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29.09.2017 • Justice

Lafarge, Daech et le conflit syrien : questions autour de la responsabilité des dirigeants, des actionnaires et de l’État français

Le Monde et Le Canard enchaîné ont eu accès au contenu de l’enquête judiciaire sur les agissements de Lafarge durant le conflit syrien. Un document qui confirme que l’entreprise a versé une taxe à plusieurs groupes armés dont Daech pour s’assurer de la bonne marche de sa cimenterie de Jalabiya malgré la guerre civile. Si l’enquête suggère que la responsabilité des dirigeants de Lafarge, dont le PDG Bruno Lafont, pourrait effectivement être mise en cause, elle laisse d’autres questions ouvertes, comme celle du rôle de grands actionnaires de l’entreprise, ainsi que celui de l’État français.

Publié le 29 septembre 2017

Les auditions [des enquêteurs] décrivent de l’intérieur les mécanismes qui ont entraîné l’entreprise dans ce naufrage judiciaire et moral. Elles racontent, mois par mois, l’entêtement d’un groupe aveuglé par une obsession : ne pas abandonner la cimenterie LCS, promise à l’appétit destructeur des belligérants, afin de conserver un avantage stratégique dans la perspective de la reconstruction du pays.

Cette enquête révèle deux faits majeurs. Tout d’abord, la décision du leader mondial des matériaux de construction de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises, avec lesquelles le groupe était en relation régulière entre 2011 et 2014. Ensuite, les responsables de l’usine ont omis de préciser aux diplomates le prix de leur acharnement : plusieurs centaines de milliers d’euros versés à divers groupes armés, dont 5 millions de livres syriennes (20 000 euros) par mois à l’EI. La conclusion des douanes est sans appel : Lafarge a « indirectement » financé des groupes « terroristes », par le truchement d’un intermédiaire, produisant au besoin « de fausses pièces comptables ».

Lire l’intégralité de l’article sur le site du Monde, qui détaille le déroulé des événements.

Rappelons que ces versements ont été effectués sous la forme de « taxes » versées à des intermédiaires, à un moment où Daech n’avait pas encore engagé d’actions terroristes à l’extérieur de sa zone d’influence directe en Syrie et en Irak.

Comme le détaille un autre article du Monde, les dirigeants nationaux de Lafarge, y compris l’ancien PDG Bruno Lafont, ont été tenus informés - malgré leurs dénégations - de la situation en Syrie, y compris des versements à Daech, ce qui pourrait engager leurs responsabilités. Autre maillon clé, le directeur de la sûreté de Lafarge Jean-Claude Veillard, par ailleurs militant du Front national, aurait assuré la liaison avec les services français.

Responsabilités partagées

Une autre question sous-jacente est celle du rôle des principaux actionnaires de l’entreprise, et notamment des quatre milliardaires -Albert Frère, Paul Desmarais, Nassef Sawiris et Thomas Schmidheiny (ce dernier arrivé il est vrai à la fusion avec Holcim) - qui siègent aujourd’hui au conseil d’administration de LafargeHolcim, et qui ont été très prompts à rejeter la responsabilité des événements syriens sur les dirigeants opérationnels de l’entreprise.

Selon la ligne de défense adoptée par Bruno Lafont, reprise par le conseil d’administration, ils n’étaient pas informés de la situation et n’ont jamais officiellement autorisé ces pratiques. D’un autre côté, fait valoir un cadre du groupe, « personne, au sein de Lafarge, n’a demandé à ce qu’on arrête ». « Il serait tout à fait étonnant que M. Lafont n’ait pas demandé à son équipe de direction d’avoir un point précis de la situation d’une cimenterie dans un pays en guerre depuis plusieurs années, estiment pour leur part les enquêteurs. M. Lafont devait forcément rendre des comptes à des actionnaires qui savaient qu’ils pouvaient être exposés à des risques judiciaires et médiatiques. »

Un autre élément inattendu qui ressort de l’enquête est le rôle de l’État français, qui semble avoir, via son ambassade à Damas, encouragé le groupe cimentier à rester en Syrie malgré le conflit, afin d’être le premier sur place une fois la paix revenue :

Tout au long de son aventure syrienne, Lafarge est resté en contact permanent avec l’ambassade de France à Damas – qui sera fermée par Nicolas Sarkozy en mars 2012 –, puis avec l’ambassade de France en Jordanie. Jean-Claude Veillard, un ancien fusilier marin dans les forces spéciales et les commandos, est également en relation avec la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). « Jean-Claude avait de bons contacts avec les services, notamment la DGSE », explique Eric Olsen, ancien DRH, puis directeur général de Lafarge. Il « me tenait informé des mouvements des Kurdes et de l’Armée syrienne libre, poursuit-il. Je comptais sur l’expertise et la protection de l’Etat français pour nous tenir au courant ». (...)

– On allait voir, tous les six mois, l’ambassadeur de France pour la Syrie [à Paris], et personne ne nous a dit : “Maintenant, il faut que vous partiez”, précise Christian Herrault [ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe]. Le gouvernement français nous incite fortement à rester, c’est quand même le plus gros investissement français en Syrie et c’est le drapeau français. Donc oui, Bruno Lafont dit : “On reste.” »

OP

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Photo : Zaman Al Wasl

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