justifier les ristournes fiscales accordées aux mécènes que des « contreparties » autorisées à leurs donations.
Un exemple en particulier ne peut manquer d’attirer l’attention : celui de la Fondation Louis Vuitton, inaugurée en 2016 dans le bois de Boulogne à Paris, lieu d’expositions de prestige voulu par le PDG de LVMH Bernard Arnault. Le coût de cet édifice de prestige conçu par l’architecte star Frank Gehry, initialement estimé à 100 millions d’euros, aura finalement été selon les magistrats de la Cour des comptes de 790 millions. Une somme sur laquelle LVMH aura pu décompter de son impôt sur les bénéfices (via diverses sociétés du groupe) environ 518 millions d’euros. Beaucoup s’étonnent de ces coûts exorbitants affichés par le groupe LVMH et l’entreprise en charge de la construction, Vinci, sans commune mesure avec ceux observés sur d’autres projets comparables [1] Au point que certains parlent de surfacturation opportuniste. Mais, justement, l’État ne s’est pas donné les moyens de le vérifier.
Des financements de plus en plus controversés
Rançon de son succès ? Le mécénat commence aussi à intéresser les activistes. Il y a quelques années, avait ainsi été dénoncé le financement par la firme Perenco d’une exposition consacrée au Guatemala, pays où elle exploitait du pétrole dans des conditions controversées. Aujourd’hui, le mécénat des entreprises pétrolières comme Total en France ou BP en Grande-Bretagne est devenue une cible privilégiée pour les militants du climat, comme l’ONG 350 France et sa campagne « Libérons le Louvre » (sur cette campagne et sur le mécénat de Total, lire notre enquête : Le Louvre et les grands musées sont-ils sous l’influence de l’industrie pétrolière ?).
Le cas de la Fondation Louis Vuitton est d’autant plus significatif que le PDG de LVMH Bernard Arnault a clairement conçu celle-ci comme une dépense somptuaire, déclarant vouloir faire « un cadeau à la France » (financé de fait à 60% par l’État) et comme une démonstration de puissance, par comparaison avec les moyens réduits à disposition du ministère de la Culture et leur « carcan administrativo-juridique » [2]. Carcan administrativo-juridique dont son groupe a néanmoins cherché à tirer parti pour réduire son ardoise fiscale... L’affaire sera décidée devant les tribunaux puisqu’une association anti-corruption vient de déposer formellement plainte pour « escroquerie » et « blanchiment de fraude fiscale » contre le groupe et son dirigeant.
Olivier Petitjean
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Photo : acazorzi CC